Une sphère lui passa brusquement sous le nez, et Cahir, surpris, bondit en arrière, heurtant le mur de la forge qu’il venait de quitter.
*Qu’est-ce que c’est que ce truc ?!* s’étonna-t-il.
Autant dire qu’il n’avait pas l’habitude de voir des sphères de ce genre filer sous son nez. Les badauds proches de lui en furent également pour leur compte, s’étonnant de la présence de ces sphères. Elles n’étaient pas dangereuses, en soi, et Cahir comprit rapidement qu’elles devaient servir à repérer quelque chose, mais il resta malgré tout méfiant. À Nexus, tout pouvait arriver, et ça, l’apatride était bien placé pour le savoir, à force d’en vivre des vertes et des pas mûres. Originaire d’Ashnard, il avait fait un long voyage pour arriver jusqu’ici, dans cette grande ville turbulente et très animée. On disait que c’était le centre du monde, carrefour de tous les échanges commerciaux mondiaux. Immense, Nexus l’était assurément. On se fondait aisément dans la masse des gens qui la peuplaient. Dangereuse, elle l’était tout autant. C’était parfois à se demander comment cette immense cité arrivait encore à tenir debout, et ne sombrait pas dans le chaos le plus total.
En réalité, Cahir n’aimait pas spécialement Nexus. Il y avait certes le fait qu’il était un ancien Ashnardien, et donc un ennemi d’héréditaire de Nexus, mais c’était aussi la ville en elle-même. Trop grande, trop dangereuse, trop instable. On y trouvait tout ce qu’on voulait, certes, mais on se faisait aussi dépouiller. Il venait encore d’en avoir la démonstration. Pour pouvoir gagner sa pitance, Cahir avait répondu à une offre publique émanant de l’une des garnisons miliciennes de Nexus. Une cocatrix se trouvait dans les égouts de la ville, et les gardes civils, plutôt que de perdre des hommes, avaient mis la tête du monstre à prix. Une prime ridicule, qui ne valait clairement pas tous les dangers qu’il y avait à se rendre dans les égouts, mais Cahir avait accepté.
*Faute de grives, on mange des merles...*
L’apatride avait crapahuté pendant des heures dans les égouts, défiant quantité de noyeurs, jusqu’à trouver le nid de la cocatrix, en suivant les traces de cadavres de noyeurs. Le combat avait été redoutable, surtout dans un espace clos, contre une espèce de grosse poule immense avec une longue queue. Cahir avait ramené la tête de la cocatrix comme preuve de sa mission, et avait espéré pouvoir obtenir davantage de piécettes, mais les miliciens l’avaient vite congédié, en lui donnant sa maigre bourse. Il ne faisait aucun doute que leurs supérieurs au Palais d’Ivoire ne seraient guère ravis d’apprendre que les garnisons locales dépensaient une partie de leur budget en embauchant des privés, plutôt qu’en faisant respecter l’ordre public par eux-mêmes, mais, à Nexus, c’était comme ça que les choses fonctionnaient.
Cahir avait déjà dépensé une partie de son butin en allant à la laverie demander le nettoyage de ses vêtements, et en se rendant ensuite aux bains publics pour essayer de retrouver un odorat. Fort heureusement, la laverie étant dans les bains publics, il avait pu récupérer ses affaires en sortant, et s’était ensuite rendu au marché, afin d’acheter son repas du soir. Finalement, son choix s’était porté sur des crevettes grillées avec un morceau de poulet. Tenant ses articles dans son sac, il était donc sorti du marché... Quand il avait croisé une sphère de détection.
La stupeur passée, Cahir reprit sa route, et croisa un homme furieux, des éclairs crépitant autour de ses doigts, tenant à la main un bocal au bouchon dévissé.
« Bordel de merde, où est passée cette salope ? » fut tout ce que ses oreilles distraites parvinrent à entendre.
Cette histoire ne concernait pas Cahir, de près ou de loin. À Nexus, on apprenait à gérer sa propre merde, et c’était bien suffisant. L’homme, sans s’attarder une seule seconde, marcha donc, et passa dans une ruelle assez sombre sur la droite, petit raccourci menant à son appartement.
La grosse araignée était posée au centre de sa toile, qu’elle avait tissé dans un coin sombre, reculé, à l’abri des multiples vibrations que ses poils ressentaient. Elle avait une très mauvaise vision, mais, grâce à ses poils, l’araignée pouvait repérer les dangers, et savait donc où se positionner pour éviter de tomber sur ces grosses vibrations, qui l’effrayaient, car la dépassaient largement. Elle, elle préférait les petites vibrations, de sa taille, et attendait tout simplement son repas. Elle chassait à sa manière, dissimulée dans l’ombre, attendant...
...Et perçut soudain quelques vibrations. Ses trichobothries détectèrent des vibrations dans l’air qui se rapprochaient, ce qui eut pour effet de la réveiller, de la sortir de sa torpeur... Car une proie approchait. Et cette dernière heurta l’un de ses filets, provoquant une vibration supplémentaire qui remonta le long de la toile, jusqu’à sa tisseuse, et lui indiqua précisément où sa proie se trouvait. L’araignée se mit alors en marche, remontant la toile.
Étant un arachnide, une araignée n’avait pas de crocs, pas de dents. Dès lors, pour se nourrir, elle devait dessécher sa proie, car elle ne pouvait qu’absorber des liquides. Scientifiquement parlant, on disait que l’araignée pratiquait une lyse, c’est-à-dire qu’elle désintégrait petit à petit les cellules, afin de pouvoir les transformer en un liquide qu’elle pouvait avaler. L’araignée réussissait ce phénomène par le biais de ses chélicères, les deux crocs proéminents qu’on voyait sur le devant de l’araignée, et qui leur permettaient de mordre... Ou d’empoisonner.
L’araignée se rapprochait donc, et ne traîna pas. Les grosses vibrations menaçaient toujours quand elle sortait de sa tanière, dissimulée le long du mur. Elle s’approcha donc de la petite créature, désormais bien visible pour elle, montagne massive et terrible. Pour l’araignée, il n’y avait aucune différence entre une fée et une mouche, elle y voyait juste un magnifique festin. Ses glandes séricigènes étaient prêtes à fabriquer sa soie, et il s’effectua donc. Avant de manger, l’araignée recouvrait toujours sa proie de soie. Une première couche sur place, qu’elle solidifiait ensuite en rejoignant son nid. Ses filières, situées le long de ses pattes, recouvrirent de soie le corps de sa proie, formant un cocon, et il planta ensuite ses chélicères dans le haut du cocon, et commença à le traîner derrière lui.
Une tâche ardue, car sa proie était vraiment grosse, alors elle se dépêchait, se rapprochant petit à petit de sa tanière...
*SPLAATCH !*
Cahir ne s’arrêta même pas sur place, la carcasse de l’araignée écrabouillée disparaissant sur le sol, sans réaliser que le cocon s’était collé à sa semelle. Et, en heurtant le sol, la soie se désagrégea rapidement, permettant ainsi à la petite fée de sortir de ce piège mortel...