Un rapide coup d'œil l'informa qu'on avait pris soin de fermer les fenêtres. De même, l'entrebâillement de la porte ne laissait plus filtrer le moindre faisceau de lumière, son battant ayant été méticuleusement poussé. Ce qui amena la Marquise à penser que ce qui venait de pénétrer dans la chambre n'escomptait pas en sortir dans l'immédiat. Surgie d'un angle mort, la réplique de l'intrus la cueillit au visage. Brutalement. Rejetant la tête en arrière sous la violence de l'impact, l'Indocile jura. Un violent vertige supplanta l'éclair de souffrance, lequel crépita dans son esprit en un festival d'étincelles pourpres. Ses réflexes voulurent lui épargner un second assaut, mais, biaisés par son étourdissement, ils ne firent qu'happer l'air en vain et son crâne s'écrasa contre une surface dure, lui soutirant cette fois un son douloureux, ponctué par un choc sourd. Métallique, le goût du sang envahit sa bouche, amère rançon de son impuissance. Elle en souilla les draps, comme une poigne impitoyable la maintint sur le ventre, contre le contact faussement réconfortant du linge de maison.
Le temps de rassembler ses esprits et elle sentit l'effroyable pression exercée contre son bras cruellement remonté dans son dos. La force déployée ne pouvait décemment pas appartenir à un simple mortel -il n'aurait alors pas pu rivaliser.
Bordel. Ce type était-il réellement capable de lui casser le bras, en dépit de sa condition inhumaine ? Sans doute lui aurait-il fallu forcer dans des proportions qui l'étaient toutes autant -inhumaines, pour venir à bout de l'articulation. Un instant, elle le crut prêt à en faire la démonstration, la faisant grincer des dents. Alors que la charnière de son épaule lui faisait connaître d'odieux tourments, l'étranger préféra finalement opter pour un moment de répit, prenant la parole. Et, en l'espèce, elle n'avait rien de mieux à faire que de l'écouter. En outre, elle restait très désireuse de connaître les motivations de son agresseur.
Cogner d'abord, causer ensuite, voilà qui avait de quoi le rendre particulièrement antipathique aux yeux de la démone.
Son discours possédait les relents insipides d'une vieille rengaine. D'une devise apprise par cœur pour se conformer à un ordre établi, effaçant l'individu au profit de la masse. Il avait adopté le ton impersonnel et froid d'une machine dépourvue de conscience. Le récital d'un parfait petit mercenaire, en somme. Ou bien celui d'un homme brisé.
" Hmpf... " Ravalant une plainte, Mélisandre fronça le museau. Plus que l'emprise qui se raffermit sur son bras, ce sont les mots, infâmes, qui la firent tressaillir.
Je vais te baiser. Le dégoût s'associa à la douleur et au sentiment de frustration pour étreindre ses trippes. Tétanisée et rongée de fureur, elle reconnut la caresse d'une haleine tiède, près de son lobe.
Prime. Vivante. La brunette écarquilla un instant les yeux, sous le coup de la révélation. Il s'agissait bel et bien d'un mercenaire. Et la seule raison qui pouvait motiver sa présence importune se trouvait à Ashnard. Oh, la belle n'avait pas oublié
les évènements qui s'y étaient déroulés. Au sein de ces contrées maléfiques, elle se savait toujours considérée comme une fugitive. Une
esclave. Ce terme, frusque à son oreille, l'emplit de répugnance et de mépris. Il lui faisait horreur. Au moins autant que le membre érectile qu'elle sentit s'immiscer entre la vallée de son fessier, qui la rappela à des préoccupations bien plus concrètes. La répulsion qu'il lui inspirait hérissa sa peau cuivrée de petits frissons rebutés. Elle avait renoncé à se débattre, au risque de voir sa queue glisser et s'introduire accidentellement en elle ou accroître la contrainte appliquée contre son bras.
" Il y a une troisième option ", marmonna-t-elle, avisant alors la lampe à pétrole reposant sur son chevet.
Par chance ou bien peut-être par négligence, l'un de ses bras jouissait encore de sa liberté de mouvement. Il n'en fallut pas davantage à l'Indocile pour saisir l'opportunité. Sa main fusa pour briser le luminaire qui répandit son combustible, les éclaboussant tous deux. En un claquement de doigts, une flamme jaillit de sa paume et l'embrasa. Une langue de feu surgit aussitôt, vorace et déchaînée, dévorant le plancher et le lit. Le brasier les happa et Mélisandre profita de la retraite du stipendier pour se dégager et s'emparer de la garde du couteau lestant sa hanche. Se reculant à son tour, elle se campa près de l'incendie, manifestement insensible à la chaleur insoutenable dégagée par son crépitement fiévreux. Le feu s'appliquait à lécher le ventre rond de la future mère en la parant de reflets rougeoyants, presque sanglants. C'est en épongeant son nez poissé de sang que la jeune femme réalisa la nature de l'objet qu'elle tenait.
Une arme Tekhane. Ce qu'elle avait pris pour une hampe s'avérait en fait être la crosse d'un flingue à énergie. A Nexus comme à Ashnard, se trimballer avec de la technologie Tekhane était considéré comme un crime. S'alignant sur cette logique, le continent matriarcal punissait sévèrement ses ressortissants en possession de ce genre d'arsenal -du moins, ceux qui se faisaient prendre. Cet homme était-il un exilé ? Fuyait-il quelque chose ? Si elle imaginait aisément les raisons pour lesquelles un homme Tekhan pouvait abandonner sa patrie, ça ne justifiait en aucune façon les manières de son hôte. Dans un reniflement sec, la diablesse étudia brièvement l'arme pour la charger, soutirant au Vanguard un bourdonnement certainement familier à son ancien possesseur. Cette fois, il n'y avait plus de recoins sombres pour s'y cacher. Rugissant et insatiable, le feu en avait épuré la pièce, acculant l'homme loin d'elle. En se propageant, il augmentait les chances de voir les gardes postés à la frontière du domaine débarquer.
" Je ne vais pas fuir ", lança-t-elle d'une voix suffisamment forte pour surpasser le grésillement des flammes.
Elle leva l'arme, lentement. Si elle avait déjà vu des revolvers Terriens, c'était la première fois qu'elle en tenait un Tekhan. A vrai dire, la belle aurait pu vider le chargeur sans avoir la certitude d'atteindre sa cible d'une manière létale ou non. Or, lui ne la louperait pas. A la faveur du clair obscur, elle considéra l'homme sans chercher à travestir le dédain de ses prunelles. Les balafres qu'elle devinait sabrer son visage en disaient plus long sur son parcours que tout le reste. Les reliquats disgracieux d'une existence de chien battu. Ceux de son espèce étaient les plus enclins à mordre. Qu'avaient-ils de plus à perdre, au fond ?
" Je ne vais pas vous tuer non plus ", concéda-t-elle plus doucement.
Elle appuya le canon contre sa propre tempe pour forcer son attention. Son alliage chauffait dans sa main. Là, elle était certaine de pas manquer son objectif.
Vivante, hein ?" Presser la gâchette semble bien plus attractif que d'endurer vos pulsions perverses. Vous auriez tort de me confondre avec une esclave ou une putain. Ou bien les deux. Comme je ne vais pas fuir et que vous n'allez pas mourir dans l'immédiat, il va falloir trouver un compromis ."Elle temporisait. Et pendant ce temps, le brasier gagnait du terrain, rôdant près du mercenaire comme un charognard au pelage flamboyant. Elle le croyait. Ce chien fidèle à ses principes ne cesserait certainement jamais de la traquer si elle le laissait vivre. Et, de son côté, elle n'avait nullement l'intention d'être une proie fuyante. Une seule solution s'imposait.
" Il y a un étalon, aux écuries. Nous allons le prendre et chevaucher de concert jusqu'à la cité maudite. Je m'engagerais à vous escorter sans contraintes si vous me laissez porter le revolver jusqu'aux portes de la ville. Mais, avant cela, il va falloir que vous trouviez un moyen de me convaincre que vous n'envisagerez pas même l'idée de me toucher, que ce soit pour satisfaire vos lubies violentes ou votre libido. Sans ça, je ne bougerais pas d'ici. Libre à vous de partir avant que les gardes ne surviennent pour contenir l'incendie. Dans ce cas, soyez certain que la prochaine fois que vous viendrez, l'affaire sera bien moins simple à mener. Au contraire, si vous acceptez mes conditions, alors nous partirons sur-le-champ et nous profiterons du clair de lune pour avancer sous le couvert de la nuit. Avec une seule monture, nous atteindrons notre destination en un peu moins d'une semaine. Je connais la route. A vous de voir. " Les ondoiements obsédants du feu semblaient souligner ce qu'il y avait de féroce et pernicieux chez Mélisandre. Altière et superbe dans sa nudité, elle darda l'ombre de son regard dans l'œil borgne de son interlocuteur, dans l'expectative d'une réponse, quelle qu'elle soit.