Ces nouveaux vêtements me semblaient bizarres. Cette impression ne cessait de me tarauder pendant que Lucie papotait avec sa copine, tandis que je glandai sur le canapé. Je tâtai avec perplexité ce pantalon neuf, cette veste impeccable, ses chaussettes douillettes et l’évidence me frappa aussitôt. Alix, t’es vraiment débile parfois. En fin de compte, c’était tout simplement la première fois de ma vie que je portais des fringues complètement neuves, et à ma taille qui plus est.
Celles-ci n’avaient pas de trous, elles n’étaient pas trop grandes, elles étaient propres et n’avaient pas été reprisées cinquante fois dans l’année. C’est donc ça la sensation du tissu neuf, pensai-je. C’en devenait presque fascinant, mais c’était surtout bien plus confortable, au point que j’avais l’impression d’avoir le cul bercé par un édredon. Mieux valait ne pas le raconter à Lucie, j’allais passer pour une imbécile à réagir ainsi. Quoiqu’il en soit, sa grande discussion sembla terminé, et nous sortîmes peu après, cette grande perche me flattant encore la tête. Ce geste devenait une habitude bizarre. Ou alors, je trouvais absolument tout bizarre.
« Bah j’ai encore faim. Tiens, j’vais te montrer une taverne pas dégueulasse niveau menu, et d’habitude c’est dans mes moyens. »
En l’occurrence, mes moyens à présent étaient réduits à zéro. Mais curieusement, je l’avais complètement oublié, mon esprit trop occupée à retourner une pensée encore plus stupide que les précédentes. Avais-je vraiment l’air jolie dans ces fringues ? Non, ce n’était pas exactement ce dont Lucie parlait, elle ne pouvait que parler des vêtements en soi, l’inverse n’était pas possible. Je n'avais jamais été coquette, et alors l'idée que je puisse être sexy ne m'avait encore moins traversé la caboche.
Bref. Je me concentrai sur la route à suivre, emmenant à nouveau Lucie dans les méandres des ruelles, vers une petite auberge du coin. Pas cossu, et elle ne brillait pas non plus pour le luxe, mais la cuisine était vraiment super. Du moins, pour moi qui était habituée des conserves. Au détour d’une rue un peu crade, je retrouvai la vieille façade médiévale, avec sa vitrine proprette et ses pots de fleurs démodés accrochés au balcon. La vielle porte en bois grinça comme d’habitude quand nous entrâmes.
« Tiens, d’habitude j’me cale au fond là-bas. » Dis-je en indiquant à Lucie une banquette moelleuse au fond de la pièce, avec sa table lisse et spacieuse.
La décoration était franchement moche, mais c’était sûrement au goût de l’ex mercenaire qui gérait la boutique, avec ces vieux tableaux de chasse tâchés par le temps et les chopes de bières accrochées au mur. Et cette odeur de tripot un peu lourde qui vous plombe les paupières, ça me rappelait des souvenirs. Autrement dit, on venait rarement m’emmerder ici. Comme toujours, je me vautrai sur la banquette, bien contente de m’offrir un vrai repas plutôt qu’une simple pomme et un jus de chaussettes sorti de ma cave.
« C’est pas mal non ? Bon, c’est pas le grand luxe des machins sur Terre mais bon… Ils font des steak pas mal si ça te branche. Puis c’est tranquille ici, pas trop de monde. » Et aujourd’hui n’échappait pas à la règle, car mis à part les piliers de bar, le reste de la salle était désert.
« En fait, j’venais aussi pour régler des affaires discrètes, et souvent les gens viennent ici pour faire des galipettes à l’étage. Ah par contre, j’te conseille de faire gaffe à l’alcool, c’est un peu le même genre de piquette chez moi. »