Des crocs et des chaînes [Kira]

Pouvez-vous imaginer ce que c'est grisant d'être un Dieu? Le pouvoir, la liberté, les femmes, les fidèles, encore les femmes et encore le pouvoir. Kyô volait dans un ciel sans nuage, virevoltant comme un papillon sous l'éclat de la pleine lune, c'était si bon, le silence, l'air qui faisait danser sa longue chevelure noire, et puis c'était tellement bien, ce monde, là, où il n'avait rien d'autre à faire que de se faire plaisir. Enfin, selon lui.
Il se laissait porter par le hasard, survolant plaines et villages, bifurquant et faisant même demi-tour quand l'envie le prenait. Se baladant au hasard au-dessus des contrées du Chaos (sympa comme endroit, pour un Dieu du Chaos), il survola la capitale d'Ashnard. Et c'était plus que tentant d'y jeter un œil.
Il se laissait littéralement tomber, prenant de la vitesse dans sa chute libre, et il allait se payer le toit d'une maison d'habitation. Ou pas, il avait juste l'habitude de faire ça pour perdre de l'altitude, c'était toujours amusant de laisser libre cours à la gravité, de se faire croire qu'il ne contrôlait plus rien. Il reprenait le contrôle à un mètre de l'impact prévu, et s'assit en tailleur au sommet de la toiture. Bon, le truc c'est qu'il ne tenait pas vraiment en équilibre, son pouvoir de lévitation lui permettait de se stabiliser, pour faire croire qu'il était vachement fort. Il se serait assis en l'air que ça aurait été pareil, mais en moins discret. L'avantage des grandes villes chez les Mortels, c'est qu'il y a toujours quelque chose à faire. Et il était bien d'humeur à taquiner des demoiselles en frappant des lascars.
C'est justement à ce moment-là (aucune mise en scène visible!) qu'il entendit un cri, dans une rue un peu plus loin. Le mana était familier: terranide lapin, une très vague empreinte familière au mana de Kyô. Son sens aiguisé en matière de détection magique lui permettait de le savoir, parce que bon, il était très loin d'être comme ses fidèles aux grandes oreilles. D'autres manas près d'elle, hostiles, ça sentait les emmerdes à plein nez. Il décida d'aller voir, en sautant discrètement de toit en toit comme dans les films de ninjas. La rue en question était bordée par les hauts murs qui entouraient les habitations des riverains. La banlieue quoi, vous voyez le genre. Il s'était allongé en haut, sur le rebord, et observait la scène sans se faire remarquer. La donzelle, jolies jambes, jolie poitrine, grandes oreilles, se faisait... un peu attaquer dirons-nous, par des humains avec diverses armes improvisées, batte de base-ball, chaînes barbelées, couteaux pour le saucisson, ce genre de conneries... Et cette pauvre coche encerclée ne faisait rien d'autre qu'appeler au secours en gémissant des âneries du type "mon dieu, sauvez-moi!". Son Dieu était à deux pas, et il ne levait pas le petit doigt. Il observait.
On y était, le type à la batte était passé derrière elle et la maintenait avec son arme en l'étranglant avec. C'était là hein, elle allait dévoiler son côté animal, et tous les déchiqueter sans pitié hein? Ben non, elle se contentait de chialer en implorant son dieu à l'aide, alors que les autres types commençaient à s'en prendre à ses vêtements. Une véritable abrutie. Toujours allongé sur le flanc en haut du mur, la tête reposant dans sa main dansante de mana noir, le fils d'Artémis décida enfin de réagir:

"Arrête de chialer, espèce d'abrutie, personne, ni ton Dieu ni même Moi ne viendra t'aider, et tu finiras dans la rubrique des faits divers.  Apprends à te démerder espèce de connasse, sinon t'es vraiment foutue!"

Il avait de l'estime pour ses fidèles, il ne souhaitait voir que les courageux survivre. Si cette loque ne changeait pas d'attitude, elle allait tout simplement crever. Les loubards, en revanche, étaient assez surpris de voir qu'un témoin les observait, surtout pour ce qu'ils s'apprêtaient à faire. Ils étaient quatre au total, à part celui qui la maintenait, tous lâchèrent la pauvre hère et lancèrent des jurons mauvais à Kyô, à grands coups de "descend de ton perchoir, on va te refaire la gueule". Et lui ne faisait que répondre poliment quelques phrases du genre "Je parle à la dame, alors boucle-là le babouin!", et d'autres convivialités qui raisonnaient fort bien aux insultes de ces Mortels. Le sens de la répartie, c'est pratique. Mais alors quoi, cette fille ne bougerait pas? Il n'y en avait plus qu'un, merde! Elle attendait quoi, qu'un autre danger public se ramène? Ça se pourrait, un petit côté maso... Il espérait ne pas avoir interrompu le tournage d'un bon porno, cherchant les caméras des yeux.

Au final, la ville dont on lui avait tant parlé, Ashnard, n’avait rien de si particulier. Un empereur sadique ? Une armée impériale assoiffée de sang ? La vampiresse n’en avait croisée nulle part. Ou alors était-ce la horde d’hommes stupides et cupides qui avaient tenté de la capturer pour une sombre raison ? Dans tous les cas, ladite horde d’hommes n’était plus en état de faire de mal à qui que ce soit, puisque Kira les avait éjectés hors de son chemin d’une pichenette. Sa force et sa puissance étaient grandes, et elle en était parfaitement consciente. Néanmoins, l’ennui commençait à la gagner. Depuis qu’elle s’était amusée à défier la Faim, elle pouvait résister de longs jours à l’appel du sang, et n’avait quasiment plus aucune envie. Auparavant, lutter contre le Besoin absorbait tous ses efforts, mobilisait son entière volonté. Désormais, c’était le vide. Elle n’avait rien à faire, étant partie en voyage pour se distraire dans une contrée qu’elle ne connaissait strictement pas, et se contentait par conséquent de marcher sans but précis, divaguant comme ses réflexions. Il faisait encore jour lorsqu’elle avait pénétré pour la première fois dans l’enceinte de la capitale de l’empire, mais la nuit était tombée au fil des heures qui défilaient, lui permettant d’ôter le masque qui lui gâchait la vue. Rien n’était intéressant, tout semblait si morne. Les habitants étaient morts de peur dans leurs habitations, craignant une descente des soldats chez eux, leur kidnappant leurs enfants, volant la nourriture et les biens de valeur. La jeune femme était dégoûtée par ces agissements purement humains. Elle leur en voulait d’être si faibles, si haineux envers leur propre race, s’autodétruisant mutuellement avec une fougue qui faisait pitié à voir.

C’est pour cette raison qu’elle avait décidé de prendre parti. Kira avait choisi de s’amuser aux dépends des humains qui le faisaient sur le dos de leurs semblables, puisqu’ils ne faisaient que nuire aux autres. Comme elle, en quelque sorte… Débarrasser Terra des parasites qui la peuplaient tout en se nourrissant, n’était-ce pas réjouissant ? Elle pourrait étancher sa soif sans que son seul ami ne le lui reproche. Elle ne s’en prendrait plus aux innocents, ces êtres qu’il semblait tant apprécier. Des innocents… Personne n’est innocent. Quand bien même un humain le serait-il, la société le pourrirait aussitôt jusqu’à la moelle. Il suffit d’un être corrompu au milieu de dizaines de têtes pures, et toutes les autres en seraient affectées. De toute façon, cela ne lui faisait ni chaud ni froid. Au fond, elle voulait juste se venger sur les autres. Un monstre sadique, sans cœur, inhumain. Voilà ce qu’elle était, malgré son visage angélique et son comportement parfois enfantin. Un petit sourire éclaira son visage, et elle s’arrêta.

Ce fut alors qu’elle se rendit compte que ses pas l’avaient naturellement conduite dans une ruelle sombre, rarement fréquentée par des gens que l’ont pourrait qualifier d’honnêtes et gentils. Pour tout dire, au moment même où elle entrait dans la zone d’ombre, la vampiresse se rendit compte qu’une jeune terranide se faisait agresser par une bande de loubards rustauds et à l’air aussi empoté qu’ils devaient l’être. Soupirant un peu d’agacement, elle s’avança vers eux sans vraiment les regarder, son attention fixée sur la lapine, qui criait de peur. Elle était à moitié dénudée, laissant voir d’assez jolies formes, malgré un regard vide et dépourvu d’intelligence. Elle se laissait visiblement faire, n’essayant même pas de se débattre. Nouveau soupir. Elle mourrait aussi. Kira commençait à en avoir marre, d’aider des potiches qui se contentaient d’appeler à l’aide, comme si… Cette dernière tomberait du ciel. Justement, elle n’avait pas remarqué le dieu qui se trouvait là, perdue dans ses pensées sans fond. Sans parler, sans même regarder dans les yeux ceux qui l’avaient remarquée et qui commençaient à courir vers elle en la menaçant d’une arme, elle attrapa la jeune femme par la nuque, et la balança avec une telle force contre le mur que son crâne se brisa sous le choc. Tant pis. Un des hommes arriva à sa hauteur, et elle trancha net sa gorge d’un coup de griffe froid et calculé. Un second fonça sur elle, mais elle l’attrapa par la main, lui fit faire demi-tour, puis se colla dans son dos. Les autres fuirent, ce qui était très raisonnable de leur part, tandis que leur compagnon emprisonné dans les bras de la vampiresse semblait craindre pour sa vie, non sans raison. Lui au moins se débattait. Peine perdue, la jeune créature planta ses crocs dans la tendre gorge qui lui était offerte, s’éclaboussant au passage d’hémoglobine. Lorsqu’elle termina son repas, elle laissa tomber le cadavre, puis se rendit compte que ses longues mèches avaient traîné dans la plaie et étaient maculées de sang. Les entortillant d’un air ennuyé, Kira se fit la réflexion que ce liquide carmin s’harmoniserait moins avec sa chevelure une fois séché, et chercha un point d’eau du regard. Un point d’eau ? Dans une ruelle ? Impossible, visiblement. Décidément, c’était la bonne nuit, tiens. Haineuse, elle lâcha, de sa voix mélodieuse et chantante, d’où perçait nettement l’agacement, cependant :

-   Ils auraient pu faire des fontaines, laisser des rivières, ça aurait été plus utile et agréable à regarder que ces pavés immondes et sales. Il y a 200-300 ans, c’était pas comme ça… M’enfin… Les hommes n’évoluent pas souvent positivement, on dirait.

C'était quoi, ce mana? Il était noir, lui aussi... Ça venait du coin de la rue. Les types continuaient de jacasser, mais le Dieu avait tourné son attention vers la source de cette énergie. Une femme aux cheveux noirs et aux vêtements sombres, avec un étrange masque attaché avec style sur le côté de son visage. Du style, et vu son aura, de la puissance. Les bandits qui avaient suivi le regard du Dieu observaient l'inconnue qui s'avançait, mais à la surprise de tous, c'est la victime qui avait pris en premier. Kyô haussait les épaules en plissant les yeux, tout en regardant la terranide valdinguer, jusqu'à ce que sa tête s'encastre dans un mur. Ça devait faire mal ça, pas sûr que les Mortels y survivent. Ah ben non, son faible mana avait disparu d'un coup. Son regard revenait sur la femme, qui buvait le sang de l'un des agresseurs. Une Vampire? Cool, le genre de créatures de la nuit, au service du Chaos sans même le vouloir. Il regardait les derniers Mortels restant partir au coin de la rue. Des bruits de chaînes et un silence funeste. Ils ne dégageaient plus de mana.

Il observa à nouveau la femme. Elle faisait des réflexions sur l'organisation du coin, comme si elle avait l'habitude de tuer à la fois innocents et malfaiteurs, sans distinction. Le fils d'Artémis affichait un sourire jovial sous son masque. Il dévoila sa présence en applaudissant la jeune femme. Puis il sauta au bas du mur et s'approcha d'une démarche assurée, passant sa main dans ses cheveux pour rejeter quelques mèches en arrière:

"Pas mal! Le type égorgé avec un doigt... Magnifique! Par contre..."

Son bras embrasé de noir indiqua d'un geste négligent la pauvre femme morte, la tête dans le mur.

"J'étais en train de tester cette conne, voir si elle allait enfin se défendre. Elle avait beau être une dégonflée, je n'apprécie pas ta manière expéditive."

Le mana s'intensifia sur son bras, il dégageait de son aura, en pointant un index provocateur à la jeune femme.

"Tu m'as pris ma proie, je voulais jouer avec. J’exige un dédommagement!"

Les épaisses bandelettes qui recouvraient son visage et son cou disparurent, comme évaporées. Elles dévoilèrent alors son sourire mesquin. Kyô fit une rapide révérence, avec un mouvement négligé du bras.

"Mon nom est Kyô. Tu as une dette envers Moi."

En redressant la tête, il lançait à Kira un regard inquisiteur. Malgré ses airs surjoués, il ne plaisantait pas. Cette inconnue qui dégageait une puissance assez anormale pour un Vampire venait de pourrir son petit jeu. Il aurait pu se faire une nouvelle prêtresse et s'amuser à la torturer moralement, puis éventuellement, se la taper. Et dans le pire des cas, il assistait à un gangbang en direct, ensuite de quoi il leur aurait tous cassé la gueule. Mais plus maintenant, maintenant il fallait tout changer à cause d'elle, elle avait beau être assez balèze, ça n'avait rien d'intéressant, là... Kyô grogna et croisa les bras, ferme devant Kira.

La jeune femme se sentait toujours aussi sale. Le sang maculait ses cheveux et commençait à sécher, lorsqu’il coagulerait cela deviendrait purement intenable. De plus, l’odeur la révulsait légèrement, depuis qu’elle avait pris son dîner. Dîner qui, fallait-il le préciser, n’était pas nécessaire, juste pour s’amuser. Un goûter serait plus à même de définir ce qu’il venait de se passer. Et comme pour parfaire le tout, un dessert venait de se proposer, au vu de l’applaudissement qui indiqua sa présence. L’auteur du bruit était un jeune homme à la chevelure aussi noire que la sienne, quoique plus longue, et aux habits constitués de peu de choses. La vampiresse le suivit des yeux alors qu’il sauta pour se retrouver lui-aussi dans la ruelle, et se fit la réflexion qu’au final, un plat de plus serait un plat de trop. De plus, elle n’était initialement pas venue pour se nourrir mais pour se distraire, et le nouveau venu semblait plus intelligent que les autres, ce qui était un plus nettement appréciable. Quoique, peut-être pas, car il s’approcha avec assurance, sans sembler se rappeler qu’elle venait de tuer sans problème trois êtres vivants. Ou alors était-il lui-aussi doté de puissance et se savait-il hors de danger. L’hypothèse n’était pas à écarter, elle le comprenait bien, ayant vécu des situations difficiles de part son orgueil et son inexpérience, dans sa jeunesse. Kira ne bougea pas d’un pouce, attendant qu’il vienne à sa rencontre, ce qu’il était visiblement décidé à faire. En attendant, elle tripotait une mèche de ses cheveux, cherchant un moyen de l’empêcher de coller à cause du sang. Superficielle, notre vampiresse ? Essayez d’abord de vous asperger la tête de sang en ayant les cheveux longs, on verra bien après si vous faites la fine bouche.

Quoi qu’il en soit, l’autre la complimenta en quelque sorte sur sa technique, s’attirant un regard interrogateur. Cependant, il désigna la lapine dont la tête était en trop mauvais état pour qu’elle ait survécu au choc, ne semblant pas apprécier la scène. Ce fut lorsqu’il utilisa son bras pour lui indiquer le problème que la jeune créature nocturne comprit qu’il s’avérait aussi humain qu’elle, c'est-à-dire pas du tout. Se tendant un peu, les muscles longs et fins sous sa peau se bandant légèrement, comme pour répondre à l’appel du danger, Kira ne fit néanmoins aucun mouvement pouvant laisser attendre à une réaction négative, sachant parfaitement contrôler son instinct animal. L’autre lui annonça qu’il était en train de tester la terranide lorsqu’elle était arrivée, histoire de voir si elle finirait par se défendre. Un petit sourire amusé fit son apparition sur les lèvres vampiriques, qui s’entrouvrirent délicatement sur une douce réponse :

-   À mon humble avis, c’était peine perdue d’attendre. Elle semblait aussi courageuse que le mur avec lequel elle a fait connaissance.

Tout devint alors plus intéressant, l’homme pointa son doigt vers elle, et l’étrange feu qui le recouvrait comme un gant augmenta d’intensité. Sa proie ? Ainsi, il était lui aussi un prédateur, ou du moins se considérait-il comme tel. Cela leur faisait au moins un point commun. En revanche, le dédommagement, il n’était pas prêt de l’obtenir. Et puis quoi, encore ? S’il voulait la jeune lapine, il n’avait qu’à la prendre, ce qu’elle avait fait avec sa vie. Cependant, l’être recouvert de bandelettes fit disparaître ces dernières dans les zones du visage et du cou, lui permettant enfin de le voir. Il s’inclina, puis se présenta. Par politesse, la jeune femme lui rendit son salut en inclinant délicatement son buste, puis lâcha son prénom. « Kira ». Il souriait, lui aussi, mais contrairement à elle son sourire semblait plus froid, moins amusé. Il paraissait sérieux, lui ayant même lancé qu’elle avait une dette envers lui. Une dette ? Elle n’avait de dette envers personne, juste envers son ami. Dette qu’elle réglait petit à petit, en l’aidant à réparer sa bêtise. Là, elle estimait n’avoir commis aucune faute, et ne voyait donc pas ce qu’il lui reprochait. Il grogna et croisa les bras, mais elle n’était pas impressionnée pour un sou. Après tout, elle était l’ancienne amante du dieu de la mort, et considérait qu’elle n’avait rien à craindre d’un être qui ne semblait pas posséder la moitié de ses pouvoirs, malgré l’énergie sombre qui ornait son bras.

Afin de le prouver, la douce créature fit un pas de côté, plongeant son regard cramoisi dans celui de l’homme avec un air de défi, puis se détourna et rejoignit le cadavre qui causait bien des soucis pour bien peu de choses. Prenant la terranide par l’épaule, elle la dégagea du mur, laissant voir son visage, complètement détruit et ensanglanté. Peuh… Quoi qu’il en soit, la vampiresse ferma les yeux. Sa peau sembla fondre, comme si de la fumée passait dessus. Lorsqu’elle rouvrit les paupières, elle avait pris l’apparence de l’autre jeune fille, à la différence que ses yeux demeuraient les mêmes, ainsi que ses habits. Lâchant le cadavre, elle s’avança vers son interlocuteur, un sourire enfantin et ravi sur les lèvres.

-   Toute chose est remplaçable, crois-moi. Cette créature faible et stupide ne méritait pas tout ça. Si tu veux une proie, tu peux t’en trouver une autre, il y en a des millions ici. Tu es dans une très grande ville, il y a des esclaves, des terranides, des esclavagistes, des soldats et bien d’autres réjouissances, pourquoi perdre son temps à regretter une pauvre fille qui ne savait même pas lutter pour sa propre existence ?

C’est alors qu’elle reprit son apparence habituelle, sans crier gare. La jeune vampiresse continuait de sourire agréablement, malgré que ses cheveux soient toujours aussi imprégnés de sang. Passant une main sur ses habits, ces derniers prirent une texture gazeuse, comme du brouillard condensé, avant de revenir à leur état initial, à la différence près que cette fois, il n’y avait pas de sang pour les maculer. Dommage qu’elle ne puisse faire pareil avec sa chevelure… Décidément, elle prêtait bien peu d’attention à celui qui pourrait s’avérer plus dangereux que ce à quoi elle pouvait s’attendre.

Kyô l'avait observée avec patience, assistant à son petit jeu. Métamorphose? Sympa. Mais il n'approuvait pas trop son petit speech sur le fait qu'on puisse remplacer n'importe quoi n'importe comment. Il y avait pas mal de choses à changer dans ce monde, mais le nouveau monde qu'il voulait créer était un monde d'égalité et d'unité dans l'acceptation que chaque personne est unique et irremplaçable, et que ceux qui devaient l'être ne devait en répondre qu'à sa divine Justice. Alors pourquoi perdre son temps ainsi? C'était pourtant simple, il était même assez mécontent qu'avec son nom et son semblant d'attachement à la sous-merde mangeuse de murs, cette créature nocturne ne l'ait même pas reconnu. Il fit une moue boudeuse: sa réputation était loin d'être énorme.

"Je sais pas, peut-être parce que je suis un Dieu, et qu'en remodelant son esprit faible, j'aurais pu en faire la plus dévouée des fidèles. Et ça, ça se trouve pas à tous les coins de rue."

Elle avait complètement évité l'histoire du dédommagement avec son histoire de remplacements. Il était temps de mettre les choses au clair. Et ça aurait été beaucoup plus simple si elle avait su qui il était, ça.

"J'vais la refaire dans ce cas: Je suis Kyô Yamiusagi, je suis le fils d'Artémis et le Dieu des Léporidés. Donc l'abrutie, là-bas, techniquement elle était à Moi. Et quand elle ne cessait de répeter "Mon Dieu sauvez-moi", c'est à Moi qu'elle s'adressait, tu piges?"

Il haussa les sourcils quelques secondes, attendant une réaction. Puis il continua:

"Donc, comme ça m'étonnerait que tu me trouves un terranide lapin, déjà pas très courant, qui en plus soit assez faible pour qu'il voit en Moi son seul espoir de Rédemption, va falloir que tu me dédommages. Surtout que celle-là, elle était plutôt mignonne, et je ne te cache pas qu'il n'y avait pas qu'avec son esprit que je voulais jouer."

Pas besoin de se voiler la face, il était manipulateur et il n'en avait pas honte. Ce n'était pas parce que ça gênait l'éthique des Mortels que ça devait être un tabou pour lui. Il ne cachait pas non plus ses petites folies perverses, mais ça, c'était carrément devenu un épithète quand on parlait de Dieu grec. Il entortilla un doigt dans sa chevelure pour prendre un faux air innocent:

"Ou alors, je t'envoie au royaume d'Hadès à coups de pompe bien placés, et t'en discute avec lui, c'est un copain. Donc en fait t'as pas vraiment le choix, soit tu payes ta dette, soit tu vas voir en Enfer si j'y suis."

Aucune pitié. La soirée commençait bien, jusqu'à ce qu'elle ne vienne tout gâcher. Et comme en général on évite de pourrir la vie des Dieux, on en paye les frais quand ça arrive. Il expirait fort pour montrer qu'il était en colère, mais il ressemblait plus à un enfant un peu bougon qui n'avait pas eu ce qu'il voulait. Et si on avait à comparer son âge à celui de sa mère, ou des autres Dieux, on se rendrait le compte que c'était vraiment ça. Kyô était un enfant, un jeune Dieu un peu rebelle sur les bords. Et comme tous les enfants, il était boudeur et susceptible. Mais comme il pouvait aussi se montrer adulte, parfois mature et même calculateur, on aurait pu le situer dans l'adolescence qui emmerde tout le monde. On se rapprocherait de la vérité.

Le jeune homme eut une moue boudeuse qui amusa fortement la vampiresse. Il agissait comme un enfant capricieux, qui voyait son jouet cassé et en réclamait un autre en dédommagement alors qu’il n’avait jusqu’alors pas eu un seul regard pour le jouet en question. En effet, c’était l’impression que donnait Kyô, malgré son apparence adulte et puissante, et la jeune créature ayant donné son cœur aux ténèbres n’était pas décidée à se laisser faire par un tel type d’homme. Elle avait échappé aux esclavagistes, ce n’était en aucune façon dans le but de se laisser soumettre à une punition imméritée par un être capricieux et buté. Elle lui avait donné son explication ainsi que sa vision des choses, à lui de se débrouiller à partir de cela. C’est alors qu’il lui répondit, affirmant être un Dieu. La jeune femme le regarda avec plus d’intérêt qu’auparavant, se souvenant clairement de ses derniers contacts avec des dieux grecs. Leur apparence était humaine et elle n’avait pas souvent pu les reconnaître du premier regard, donc il était plausible qu’il puisse en être un lui aussi. Il se présenta comme le fils d’Artémis, la déesse lunaire qu’elle vénérait à chacune de ses chasses afin de lui donner plus de forces. Dieu des lapins ? Ça devait être pour ça que son nom ne lui avait rien dit, elle ne s’était jamais intéressée à ces créatures faibles. Quoique… Lorsqu’elle était encore humaine, elle se souvenait de les avoir appréciés, parce qu’ils étaient… Comment dire… « Mignons » ? Bien entendu, sa vision des choses avait changé entretemps, et heureusement.

Dans tous les cas, l’autre avait gagné en agressivité, comme vexé qu’elle ne l’ait pas reconnu. Il se défendit en disant que lorsque la terranide avait appelé Dieu à son secours, c’était à lui qu’elle s’adressait. Étouffant à grande peine un sourire, la commissure de ses lèvres en tressaillit. D’un, la jeune lapine avait dû appeler n’importe qui à son aide pour peu qu’elle y pense, et de deux le dieu en question n’avait pas levé le petit doigt pour l’aider, elle en serait morte peu après, si la vampiresse n’était pas venue abréger ses souffrances. Rien n’aurait changé, à part le temps et la façon mis pour mourir, et Kyô ne semblait pas s’en rendre compte. Ou alors il ne le voulait pas, ce qui ramenait au même. Il s’était tu, comme attendant une réaction, qui ne vint pas. Elle n’allait pas le satisfaire en se mettant à genoux et en criant pardon, et si elle montrait ses véritables pensées, qui étaient loin du remord, il n’apprécierait pas. Donc mieux valait qu’elle attende qu’il continue son discours, ce qu’il ne tarda pas à faire. Il lui avoua qu’il avait souhaité manipuler la terranide, puis s’en servir comme d’un jouet sexuel, ce qui ne fit pas sourciller Kira. Elle était trop habituée aux dieux grecs et à leur libido surdéveloppée… Retrouver une lapine stupide et faible, avec un physique qui donnait envie de la violer sur place ? Cela ne semblait pas si compliqué. Il suffisait de se rendre au marché d’esclaves, il devait y en avoir une dizaine, des comme ça. Leur faiblesse attirait les gros pervers en soif de domination. Quoi qu’il en soit, elle ne jugea pas cela bon de le dire à haute voix, et se retint donc, prenant une inspiration puis expirant, visiblement.

C’est alors que le dieu des léporidés, ce qui sonnait bien mieux que dieu des lapins, lui proposa un choix. Soit elle payait sa dette, soit il l’envoyait au royaume des morts… Un léger frémissement la parcourut. Le regard brillant, tout à coup, la jeune femme se remémora sa dernière visite en ces lieux. Des images de morts tentant de happer son corps dans le but de le vider de son sang, ainsi que du dieu de la mort qui s’amusait du spectacle, attendant qu’elle soit assez soumise et résignée pour la libérer et en faire son amante d’une nuit arrivèrent dans sa tête. Souhaitait-elle y retourner ? La réponse était oui. Une certaine partie d’elle-même avait apprécié le traitement, ainsi que les ébats qu’elle avait eus avec le dieu. Cependant, Kyô avait mentionné Hadès. Ce dernier avait beau partager les pouvoirs du royaume des morts avec celui qui avait partagé sa couche, il désirait la recevoir en enfer pour tout ce qu’elle avait commis. Les juges infernaux en seraient ravis. Après tout, si elle avait échappé à la mort, le dieu qui en avait décidé ainsi n’avait pas demandé son avis à Hadès, qui ne serait que trop content de la garder, cette fois. Mais il se pouvait que son amant la sauve de ses griffes et en fasse une de ses prêtresses. C’était à méditer.

Tout le temps que dura sa réflexion, elle l’avait passé à regarder dans le vide, fixant le mur. Son apparence témoignait de son trouble, elle tremblait légèrement et semblait très agitée. Mais son regard fiévreux et doux se redirigea finalement vers son interlocuteur. Il voulait jouer, elle allait le suivre. Reprenant contenance, un petit sourire flottant sur ses lèvres, elle inclina la tête sur le côté, tentant d’oublier certaines visions trop personnelles qui remontaient à son esprit. Levant un bras, elle passa deux doigts sur sa joue, comme pour réfléchir une dernière fois, avant de sourire, un air joueur et enfantin incrusté sur le visage.

-   Je suis déjà allée en Enfer, cher Dieu, et j’y ai vu et subi certains tourments que peu auraient pu supporter. Mais je dois avouer que les compensations étaient à la hauteur des supplices. Quoi qu’il en soit, si vous désirez me faire y retourner, à votre aise. Vous auriez perdu au profit d’Hadès deux créatures qui connaissent votre existence. Je ne compte pas payer de dette, je n’estime pas en avoir. Vous avez bien dû tuer des humains pour votre propre amusement, et Zeus n’est pas venu vous demander des comptes, visiblement. Quoi qu’il en soit, je sais que vous n’aurez pas à me « botter le cul » pour que j’aille au royaume des morts, et je sais aussi que je reviendrai sur Terra. Ça me prendra juste du… temps.

Attendez une seconde là, STOP! Elle était déjà allée en Enfer? Et cette histoire de compensation, là, ça voulait donc dire que... Qu'elle avait personnellement connu Hadès? Il devait la tenir en estime s'il l'avait laissée sortir, et si comme elle le disait, elle en ressortirait encore. Ça changeait entièrement la donne, si la Vampire était une favorite de celui que Kyô appelait "Onii-chan", pour le taquiner. Il affichait tout à coup un air enjoué, souriant de toutes ses dents, jovial. Si elle était une connaissance de l'un de ses meilleurs amis, c'était pas rien:

"Ah, alors t'es une copine au frangin? T'es excusée alors, je te paye un verre?"

Changement radical non? Mais il connaissait bien le Dieu des Morts, ça avait beau être un ami proche,il valait mieux éviter de le titiller. Ce qui était bien avec lui, c'était qu'il était drôlement fort, comme les autres vieux, mais lui, c'était pas un gros lourd comme Zeus ou sa chère mère. Tiens, en parlant de Zeus:

"Et si, Zeus veut me demander des comptes. Comme beaucoup d'autres d'ailleurs. Mais comme je suis constamment en mouvement, c'est assez difficile de me choper."

Il regarda les cheveux de Kira. Le sang qui s'était répandu dessus allait sécher, ça avait l'air de la gêner. Sans gêne, il attrapa une des mèches éclaboussées.

"T'as jamais pensé à te servir de ta vapeur bizarre, là, pour les mouiller et les rincer? C'est déjà ça!"

Il réalisa alors quelque chose. Poussé par l'amabilité et la bienséance, (peut-être mêlés a du respect et à la crainte du Dieu du Chaos qu'il souhaitait égaler) il l'avait invitée à boire un verre. Et avec quel argent? Il avait autant d'argent que d'envie de s'excuser auprès de ses frères et sœurs pour toutes les saloperies qu'il leur avait faites! Pas d'argent pas de boisson, pas de boisson pas de biture, donc pas de convivialité, et donc, mauvaise soirée. Et merde! Il allait encore devoir arnaquer le tenancier en mettant Suffering en gage. Autre chose, il ne connaissait rien à la ville, à peine s'il se tenait au courant de comment elle était tenue. Alors comment trouver un débit de boisson en banlieue? Ce qu'il pouvait se sentir con! Il mit ses deux mains dans ses cheveux, et s'en servit d'appuie-tête.

"Tu peux m'appeler Usagi si tu veux. Et laisse tomber le vouvoiement, ça me gêne."

Il priait... Bon, il espérait très fort qu'elle n'avait pas pris son invitation si soudaine au sérieux, parce qu'il se voyait mal zoner dans la rue en cherchant désespérément un bar. Surtout que par définition, un Vampire n'a pas toute la nuit devant lui. A moins qu'elle ne sache voler, ça serait plus pratique, à vol d'oiseau. Il décolla du sol de quelques centimètres, l'air de rien:

"On bouge? Ça sent le macchabée ici!"

Par cette phrase, il voulait dire que la pauvre terranide mort, c'était du passé, rien d'autre qu'un autre cadavre de lâche parmi tant d'autres. Son visage se renfrogna l'espace d'un instant, parce que bon, copine d'Hadès ou pas, elle avait quand même dégommé une de ses fidèles juste sous son nez, aussi pisseuse fut-elle.

Il se produisit soudain une volte-face de la situation. Le dieu des lapins ne paraissait plus aussi avide de lui faire payer de dette, au contraire, il semblait même… Enthousiaste. Avait-ce un rapport avec le fait que la jeune vampiresse ait parlé de sa capacité à ressortir librement des enfers grâce à son lien particulier avec le dieu des morts ? Visiblement, c’était le cas. Il souriait, tout à coup plus amical, et lui proposa d’aller prendre un verre. En revanche, le terme « Copine » du frangin en question la fit sourire d’un air amusé. Copine, oui, en effet… Kira aussi modifiait son attitude, quittant la tension qui la rongeait depuis déjà quelques minutes à l’idée de devoir peut-être affronter un être divin, même mineur. Son regard se radoucit, perdant le côté prédateur pour en gagner un plus humain, expressif. La panthère se transformait en chaton…

Kyô lui avoua que le roi des Dieux lui réclamait en effet des comptes, mais qu’il avait pour le moment été trop rapide pour avoir payé ses propres dettes. Et c’était lui qui, peu avant, lui en demandait… Il était plein d’humour, ce jeune dieu ! Cependant, il coupa court à ses pensées en saisissant une de ses mèches imbibées de ce liquide carmin si poisseux. Un petit air dégoûté traversa vivement le visage délicat de la vampiresse, qui n’apprécia pas qu’on lui rappelle ce petit détail si désagréable. Pourtant, il lui donna une idée à laquelle elle n’avait encore jamais pensé. Utiliser ses pouvoirs pour se rincer les cheveux ? La réflexion traversa son cerveau, puis Kira s’écarta un peu du Dieu afin de ne pas le molester avec son essai. Levant une main, elle invoqua mentalement la brume, et la fit recouvrir son membre, avant de glisser ce dernier dans sa chevelure ténébreuse, lui ordonnant de se liquéfier. Se massant vigoureusement le crâne, elle le nettoya ainsi que ses cheveux, avant de rincer de la même manière. Le sang coula à terre, l’eau ayant pris une teinte carmine. Agitant sa tête pour la sécher, la jeune créature se sentit tout de suite mieux, maintenant qu’elle ne sentait plus sur ses tempes le mélange visqueux de sang coagulé dans ses mèches. Satisfaite, elle leva les yeux vers son interlocuteur et lui sourit, soulagée.

-   En effet, je n’y avais jamais pensé… Merci.

En revanche, elle remarqua enfin l’agitation qui semblait poindre dans les pensées du dieu. Malgré qu’elle n’en connaisse pas la cause, la vampiresse ne pouvait qu’espérer que ce ne soit pas un autre revirement de situation, elle n’apprécierait pas de devoir se retourner subitement contre lui. L’observant un peu mieux, elle se demanda alors si ça avait rapport avec elle, ou avec sa proposition d’aller boire un verre. En effet, il ne semblait pas très riche, au vu de ses vêtements, même si cela ne voulait rien dire, pour un dieu. Un autre sourire amusé la prit lorsqu’elle se demanda si les dieux n’avaient pas le pouvoir de créer de l’agent à volonté. Voilà qui serait bien embêtant : un créateur, à la tête d’une multitude de fidèles, n’aurait pas de quoi payer une simple nuit dans une auberge crasseuse ? Cela était drôle à imaginer, mais peut-être vrai. Néanmoins, elle cessa tout à coup de rêvasser lorsqu’il lui proposa aimablement de se référer à lui par un surnom, qui indiquait en quoi consistaient ses fidèles. Hochant la tête pour le remercier de cette proximité qu’il lui autorisait,

Le problème survint quand il décida de léviter au-dessus du sol avant de l’enjoindre de partir avec lui, lui indiquant par là même qu’il n’était plus fâché parce qu’elle avait mis à mort une de ses fidèles. Lui souriant pour le remercier à nouveau, la jeune femme remarqua cependant qu’il regrettait cependant la mort de la lapine. Mais elle avait autre chose en tête pour le moment : elle pouvait très bien le rejoindre et voler avec lui, mais cela signifiait… Qu’elle aurait besoin de ses ailes. Un air dégoûté se peignit sur son visage, et elle ferma les yeux. La vampiresse se souvenait parfaitement de la douleur. La dernière fois qu’elle l’avait fait, c’était parce qu’elle avait été forcée, dans le but de sauver un homme qui était sur le point de mourir. Un homme intéressant, ceci dit, puisqu’il possédait des pouvoirs assez utiles et qu’il aurait été dommage de le laisser finir sa vie dans une ruelle sombre, sans gloire et sans reconnaissance. Quoi qu’il en soit, après un petit soupir attristé, la jeune femme se concentra, et sentit les os percer sa peau. Ils étaient longs, et se déformaient à mesure qu’ils poussaient de son dos. Lorsqu’ils prirent une taille acceptable pour des ailes, une peau douce et sombre les recouvrit, avant de s’orner de petites plumes douces et noires, représentant un mélange entre des ailes d’oiseau et celles d’une chauve-souris, lui permettant de planer si besoin. Du sang, le sien, se répandit sur le sol, derrière son dos. Un éclair de souffrance se lisait dans ses yeux lorsqu’elle les rouvrit, mais laissa bientôt la place à leur expression habituelle. Les blessures avaient cicatrisé, et elle possédait désormais une magnifique paire d’ailes. Kira prit son envol doucement, avec un peu de maladresse, tant elle se servait peu de ces membres nouveaux. Dépassant la hauteur qu’avait prise son compagnon, elle s’éleva jusqu’au-dessus des toits, respirant avec joie l’air frais qui heurtait son visage. Continuant un peu plus, elle sourit avec un air heureux, puis regarda en direction du dieu, un air rieur sur le visage.

-   Si tu veux, c’est moi qui paye. J’ai pas mal d’argent, vu que je prends généralement celui de mes proies, étant donné qu’il ne leur sera pas utile là où elles se rendront. Et si tu veux, je peux te chasser une autre jeune créature stupide et faible, cet endroit en regorge. Cela pourrait compenser la terranide lapin, et tu pourras « jouer » avec, même si je doute qu’elle soit plus amusante que l’autre, qui ne l’était déjà pas assez à mon goût… M’enfin, c’est toi qui vois, cela ne me dérange pas. Tu n’as qu’à choisir et je t’apporte la femelle de ton choix, Usagi. Et dans l’état que tu veux, aussi ! Tu vois, je suis prête à payer ma dette, et je suis sûre que cela sera à la hauteur de ce que tu as perdu!

Il eut un air honteux, l'espace d'un instant. Inviter une demoiselle boire un verre pour la laisser payer, c'était tout sauf galant, ça ne lui correspondait pas vraiment. Il la rejoignait avec hâte dans les cieux, puis regarda les alentours, en dessous d'eux. Il aimait voir les villes depuis le ciel, la nuit. Voir une cité dans l'obscurité, les lumières des maisons se confondre avec le ciel étoilé, ça avait quelque chose de confortable, de rassurant, sans vraiment pouvoir expliquer pourquoi.

"Je te revaudrai ça, si tu dois me payer un verre, considère-moi comme redevable. J'en veux une blonde, bien fraîche."

Allez savoir s'il parlait de bière ou de terranide, lui-même n'en savait rien. Il commença à voleter au-dessus de la ville en cherchant un débit de boisson. Sans s'arrêter de scruter, il demanda à Kira:

"Tes ailes te font mal, quand tu les déploie? Pourquoi tu ne les laisse pas dehors?"

Il était presque étranger à tous ces soucis de discrétion, son tempérament excentrique et sa carrure de mystérieux guerrier noir (c'est comme ça qu'il se voyait), faisaient qu'il ne passait jamais inaperçu, où qu'il aille. Et de toute façon, il n'aimait pas qu'on l'ignore. Comme il voulait dominer le monde, autant devenir le centre d'intérêt de la populace quand il était là.

"Trouvé!"

Il descendit en piqué, et atterrit devant la porte d'un bar. Il avait un genou et une main à terre, les flammes de son bras dansaient, et le sol en dessous de lui s'était fissuré. Quand on est Kyô, on ne déconne pas avec les entrées en scène stylées. Il ouvrit la porte de l'établissement en fanfare, et clama à l'assistance:

"Salut tout le monde, je suis Kyô-sama, à boire, j'ai grand soif!"

Gros silence.
Le tenancier passait un coup de chiffon dans un bock, plusieurs types bien baraqués étaient accoudés au comptoir et lui lançaient des regards mauvais. Il y avait quelques autres clients installés aux tables, et il y en avait de toutes sortes. Dans un coin, un type grassouillet, un peu bonhomme, tenait par des chaînes trois demoiselles fort peu vêtues. Kyô et lui échangeaient un regard haineux. Le Dieu n'appréciait guère les gens qui commandaient les autres, prônant l'égalité des Mortels devant sa seule personne. Le gros semblait ne pas aimer les gens qui se faisaient trop remarquer, aristocrate susceptible qui ne supporte pas la présence de gens plus égocentriques que lui.

"Hé m'sieur, avant de commander aux gens ainsi, faudrait déjà voir si vous avez de quoi payer!"

Et voilà, encore un barman qui jugeait le Dieu à son apparence très modeste. C'était très courant sur Terra, mais ça l'exaspérait à chaque fois. Il essaya de se distraire en reluquant les trois esclaves qui cachaient bien le dégoût qu'elles portaient à leur porc de maître. Mais leur mana restait hostile. Kyô se calmait en admirant la vue, inutile de provoquer une baston de taverne, alors qu'il avait gentiment invité Kira. Et pas question de jouer aux cons devant les amis de Nii-chan, ça entacherait sa réputation déjà trop méconnue.