Avec élégance il reposa le verre que je venais de lui offrir. Loin de m'en offenser, je souris, repose le mien par la même. Il ne boit pas... ? Fort bien, les hommes qui ont une certaine hygiène de vie ont également un certain parfum que d'autres n'ont pas. Oh, je sais que je me répète souvent mais, aussi appréciable que soit le sang d'un « hygiénique » comme j'aime à les appeler, ça ne vaudra jamais le sang d'une vierge... ! Rien que d'y penser j'ai... soif. Mais, inutile de rêver, dans les soirées du baron, si vierge il y a, elles sont immédiatement violées. Pauvres créatures stupides et si aisément manipulables. Un vrai délice à torturer, sans doute. J'avoue sans problème que la torture n'est pas mon bon plaisir, ni mon domaine... Ou du moins, pas ce genre de torture là.
J'eus le temps de voir le baron saluer mon acolyte d'un signe de tête. J'intériorisais un rire : il devait bouillonner de rage que l'on touche ainsi à son trophée, lui qui était si fier de chacune de ses conquêtes, à plus forte raison si elles avaient quelque chose d'unique. Je me contentais de sourire, satisfaite. Il se présenta brièvement, Malakh. Il insista sur son titre, et je retins un sourire moqueur : mon baron n'aurait jamais salué avec pareil respect un simple seigneur sans plus de titre, et il n'aurait pas insisté de la même, lui-même, sur ce fameux titre. Les simples seigneurs ici évitaient même en général d'avoir à énoncer leur titre, si faible en comparaison à d'autres ici.
Je me souvins alors des seigneurs de la féodalité avec un sourire lointain. Les ravages que causaient les duels, et l'arrêté qui tenta de les interdire... Cela m'avait beaucoup contrarié, à l'époque, d'ailleurs ; les duels avaient quelque chose de pratique, ils m'évitaient la chasse et un presque mort a quelque chose d'unique dans le goût, là aussi. Enfin, qu'importe, j'avais pu m'en repaître pendant quelques siècles et puis, maintenant, j'avais une multitude de créatures à goûter, à découvrir.
On disait qu'il y avait par ici des créatures mi chat mi humain, j'en étais d'ailleurs très intriguée : si les chats avaient un goût quelque peu.... étrange, sans être mauvais ni bon en fait, étrange, juste ; mais cette étrangeté alliée au goût si délicieux des humains pourrait être réellement formidable. Plus encore, un jour, j'aimerai déguster un autre de mes pairs, car hormis les morsures que nous nous infligions, Tino et moi lors de nos ébats, je n'avais jamais eu la chance d'ingurgiter, ou plutôt de vider totalement un de mes compagnons d'infortune.
Mon « seigneur » tentait désormais de me mener dans un coin isolé, afin que nous menions une conversation intime, peut-être.... ? Si tel était le cas, il faudrait qu'il se calme un peu, je n'aimais pas que l'on me saute dessus de cette façon. Ses mots résonnaient encore en mon esprit « magnifique »... Il était de dos, je laissais s'échapper un large sourire faisant luire mes canines. J'avais pris l'habitude de les dissimuler grâce à un don commun aux vampires d'un âge moyen : nous les rétractions de sorte que seule la pointe, aiguisée comme celle des humains sous cette forme, ne dépasse et que lors, elle donne une apparence humaine et normale à un sourire. Enfin, réalisant qu'elles étaient de sortie, je les rétractais avec discrétion, sans qu'il ne me voit.
Nous arrivâmes bientôt dans un couloir attenant. Quasiment vide, à l'exception de la comtesse de Rochtigberg qui gémissait de plaisir dans un coin avec un jeune serveur. Je grimaçai de dégoût. Non, pas de dégoût par rapport à ce qu'ils faisaient, j'en avais fait autant quelques instants plus tôt après tout, mais juste par rapport à la comtesse : une femme d'environ cinquante ans, vulgaire comme pas une, et au sens nietzschéen du terme, incapable de passion qui la mette un tant soit peu en danger, et à la vérité, même incapable d'une réflexion qui soit au moins intéressante à défaut d'être pertinente et impertinente, respectivement dans un sens différent par rapport à l'autre.
Je reportai élégamment mon attention sur le jeune homme qui m'avait entraîné à sa suite. Oui, jeune homme, oh, par rapport à moi, il était même un petit nouveau né...
Je ne pouvais m'empêcher de me demander, malgré tout, s'il savait ou non que j'étais une créature nocturne... Je vis le baron me chercher des yeux, inquiet de me savoir seule avec Malakh. Un homme dangereux, peut-être... ? En prenant son bras plus tôt, j'avais senti ses muscles se tendre par la tension que ce contact avait provoqué : il aimait, sans nul doute, avoir le contrôle de la situation, il n'y avait qu'à voir comme, toutes les pistes que j'avais lancé, avaient été écarté par ses soins : alcool refusé, direction opposée à celle que j'avais prise avec lui tout à l'heure, et c'est lui qui me menait, non l'inverse...
Je commençai à apprécier son physique, il était réellement bel homme. J'aimais particulièrement sa barbe mal rasée, tel un baroudeur... il me rappelait Tino, d'une certaine manière...
Enfin, s'il savait que j'étais ce que j'étais, il était sans nul doute être le plus audacieux des hommes que j'ai connu. Baron mis à part. Mais le baron était tout de même une sorte de couard, quoi qu'on en dise. Je le scrutais de mes prunelles d'un vert surnaturel, m'adossant nonchalamment au mur, courbant par là même ma croupe d'où Malakh pouvait distinguer l'audacieuse échancrure. Je le scrutais, non, il n'était pas insensible à mon charme. Y mettant tout mon cœur, j'exaltais mon aura afin qu'il soit davantage sous mon joug, sous mon contrôle, si toutefois je contrôlai mes proies.
Mais, dans le cas contraire, dans le cas où il ne saurait pas... Eh bien, je m'amuserai peut-être un peu ! De ma main droite, repliant le coude, j'attrapais mon bras gauche, pendant à mon flanc, et resserrant par cette posture ma poitrine pour en faire un présent bombé à la vue. Malgré cette posture presque languissante et lascive, mon expression tranchait radicalement, et on n'eût pu penser que quelque dessein se cachait là dessous, on pouvait seulement croire que c'était ainsi que j'étais le mieux, voire peut-être que j'étais gênée d'être ainsi seule avec un homme.
_Malheureusement, j'ai un terrible regret. J'ai été si habitué à voir de belles choses qui n'étaient à l'intérieur que ruines et horreur. Aussi, vu que vous êtes proprement éblouissante, j'appréhende ce que je pourrais trouver en creusant un peu. Rassurez-moi, s'il vous plaît.
Je pris une mine sincère et estomaquée :
_Je me demande, Seigneur Malakh, dans quelle horrible place vous avez bien pu aller pour rencontrer pareille horreur... !
Esquissant une vague révérence avant de reprendre ma position initiale, je pris une mine désolée :
_Vous me voyez désolée, si jamais mon comportement a pu vous faire songer, ne serait-ce que l'espace d'un instant que j'avais quelques mauvaises intentions : vous aviez l'air si sérieux ainsi seul dans ce hall vaste, froid et ostentatoire que j'ai cru bon de vous mêler à la fête. Eusébie Hylde Béatrix Yselda de Courteneuve, monseigneur. Vous pouvez choisir le prénom qui vous plaît le plus, sinon j'ai coutume de me faire appeler Euldexa.
Je fis un petit signe de tête amical, avant de poursuivre :
_... Vous rassurez, vous disiez donc. Mh. Eh bien je viens d'une famille très ancienne comme vous le savez sûrement, une simple famille de seigneurs, propriétaires de terres il y a fort longtemps, nous avons évolué et... me voilà ! Puisque vous m'avez l'air si inquiet je vous ferai même la confidence de vous révéler ce qui passe, aux yeux de nombre d'individus, comme une tare : je suis une vraie dévote. Le baron m'en garde rancune, le pauvre... Mais il est marié. L'adultère est un des pires pêchés, pour le pêcheur comme son complice. Je sais que notre bon ami pêche beaucoup, oh oui, et bien que je tente de le ramener sans cesse dans le droit chemin, je me dis que, au moins, il n'aura pas cette culpabilité supplémentaire sur la conscience, vous voyez...
Je me penchais en avant, le visage à quelques centimètres de son torse : je sentais son odeur, une odeur virile, agréable, dure... Il devait sentir la mienne aussi, je me souvenais de celle de Tino : les odeurs des vampires sont terriblement envoûtantes surtout ajoutées au physique et, penchée vers lui comme je l'étais, il avait une vue scandaleusement plongeante sur mes reins, ce qui devrait embraser son âme.
_Pardonnez-moi messire mais, mon âme n'est guère au repos aux côtés de personnes aux mœurs si légères...
Il était inutile de préciser, les gémissements bientôt hurlés de la comtesse nous parvenaient comme si nous eûmes été son amant...
_... pourrions-nous trouver un autre endroit ? J'avoue que la foule me fatigue, j'étais montée me reposer un instant, leur hypocrisie est étouffante et ce n'est que dépravation où que l'on pose son regard. A vrai dire, mon père espère pouvoir me marier à l'un des amis haut placé du baron, afin de perpétuer la famille dans un lignage noble, si cela ne tenait qu'à moi...
Je ne terminai pas ma phrase, il n'était pas stupide. Je jouais à merveille le rôle de la jeune femme innocente, celle qui, trop heureuse de trouver un compagnon d'infortune, est incapable par la suite de se taire. Et, quand bien même la robe eut pu semer le trouble, l'anecdote paternelle justifiait tout. Je n'avais jamais eu l'air si sincère, en fait. Si je n'avais pas craint le soleil j'aurai pu faire une formidable actrice, j'en suis certaine. Si les vampires étaient connus de tous, peut-être cela serait-il possible. Enfin, peu importe, je n'avais aucun besoin d'argent, et aucune véritable envie de faire du cinéma : refaire encore et encore la même scène, avec les mêmes phrases : au secours !
Mon regard franc et innocent, avec ce quelque chose en plus d'outrageant, troublant, indescriptible et... et destiné à causer la perte d'autrui. Mais, on ne pouvait douter de ma franchise, non, j'étais forcément sincère, cela devait être une invention de l'esprit, lorsqu'on est habitué à voir des horreurs on en voit partout, mais moi, moi j'étais pure, oui...