Après l'incident avec la femme dans la rue, Pipa se contenta de suivre la femme qui la guidait à-travers ce village, sans dire un mot et sans regarder personne, la tête basse et les mains croisés au niveau du nombril... on aurait dit une enfant prise en faute, ramenée par les autorités chez ses parents. La jeune esclave avait un peu de peine pour cette pauvre femme qui était partie sans que personne ne semble faire attention à elle... c'était la première-fois qu'elle décevait une "personne libre", comme elle les appelait. Peut-être aurait-elle dû jouer la comédie, dire que oui, elle était Touahya... peut-être que c'était ça, qu'on attendait d'elle, en réalité, sans qu'elle n'ait saisi le sens de l'ordre... mais maintenant, c'était trop tard. Tendis que les deux femmes gravissaient les marches qui courraient le long du village, puis en-direction du temple, Pipa ne dit rien... mais autour d'eux, les gents jasaient, que ce soit mentalement ou à haute-voie... on s'étonnait, on était outré, de sa façon de se tenir, soumise et peureuse... et on était aussi surpris par sa façon de bouger. Un tengu avait une façon de marcher droite et fière... elle, elle était courbée, comme si elle cherchait à paraître plus petite, et elle se mouvait de façon étrange. Ses ailes aux plumes roses bougeaient à chacun de ses mouvement, au-lieu de rester repliée le long de ses coudes. On aurait dit qu'elle dansait à chaque nouveau pas.
Dans le bureau de Madame le Maire, Pipa ne parla pas d'avantage que durant la marche... mais elle obéit sans discuter à tout ce qu'elle lui demanda et se laissa observer sans broncher. Elle écoutait à-peine ce que les deux femmes-oiseaux se disaient entre elles... elle regardaient autour d'elle, ne bougeant que les yeux, avec une timidité empreinte à une certaine curiosité. Elle ne restèrent pas bien longtemps, cependant... et, se demandant toujours ce que ces créatures qui lui ressemblaient temps pouvaient bien compter faire d'elle, c'est ainsi qu'elle se retrouva à nouveau sur le dos d'Ebolia, en direction du sommet de la montagne. Si celle-ci lui dit quelque-chose durant le voyage, elle ne l'entendit pas... elle était tout à sa terreur du vide.
Elles ne voyagèrent pas aussi longtemps que durant l'allée jusqu'au village, cependant, et se posèrent sur ce qui ressemblait à une sorte de plateau rocheux. Derrière-elles, une forêt faite uniquement d'arbres morts, sinistres et sombres, où seul les vols de corbeaux semblaient trouver leur place, leur coupait la route... et devant-elles, encore plus étrange que cette forêt morte, se trouvait un épais mur de brouillard blanc, tel un rideau voulant leur couper la route. Pipa s'était laissée tomber à genoux, le temps de reprendre ses esprits... et avant que elle ou Ebolia ne purent prononcer une parole, la voie le plus étrange qu'elle n'ait jamais entendu se mit à retentir... elle avait l'air d'être faite de plusieurs voies différentes qui disaient toutes la même chose, des voies venant du vent lui-même qui vint ébouriffer leurs plumes, une voie puissante, mais qui n'était pas assourdissante... une voie qui leur dit :
-Inutile de vous expliquer : je sais pourquoi vous êtes là. Je vous attendez. La forêt entière ne parle plus que de cette nouvelle oiselle qui a léché les pieds de notre princesse... je me doutais que la maire ne tarderait pas à me l'envoyer, pour que je lise un peu son âme.
Deux points jaunes lumineux s'allumèrent alors au milieu du mur de brouillard, et ces points se muèrent petit-à-petit en deux gros yeux alors que, sortant de ce brouillard, une tête immense, rouge, au long nez pointu, leur apparaissait. Ses cheveux semblaient être fait du brouillard qui l'entourait, et son rictus laissait montrer des dents qui ressemblaient à des briques blanches-craie. Il dévisagea les deux nouvelles arrivantes de ses yeux qui brillaient comme des phares dans la nuit. Pipa fut terrorisée par cette apparition. Tremblante, elle ferma les yeux, poussa une sorte de glapissement plaintif et se couvrit le visage de ses mains griffues. L'apparition observa longuement les deux nouvelles arrivantes, et s'attarda un instant sur la guerrière qui accompagnait Pipa :
-Ebolia, quelle joie de te voir. La dernière fois que j'ai posé les yeux sur toi, tu avais du jaune d'oeuf dans les plumes et tu réclamais des vers... bah, j'avais encore un corps, en ce temps là. Chose inutile qu'est le corps, si tu veux mon avis... trop d'entretiens. Mais bon, c'est vrai que maintenant, je ne peux plus me gratter le nez...
Puis le visage se tourna vers la petite esclave, l'observant de ses grands yeux jaunes, lisant en elle... Pipa tremblait et faisait bruisser ses plumes, regardant la scène au-travers de ses doigts écartés. La brume se mit à se mouvoir et plusieurs longues choses qui ressemblait à des tentacules en sortirent. Deux entourèrent les poignées des Pipa... elle craignait la constriction, mais en réalité, ce fut avec une grande douceur que le shaman opéra... et la forcèrent à se relever et à écarter les bras de son visage.
-Je ne voudrais pas me montrer impoli, ma petite, dit la tête géante, agacée, mais je suis un esprit occupé. Alors s'il-te-plais, ne résiste pas.
Et Pipa obéit, laissant les tentacules de brumes faire ce qu'elles désiraient d'elle... elle en firent bien moins que ce qu'elle avait imaginée. Elles se contentèrent de la soulever doucement, et le visage l'observa de près... il regarda bien des choses auxquelles on ne s'attendait pas forcément : il regarda dans ses yeux, à l'intérieur de sa bouche, le creux de chacune de ses serres, mains ou pieds, dans ses oreilles et même dans ses narines, et fureta un moment entre ses plumes... et, pour finir, le vent se leva, et un cheveux de Pipa fut arraché. Sentant comme une piqûre, elle se gratta la tête, et le shaman la posa sur le sol où elle tomba assise une fois qu'il la lâcha, ayant du mal à se remettre de ses émotions. Le cheveux blond fureta un instant dans l'air... puis l'esprit-tengu ouvrit grand la bouche... Pipa frissonna en voyant qu'il était capable de l'avaler d'un coup... et la referma sur le cheveux. Il se mit à mâcher de façon exagéré, passant le cheveux d'un côté à l'autre de sa bouche en roulant des yeux. Au fil des secondes qui passèrent, il commença à réprimer une grimace révulsé... puis finalement, il cracha, et le cheveux partit se perdre dans la nature.
-Pouah ! Répugnant ! S'exclama-t-il de sa voie de grenouille.
Pipa ne savait pas qu'elle avait aussi mauvais goût... mais ce n'était pas elle, qu'il trouvait répugnant, c'était ce qu'il avait trouvé en elle. Car le simple fait de la goûter lui avait raconté bien des histoires, et lui avait fait comprendre bien des choses. Le shaman se tourna alors vers Ebolia et lui annonça :
-N'ayant pas été présent, je ne peux pas savoir tout ce qu'elle a pue endurer, mais je peux au moins deviner certaines choses... et je peux déjà t'affirmer ceci : Edolie a raison, c'est bien Touahya... afin, tout du moins elle l'a été, un jour. Mais si son corps est toujours là, son esprit à disparu depuis longtemps. J'ai décelé les traces de l'alchimie, en elle, une pratique alliant magie et science... je ne l'ai jamais pratiqué moi-même, elle est sacrilège, si tu veux mon avis, mais je sais la reconnaître. Ces traces sont vieilles, mais la magie ne disparait jamais totalement une fois qu'elle a été employée. L'alchimie consiste à transformer une chose en une autre... l'eau en solide, le plomb en or, la pierre en sel... et dans son cas, on a transformer sa mémoire... non, en-fait, je dirais qu'on la lui a complétement détruite. Je pense que juste après l'avoir capturée, les esclavagistes lui fait boire un breuvage qui lui a effacé tous ses souvenirs... et quand je dis tous, je veux dire qu'elle n'avait pas plus d'esprit qu'un oisillon lorsqu'elle s'est réveillée. Oubliés sa famille, son village, ses amis... oubliés son caractère, son honneur, et même sa race. Il a donc était simple pour eux lui faire croire ce qu'ils voulaient, de faire d'elle ce qu'ils désiraient, de faire d'elle la pitoyable créature que nous avons ici aujourd'hui.
Il baissa à-nouveau les yeux vers Pipa, qui effectivement était... comment dire... plutôt pathétique. Assise à-même le sol, tremblante, le visage baissé, soumise, elle ne semblait n'être capable que d'attendre... attendre qu'on lui donne un ordre, ou attendre de voir enfin ce que ces hommes-oiseaux chez-qui elle était tombée lui réservaient.
-Deux choix s'offre à vous, maintenant : bien-sûr, elle déshonore les tengus par ses actions, et par tout ce qu'elle a due faire durant ses trois années de captivité. Elle a plongé la princesse dans la honte par sa réaction, et je sens bien qu'elle dégoûte tout-le-monde, en-bas... mais si on suit mon jugement, rien de tout-cela n'est de sa faute, ils ont réussir à lui faire croire qu'elle n'était qu'un objet. Regarde ses yeux... ils son éteints, elle n'a aucun espoir, et ignore ce qu'est la liberté. Cependant, vous pourriez décider, pour tout-cela, de l'abandonner à son sort. Ou alors, je pouvais tenter de la ramener. Je pense qu'il n'est pas trop tard, elle peut encore être sauvée. En lui apprenant qu'elle n'est pas obligée de se soumettre, qu'elle est une créature libre, les merveilles et les devoirs de notre espèce, peut-être... je dis-bien peut-être... pourrait-elle réussir à échapper à l'existence dans laquelle elle a passée ces trois dernières années. Elle ne retrouvera pas ses souvenirs, mais elle pourra redevenir l'une des nôtres. Ce ne sera pas facile, cependant, il faudra faire preuve de patience et de douceur, envers elle... lui demander de ne pas se montrer soumise, ce serait comme te demander à toi de marcher à quatre-pattes devant l'armée de la princesse, si tu vois où je veux en venir. Mais si vous vous montrez patientes, alors, peut-être, pourra-t-elle devenir une honorable tengu. Elle aura cependant besoin de ses parents... et également de Ukiyoe. Elles étaient amis, durant leur enfance, après-tout. Touahya l'a oublié, mais j'espère que elle, non. Bien, maintenant, laissez-moi. J'ai d'autre questions existentielles auxquelles je dois trouver réponse.
Et le visage disparu dans la brume aussi vite qu'il était apparu, coupant brutalement la conversation, laissant seule la gerrière-tengu et la petite esclave effrayée...