Je n’ai même pas le temps de comprendre qu’une sirène me déchire les tympans, comme un écho à mon cœur qui bat et à mes tempes synchronisées. Pas plus le temps de réaliser que des bras vigoureux me transportent, une civière sans doute, et que le véhicule démarre. Au moins sont-ils rapides au Japon ! Et pas que ça… attentionnés aussi. « Pardonnez-moi (…) », et la politesse s’ajoute même à la douceur de la voix. Je n’avais pas été traité avec autant d’égards, quand je fus bousculé par un buffle en Afrique !
« Moi, c’est Nori (…) ». Oh, Yves, tu dois être en plein rêve, ou c’est le délire qui s’empare de toi à cause du traumatisme. Une infirmière avec une voix si suave. Enfin, une infirmière, il faut voir ! De mes yeux mi-clos, je devine une silhouette ravissante, troublante même (ce qui montre que mes sens sont encore opérationnels), mais toute de noir vêtue. Satan m’aurait-il dépêché l’une de ses sbires pour me mener directement en Enfer, après tous les péchés de chair que j’ai commis ? « (…) s’occuper de vous, pendant ce trajet (…) », je commence à comprendre ; je ne vais pas dans quelque hôpital pour soigner mes blessures, ou quelque autre lieu de délice avec une infirmière aussi divinement moulée, mais direct dans les flammes de l’Enfer.
Je sens ses mains sur ma poitrine, elle a défait ma chemise de lin, elle va me planter quelque chose en plein cœur, c’est sûr ! Je veux me débattre, mais la douleur est là, et le moindre mouvement est un vrai supplice.pourtant, il faut que je me sauve de là.
« Où m’emmenez-vous ? Je ne veux pas aller en Enfer, je ne mérite pas ça ! »
C’est comme si elle n’avait pas entendu ma question. Peut-être ma voix est-elle cassée ? a moins qu’elle n’ait que faire de mes états d’âme, elle qui a dû en voir bien d’autres. J’entrouvre les yeux, la fixant, comme incrédule. Les envoyées de l’Enfer seraient donc si belles ? Ce ne peut être une infirmière, avec un tel décolleté et une culotte noire aussi apparente. Et que dire de ses bas accrochés à de superbes jarretelles ? C’est la première fois que j’en vois, depuis mon arrivée au Japon. Si elles sont toutes comme ça, je sens que je vais trouver mille et une raisons pour fréquenter les urgences…
« Alors, mon Père, comment vous appelez-vous ? »
Sa voix, je ne rêve pas ; c’est bien elle qui a parlé. Je tremble, mais ce ne doit plus être la douleur, plutôt la fébrilité. D’où vient cet ange noir ? Est-ce déjà celui de la Mort, qui vérifie mon identité avant de m’achever ?
« Euh, Yves, enfin Père Yves, parce que je suis prêtre. Mais comment avez-vous vu ça ? »
Là, je viens peut-être de me condamner face au Diable, mais, au point où j’en suis, ses yeux noisette sont comme hypnotiques, et il suffit qu’ils me fixent pour que je me moque d’où je vais, du moment que c’est avec elle.
« Vous, vous m’avez dit que vous vous appelez Nori, c’est ça ? »
Si elle confirme, c’est que ma mémoire n’a pas trop souffert. Tout ce dont je me rappelle, ce sont des coups, et puis le néant jusqu’à ce qu’elle apparaisse. Mais un détail me fait dire que je suis réellement mort ; il paraît que certains, juste en mourant, ont une érection, ultime en queque sorte. Et je ressens très nettement quelque intensité au creux de mes jambes. Si j’ai mal ailleurs, il semble que la tempête qui me soit tombée dessus ait épargné cette partie essentielle de mon corps. Mais il faut éviter qu’elle s’en rende compte !
« Où allons-nous ? Je ne sais pas ce qui m’est arrivé, j’ai l’impression d’avoir pris des coups partout, mais, après, rien jusqu’à ce que je me réveille dans vos bras, enfin je veux dire quand vous m’avez transporté, car c’est bien vous n’est-ce pas ? »
Il faut que je sache comment j’ai pu passer de la sortie de l’église à une ambulance qui roule à toute vitesse. Après, je verrai qui elle est vraiment, et ce que je dois faire.