Johnny errait sur cette terre fantaisiste depuis des jours. Il avait du mal à garder contact avec la réalité. Pourquoi était-il là ? Il se souvenait avoir été à Seikusu et d'un coup,
pouf, il s'était retrouvé au milieu d'un plateau semi-aride avec les rares fringues qui lui restaient sur lui — car il n'était pas en train de jouer au Scrabble, vous vous en doutez —. Mais sa mémoire était devenue traîtresse. Comme il s'égarait en traversant des étendues quasi vides, se nourrissant de ce qu'il trouvait, buvant au moindre ruisseau, au moindre trou d'eau, il songeait à sa situation. Était-il en plein délire ? En plein rêve ? Il avait dû faire un AVC. Il était dans le coma, ou il était mort. Son subconscient avait créé cette épreuve comme une allégorie de l'expiation de ses péchés. Ou bien errait-il ici depuis longtemps ? Toute son aventure japonaise était-elle le fruit de son imagination ? Il n'en savait rien. Il ne savait plus. Il était totalement perdu.
A force de chercher, il était finalement tombé sur un bâtiment. Après avoir pu croire de ses mains qu'il ne s'agissait pas d'un mirage ou d'un autre délire, il avait fait la rencontre du
tenancier, Möleg, un homme aisé, mais affligé par une hernie qui l'empêchait de vaquer aux travaux essentiels. Ses fils, disait-il, étaient partis à la guerre, et sa seule fille avait été mariée voilà plusieurs années. Sa femme avait quitté ce monde depuis longtemps. Il était donc seul, dans son étape de caravanes.
Mais quel était ce monde, exactement ? Par crainte de passer pour un fou, Johnny avait retenu ses mots, mais il lui avait finalement posé la question. L'homme l'avait dévisagé comme s'il venait de recevoir la pièce qui manquait à son puzzle et, comme si ce n'était pas la première fois, il avait expliqué à Johnny que ce monde était Terra, et qu'il était ici entre deux grands empires qui se faisaient la guerre depuis aussi longtemps qu'on s'en rappelait. C'était déprimant, mais c'était la situation telle qu'elle était, et Johnny dut se faire à l'idée de se retrouver dans un monde de niveau manifestement médiéval et ravagé par la guerre. De toute façon, il devait manger et boire, et pour ça il devait gagner sa croûte. Par chance, le vieux cherchait de l'aide !
Voilà un peu plus d'une semaine maintenant que Johnny aidait Möleg. Il n'avait pas été arnaqué et il avait reçu des vêtements, des fringues en lin grossières qui plient mal et grattent mais tiennent au frais et résistent bien. Il mangeait aussi trois bons repas complets par jour. Il faut dire qu'il s'était vite fait au travail. De l'écurie au grenier, il faisait presque tout. Heureusement qu'il avait beaucoup de force ! C'était un quotidien difficile et lassant, mais il avait réussi à rebondir et à trouver un endroit où se remettre de sa soudaine apparition sur Terra. Le soir, ils parlaient au coin du feu avec Möleg, mais Johnny avait fini par comprendre que le vieil homme avait passé, lui, le plus clair de sa vie dans cette étape au milieu de nulle part. Il ne l'aiderait pas beaucoup, malgré les nombreuses histoires extravagantes qu'il avait dans sa gargote.
Depuis quelques jours, le calme plat régnait et Johnny avait eu plus de temps pour réfléchir à sa situation et commencer à avoir le mal du pays. Mais comment lutter contre un événement si absurde qu'il échappait à toute explication ? Il était sur Terre et il était maintenant sur Terra. Quelqu'un le cherchait-il là-bas, ou n'avait-il rien laissé derrière lui ? Des pensées farfelues sur le Destin et la fatalité se bousculaient en lui.
Et puis, la cloche de la porte d'entrée avait tinté, et Johnny, curieux, était allé voir à qui le vieux Möleg vantait la propreté de ses chambres.
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Djoni ! Descends ! Occupe-toi donc de madame pendant que je vais faire réchauffer la soupe !Il avait descendu les marches menant des chambres vers la salle de service et était tombé sur " madame " : une grande jeune femme aux longs cheveux rouges, quasiment nue, portant un énorme estramaçon bien étrange semblant à moitié vivant. En la voyant, son sang monta de plusieurs degrés d'un coup, mais il se contint en estimant, à juste titre, qu'un coup de lame bien placé n'aurait pas de mal à le diviser en deux. Et puis, elle avait l'air épuisée, au bout du rouleau. Quelque chose dans ses yeux appelait à l'aide, et Johnny, un type bien au fond de lui, n'était pas du genre à laisser les gens dans leur merde.
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Euh... Bonjour ? Johnny, c'est moi. Vous... euh... allez bien ? Besoin d'aide pour porter votre épée ?