Obsession, temptation, bewitched by a song. [Kasja]

C'est le pas vif et le sourire aux lèvres que Mel se dirigeait vers le lycée, en ce début d'après-midi. Oh, il n'était pas venu là pour racketter les élèves ou pour faire chanter le directeur, non. Ça, c'était le boulot des sous-fifres de troisième zone. Ce jour-là, Mel était venu au lycée pour procéder à... Un casting. Le Prince voulait avoir des yeux et des oreilles partout en ville, et l'établissement faisait partie des lieux incontournables.
Il n'avait pas pris la peine de se grimer en étudiant ou en professeur, et portait sur lui un T-shirt à manches longues rayé de rouge et de noir. Sur sa tête trônait comme à l'accoutumée sa splendide couronne ornée de pierres précieuses, et s'ajoutait à sa panoplie un simple jean noir. Aucune couverture donc, mais il n'était habillé ni comme un prince ni comme un yakuza. Il faisait très beau, mais le vent glacial qui venait rafraichir l'atmosphère était ce qui le faisait vraiment sourire.
Quand bien même, il n'était pas venu pour rester faire le planton dans la cour, et c'est dans les couloirs qu'il déambulait. Il regardait à droite, à gauche, cherchant quelqu'un d'étrange, d'atypique, qui pourrait lui servir d'informateur. A vrai dire, l'idéal pour un indic aurait été d'être discret, invisible et observateur, mais Mel était habitué à Verr, ses cheveux voyants et son ton plaintif. A se demander comment l'E.S.Per pouvait bien faire son boulot. S'il n'était pas débordé en ce moment, ce serait lui qui serait venu se trouver des indics ici.
Vint le moment où Melancholy passa devant la salle de musique, et sa porte grande ouverte. Il glissa sa tignasse dans l'encadrement, mais la pièce semblait déserte. Personne à l'horizon, et pas un chat dans le couloir non plus. Il n'y avait que les instruments, au fond, qui lui faisaient de l’œil.

Le Prince était un papillon: il voletait à droite à gauche dans la pièce, caressant la courbure de l'unique harpe présente, pesant les guitares, tapotant les djembés, on aurait dit un enfant curieux qui savait très bien qu'il n'avait rien à faire là. Quand enfin il jeta son dévolu sur le piano, ses doigts se posèrent sur les touches avec lenteur, dansant d'une touche à l'autre avec langueur. Peu à peu ces notes improvisées se métamorphosaient en une douce mélopée, alors que Melancholy commençait à jouer la Sonate au Clair de Lune, dans la solitude de la vaste pièce. Le rythme de ses mains était aussi parfait que ses mouvements, et aucune fausse note ne venait troubler l'harmonie de cette musique. Sa prestation était tout bonnement excellente, et le Prince, qui se laissait emporter par les notes, en oublia où il était et pourquoi il était là. Il s'imaginait au Palais, entouré de sa mère et de son père, jouant pour eux.

Chaque fois qu'elle venait dans cette partie silencieuse du lycée, Kasja avait un pincement au coeur. Pourquoi la salle de musique était-elle aussi muette, aussi silencieuse, aussi vide, aussi seule terriblement abandonnée par les élèves, les instruments laissés à leurs tristes morts, entourés de leur linceul de poussière. Personne ne s'intéressait vraiment à la musique, aux notes qui perlaient le long des oreilles pour venir titiller le coeur, aux rythmes qui lacéraient les chaires pour pénétrer l'âme. Tout le monde se désintéresser de choses essentielles. C'était donc le coeur lourd de l'enseignant qui faillit à son devoir, que notre jolie et jeune professeur de musique aux cheveux rouges s'approchait à petit pas vers sa classe surement vide. Elle était habillée de son habituelle robe en dentelle qui flottait joyeusement dans l'air à la recherche de quelques regards à accrocher. Elle devait encore faire un aller-retour pour avoir oublier sa deuxième sacoche avec ses clefs de voiture. Elle qui voulait partir vite pour retrouver son calme et sa maison, elle était servie. Comme d'habitude, me direz-vous, elle oubliait ou sa sacohe de cours, ou sa sacoche privée...

Et quelle ne fut pas la surprise de la jeune professeur ?! Du bout du couloir, une mélodie, chaque son montant dans l'air et venant se suspendre aux oreilles de Kasja, chaque tonalités, chaque notes venant jouer avec son cœur qui bondissait de joie dans sa poitrine. Un élève égaré, une pauvre brebis s'était donc arrêtée dans l'étable de la musique, le temple dédié à son cher don ? C'était donc possible ? Un enfant au cœur assez émotif pour s'intéresser encore à la musique était donc là...? Était-ce réellement possible ? Et en plus de cela, il jouait la sonate la plus connue de Beethoven. Elle hésitait entre pénétrer sans un bruit dans la salle ou rester juste au dehors, avec des coups d'œil d'adolescente dans la classe, comme une gamine qui épie un gars qu'elle trouve craquant.

Elle passa son doigt sur la porte pour la faire un peu tourner et entra dans la pièce silencieusement, jetant un regard au pianiste tout à sa tache. Pianiste qui n'était pas de ses élèves. Elle avait la forte habitude de se rappeler exactement les visages des jeunes hommes, surtout de ceux qu'elle trouvait à son gout. Et celui-là, faisant parti de son gout, le fait qu'elle ne s'en rappelle pas, qu'elle ne le connaisse pas, expliquait très bien qu'il n'était pas un de ses élèves. Il paraissait assez jeune, mais plus âgé que ses élèves habituels. Pour l'âge, il était vrai que Kasja n'était pas l'exemple à suivre, on hésitait entre la prendre pour une jeune élève ou une très jeune élève, avec son style de petite poupée enfantine, ses longs cheveux, son regard d'enfant et son visage d'adolescente. A première vue, on ne savait jamais qu'elle avait 26 ans, à son plus grand plaisir. Et cet élève qu'elle ne connaissait pas et qui ne devait pas la connaître, était l'occasion de jouer plus encore sur sa jeunesse. Autant ne pas se présenter en tant que professeur. Pas tout de suite, du moins. Elle s'assit sur le dossier d'une chaise, détaillant le jeune homme qui jouait la sonate parfaitement. Son oreille de musicienne aguerrie notait qu'il n'y avait aucune hésitation, un technique du rythme sérieuse et une connaissance du par cœur assez époustouflante. Kasja souriait doucement, dodelinant de la tête avec la mélodie.

Quand il posa l'accord final, la demoiselle ne put s'empêcher d'applaudir avec un grand sourire heureux. Il existait encore des gens que la musique intéressait.

"-Wahou ! Tu joues vachement bien..!" Elle se releva du dossier de la chaise, chassant cette position pour le moins indécente et avança à petits pas vers le jeune homme blond. "Je ne t'ai jamais vu en cours de musique..." La phrase dévoilait un peu son statut dans le lycée, ou montrait juste une élève qui cherchait à connaître des musiciens. C'était à son interlocuteur de choisir. En tout cas, elle enrobait, à son habitude, ses paroles d'un sourire charmant, sa voix mélodieuse jouant avec les mots pour s'insinuer dans les oreilles du blond.