Je n’avais qu’un seul nom en tête.
Nanika !
Qui était cette petite catin à la voix d’ange qui avait osé me dérober mon joli portefeuille en cuir carmin qui débordait un tantinet de la poche de mon pantalon en toile noire, alors qu’elle m’interpella en quête d’une estimation exacte de l’heure ? Nous discutâmes pendant quelques minutes, je devinais chez-elle un intérêt prononcé pour ma personne, je la vis presque s’émerveiller à la vue de mes canines proéminentes et de ma peau blafarde. Fut un temps, je l’aurais pris pour l’une de mes semblables ! Mais alors qu’elle fit mine de trébucher sur moi…
Cette petite harpie, qui fit pianoter ses doigts de fée sur mon entrejambe, en avait profité pour s’emparer de mon précieux portemonnaie avant de fuir à toute allure ! L’expression de son visage à la vue de mon bien en couleur écarlate était indescriptible ; elle me rappelait les descriptions dont les témoins dressaient de ma personne lorsque je n’étais tout simplement pas assez répu. L’esprit préoccupé par ce larcin coupable, je laissais libre court à ma colère, à mon indignation, passant outre mes interrogations initiales sur la nature exacte de cette fille bâtie comme une femme, mais qui renvoyait plutôt l’image d’une enfant. Je la coursais à travers le quartier traditionnel de Seikusu, bravant les dames en kimono, heurtant les prêtres Shinto, bousculant femmes, enfants, ouvriers, envoyant même dans le décor quelques touristes qui se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment. Dans ma vindicte, tous les moyens étaient bons, je me fichais éperdument, comme d’une guigne, des passants : je désirais, plus que tout, retrouver ce qui m’avait été indignement volé. Je suis certes une crapule, mais cela ne signifie en aucune manière que j’étais dépourvu d’éthique, hein.
En suivant les pas de Nanika qui se déplaçait à vive allure, comme si elle connaissait le moindre recoin de cette section de la ville. Elle me dirigeait jusqu’au Temple. Instinctivement, je crus flairer un piège, un guet-apens, une embuscade, si bien que mes sens, affutés par des siècles de ruses et de ressources ancestrales transmis par le sang, n’eurent de cesse de soumettre mon environnement à d’intenses prospections. Il n’en fut rien. J’entendais son rire cristallin, presque enfantin, mais seulement cela et rien que cela. À quoi jouait-elle exactement ? J’accélérais le pas. Elle redoublait d’agilité pour me mener par le bout du nez. Je maudissais mon impuissance, j’ignorais qu’elle puisse se montrer si vive et si espiègle.
Nanika ! Nanika ! QU’est-ce que tu fais, au juste ?
Toutefois, l’usage de ma force brute me permit d’atteindre rapidement l’étage supérieur où elle jugea sage de se réfugier, à travers une pièce dotée d’un élégant mobilier nippon. J’émergeais de la salle d’en face après avoir littéralement abattu un mur entier par la seule force de mon poing dans un bruit sourd.
Les yeux injectés de sang, les joues écarlates, les doigts peignés de sang, ma peau suintait d’un crachon alizarin, indicateur de mes efforts extrêmes et d’une consommation importante de mes réserves sanguines dûment accumulées au cours de ces dernières semaines afin de garantir et ma souplesse et ma puissance physique.
- Enfin ! Te voilà, petite harpie. Tu m’as donné du fil à retordre, mais tu es finie. Sois gentille et rends-moi ce qui m’appartient. Mon beau portefeuille. Je serai magnanime, si tu me le rends tout-de-suite.
Je m’approchais d’elle d’un pas félin, inéluctable, tel un prédateur qui ciblait un gibier appétissant, la fixant d'un oeil intense et réprouvé.