- Le Christ préconise de tendre l'autre joue, Jessandra. Ne le dit pas aux fidèles, ma fille, mais je pense qu'il faut de temps en temps aller claquer celle du coquin qui t'a fait du mal. Lui rendre au centuple ce qu'il t'a fait. Le Christ n'a pas vécu dans la favela, amor. Ne porte jamais le premier coup, mais fait payer celui qui te l'infligera. Tu comprends ? [/color]
- Sim, mãe. Les frêles bras de la nonne se refermèrent autour de la nuque de Chavez, qui l'enserra à son tour, cherchant à se fortifier à cette oasis de tendresse. Le nez dans le cou de sa mère, elle avait l'impression d'en sentir clairement le parfum capiteux que la vieille dame avait toujours affectionné. La nonne l'avait porté jusqu'au soir de sa vie, quand l'effluve s'était mêlée aux relents du sang frais. Jessandra avait pensé ne plus jamais avoir ces notes parfumées dans les narines, mais voilà qu'elles remontaient et lui enflammaient le cœur.
Elle délirait.
La brésilienne s'en rendait compte. Le passage à tabac l'avait sonnée, envoyée dans une torpeur comateuse ou elle avait retrouvé sa défunte mère adoptive. Et, comme toujours,
mamãe avait eu les mots. Seigneur, ce qu'elle pouvait lui manquer...
-
Tu as trouvé un garçon, amor ? -
Grayle ? Ce n'est pas...-
Cala a boca, idiota ! Il t'appelle. Les mains de Soeur Edilène, fatiguée et mince, saisirent les joues de Jessandra pour lui faire relever la tête. Chavez ne put voir que le sourire, fin et malicieux, alors que le reste du visage tant aimé disparaissait dans un brouillard étrange. Edilène donna un coup de menton dans l'air comme elle le faisait toujours lorsqu'elle avait ces vérités que seules semblent capables de percevoir les aînés. Sa bouche articula alors quelques mots, sa voix se mêlant à celle plus grave et tout aussi rassurante de Grayle.
- Je
ssandra.
.. réveille to
i s'il te plaît.Ses paupières papillonnèrent difficilement. Sa langue l'informa que son palais était gorgé de sang, ses nerfs que son corps était une carte géographique de la douleur et de la fatigue. Ses yeux s'ouvrirent pourtant, découvrant le goulot de la gourde. La perspective d'un peu d'eau la fit se précipiter comme elle put vers l'objet et elle but tout son soul avec reconnaissance, finissant par cracher la dernière gorgée pour se rincer la bouche.
Un peu plus réveillée maintenant, Jessandra réalisa ce qui l'entourait. Les murs de pierre, les chaînes à ses poignets, la présence de Grayle dont les mains avaient maintenu pour elle la gourde salvatrice. Il avait l'air d'aller bien, et Jessandra adressa au Christ un sourire léger de reconnaissance, ainsi que quelques mots au Pérégrin.
-
Você é um cara grande, finalmente, Grayle. Eles te machucaram ?, s'enquit-elle d'une voix faible, sachant que l'homme comprendrait la langue choisie.
- Suffit, vos messes basses ! J'ai été suffisamment patiente avec vous, Grayle ! Et avec toi, engeance débile ! Arleona était revenue dans l'enceinte de la sinistre geôle, aussi assurée qu'elle pouvait le faire croire après la démonstration étrange de Grayle. Ses mains tremblaient encore, mais sa volonté semblait prête à affronter ce qui l'avait tant effrayée. En un sens, la jeune femme forçait le respect. Toutefois, elle était revenue avec deux Sœurs du Silence, qui tenaient chacun un fouet. L'une d'elle le laissa se dérouler pour serpenter sur le sol, promesse de la correction à venir. Les intentions des gardes et de leur maîtresse ne laissaient aucun doute.
La première Sœur fit claquer son reptile de cuir tressé dans un bruit menaçant qui résonna sèchement dans la cellule, et l'abattit sur Grayle. Comme animé de sa propre volonté, le fouet évita de lui-même une éventuelle riposte ou protection pour aller cingler le dos de l'homme, déchirant chairs et chemise dans une gerbe de sang.
- Nos fouets de correction sont tressés d'obsidienne, qui annule la plupart des pouvoirs ! Puisque vous l'aimez tant, mâle, vous allez partager son sort ! Je vous ai proposé de vous en aller, vous m'avez menacée. Payez donc ! La vérité, c'était qu'Arleona avait été tout simplement terrifiée par le regard que lui avait lancé le Pérégrin et qu'elle aurait trouvé n'importe quel prétexte pour ne plus y être confrontée. Pour s'en prémunir, la jeune femme s'était dissimulée derrière la violence préliminaire et le sadisme, ordonnant aux deux Sœurs de fouetter l'homme jusqu'à ce qu'il s'écroule. Était-ce l'effroi qui la saisissait, ou est-ce que son vernis de sympathie polie craquait simplement pour laisser éclore son véritable moi ?
Les fouets s'abattirent donc comme une grêle impitoyable sur le corps de l'homme et celui de Jessandra, qui serra d'abord les dents.
Avant de hurler à en faire trembler les puissantes murailles de la forteresse.
La douleur, la colère, la rancune, l'inquiétude pour Grayle... Tout cela forma une boule incandescente en elle, qui explosa dans un hurlement qui n'avait pas grand-chose d'humain au vu de sa puissance. La brésilienne releva la tête alors que les tortionnaires avaient suspendu leur geste sous la surprise, découvrant le visage de Chavez serti de deux perles à l'incandescence aussi violente que magnifique.
Instinctivement, Arleona recula de deux pas. Les Soeurs du Silence présentes se constituèrent en un rempart, adjoignant leur glaive à leurs fouets. Dans le couloir qui joignait la geôle et la sortie de la tour d'emprisonnement, tous les gardes sortirent leurs armes, prêtes à en découdre. Seule Ischwalt ne bronchait pas, tétanisée par la vision d'une Jessandra qui s'était dressée malgré ses blessures, tirant sur les chaînes qui se mirent à fondre. En quelques secondes, le lourd acier ne fut plus que flaques rougeoyantes éparses sur le sol.
Devant Grayle se tendit un bras, comme en barrière pour ne pas le laisser avancer. Et, face à leurs adversaires en armes, Jessandra se dressait, nimbée d'une aura surnaturelle qui irradiait autant de lumière que de la colère sourde qui avait créé cette situation.
Pourtant, le visage de la brésilienne se trouvait être d'un calme plat.
Celui qui précédait invariablement la fureur d'une tempête destructrice.
L'une des protectrices d'Arleona décida d'agir la première, estimant peut-être que Jessandra n'aurait pas le temps de réaction nécessaire pour la bloquer. Dans un mouvement-éclair qui méritait le respect, la Sœur du Silence bondit vers Chavez arme à la main pour lui trancher la gorge, mais Jessandra arrêta son poignet dans un réflexe et balança son poing libre dans la demie-seconde qui suivit son action, envoyant la soldate masquée aux entrailles explosées s'écraser contre le mur dans un choc qui la fit passer pour une poupée désarticulée.
- SONNEZ L'ALARME !, hurla Arleona.
Des runes magiques se mirent à lui dans le couloir, et l'instant d'après on put entendre résonner un cor lointain qui devait hurler depuis une des tours de la citadelle des Sœurs du Silence. La Voix chercha à se reprendre, invoquant un bâton magique dans sa main alors qu'elle psalmodiait quelques incantations pour faire naître des boules de feu qui restèrent en suspension autour d'elle comme autant de munitions prêtes à faire feu.
- Tu ne sortiras pas d'ici ! Nous sommes toutes entraînées pour juguler la menace que tu représentes ! {Mettre talents de vous à l'épreuve.}La voix avait quelque chose de surnaturel, comme le bruit lointain d'un orage qu'on savait approchant. Une curieuse sensation pleine de menace, de promesse de douleur. Mais, pour Grayle, il n'y avait jamais que le ton habituel de Jessandra. Enfin, Jessandra... Celle qui promettait à ses adversaires de leur briser tous les os du corps quitte à s'en casser les mains. Rien qu'il ne connaissait pas, finalement, et rien qu'il n'ait à craindre.
La jeune femme tourna d'ailleur légèrement la tête, de façon à pouvoir l'apercevoir et lui offrir un sourire sérieusement étrange.
Un sourire qui, bien que fugace, se voulu rassurant à l'égard de l'homme avant de totalement s'effacer. Dans la rage qui l'animait, Jessandra avait voulu assurer son seul allié qu'elle discernait encore ses amis de tout le reste.
Et elle s'élança vers les premières Soeurs du Silence, son cri annonçant pour la citadelle qui avait eu la prétention de la retenir prisonnière le début d'un orage de fureur et de violence.
Ses poings s'écrasèrent comme jamais jusque là, l'impact des os se retrouvant amplifié par d'étranges détonations provoquées par les coups. Le métal des armures cédait comme du balsa de cinéma et les chairs noircissaient, explosaient comme des bubons trop plein qui relâchaient organes et muscles déchirés. Les corps des Soeurs du Silence étaient réduits à l'état de poupée, propulsés comme des marionnettes contre les murs où les guerrières achevaient leur agonie. Chavez, elle, était un véritable éclair. Déjà rapide, ce nouvel état surnaturel la transformait en forme presque indistincte qui ne se figeait que le temps d'asséner un coup de pied, un coup de poing, avant de passer à sa proie suivante. Et, à ce rythme, le couloir devint vite un charnier sanglant qui ne laissait qu'une Arleona trop pétrifiée pour penser à lancer ses boules de feu toujours en suspension.
Arrivée au monte-charge qu'avait emprunté Grayle pour descendre au niveau de la cellule, Chavez ceignit la taille du pérégrin de l'un de ses bras et, sans forme de préambule, se ramassa sur ses jambes avant de se propulser vers la sortie dans un bond formidable accentué par une détonation violente. A l'étage, Chavez défonça la porte qui vola en éclat dans la cour d'entraînement, ou des dizaines de Soeurs en armes s'agglutinaient à présent, prêtes à en découdre avec les fuyards...