La douleur. Ah, cruelle et pourtant si familière amie de toujours. Serenos ne ressentait pas souvent la caresse de l’annonciatrice de supplices à venir, et pour tout homme d’action qu’il soit, il dût admettre, quand les griffes de la créature s’enfoncèrent dans sa chair et crissèrent contre les os de sa cage thoracique, qu’il ne s’était jamais vraiment ennuyé d’elle. Par tous les ancêtres, qu’est-ce que cette sensation était désagréable. Mais Serenos Aeslingr était un homme qui ne se laissait pas broyer aussi facilement, même si son adversaire était absolument terrifiante et
très nettement supérieure à lui.
Ce n’est pas qu’Eyia fusse une guerrière plus expérimentée ou plus adroite, mais il y avait de ces créatures dans ce monde pour qui les règles de la physique et même du temps ne contraignaient pas ; qu’importe sa petite stature et son manque d’expérience martiale si, pour elle, un humain était aussi lent et prévisible qu’un escargot.
Un grondement sourd échappa aux lèvres du Roi, dont le regard tressaillit de douleur, et il manqua presque de tomber au sol quand la déesse lui attrapa le visage du Roi et lui enserra la tête comme dans un étau. Si ce n’était pas de son anatomie renforcée par les procédés de Melisende, il eut à craindre que son crâne, voire son squelette entier, ne serait rien de plus qu’un amas de poussière dans sa chair.
- Tu te penses sincèrement capable de te mesurer à la reine des pierres ? Quelle arrogance. Rien ne me résiste.
– Je suis très entêté, parvint à dire le Roi entre ses grognements de douleur.
Et pour le démontrer, le Roi passa ses mains autour de la taille de la Reine des Pierres et, sans crier gare, l’entraina dans une ferme étreinte. Bassin à bassin, torse contre poitrine, presque visage à visage, il sentit
l’entièreté de son système nerveux s’enflammer dans une éruption de douleur telle qu’il n’avait pas expérimentée depuis les donjons de Rajj’tara, et pourtant, comme pour démontrer l’entêtement susnommé, il banda les muscles et la garda contre lui, plantant les pieds au sol.
Les murs de la pièce s’illuminèrent, comme si chaque crevasse cachait de la lave volcanique prête à érupter, alors que le sol au complet se mit à trembler.
Eyia sentit alors ce que Serenos venait de faire quand une vive sensation de pénétration la traversa de part en part ; le Roi de Meisa déversait à nouveau sa magie dans son île. Sous leurs pieds, cet odieux ennemi venait de planter en elle, ou plutôt dans
son île un pieu d’énergie qui, en raison de leur relation fusionnelle, revenait à
lui infliger cette cruelle sensation, comme si un énorme clou lui perforait l’abdomen.
Et pis encore, c’est qu’elle pouvait ressentir la signature du Roi dans cette magie ; c’était comme avoir une part de cette homme dans sa chair, un sentiment qui, pour avoir un analogue plus commun, pouvait être perçu comme un geste absolument infect, cruel et méchant. Puis… vint une remarquable chaleur. De ce pieu cruel qui visait manifestement à lui causer de la douleur, provenait maintenant une vague d’aisance, de calme. Il ne lui faisait plus mal.
– Je peux continuer, grogna le Roi au travers de ce qui semblait être, de son côté, un supplice incommensurable.
***
- Prenez vos aises, chers convives, prononça une voix caverneuse avant d’éclater de rire.
– Oh, que votre voix vous étouffe, grogna le prince.
Un juron purement Meisaen qui, comme vous pouvez le deviner aisément, encourageait son interlocuteur à se taire et crever.
Laurelian posa délicatement la tête d’Aldericht sur le sol, puis se tourna vers les ombres, avant de s’approcher de celle qui lui semblait la plus dense, la plus menaçante, la plus vile. Et ses yeux brillèrent doucement, de la même lueur dorée que celle de Serenos, ou encore du prince, mais avec l’intensité d’une paire d’astre solaires, brillant mais n’émettant aucune ombre.
– Il suffit, souffla doucement la pythie en levant une main et la posant sur « l’ épaule » de la créature d’Eyia.
Un moment de silence suivit, pendant lequel les ombres restèrent comme figé devant la petite princesse.
– Vous le ressentez, n’est-ce pas ?
Elle prit la main griffue de l’ombre et en attira une griffe pour la presser contre sa poitrine, devant l’endroit où se trouvait son cœur.
– Le fil du destin ne se brisera pas ici, que ce soit le mien, le vôtre, celui de votre mère-reine, ou de l’anathème.
Elle pressa la griffe de l’ombre contre sa chair, et la pointe se marqua de sang qui, instantanément, infligea une
horreur viscérale aux ombres. Un murmure glacé se propagea dans la caverne, et une chose était absolument certain ; cette femme allait sortir d’ici, que les ombres le veuillent ou non.
*Aussi... Ow.