Sôma avait décidé de pimenter un peu la traversée. A vrai dire, elle serait de toute façon ennuyeuse... Voir tous les autres s'amuser entre amis pendant qu'il restait seul et sans aucun contact réel avec ses camarades relevait de la torture psychologique. Si il y était habitué au lycée, c'était une toute autre chose dans cet environnement très particulier qu'était le paquebot de croisière qui constituait le cœur du voyage scolaire. Ici, alors que les groupes d'amis se retrouvaient soudés par les circonstances joyeuses et inhabituelles, personne ne viendrait le solliciter pour passer le temps. Sôma était principalement un bouche-trou. C'était comme ça : on ne s'intéressait à lui que lorsqu'on avait pas d'autres choix, parce qu'il était le "garçon sympa qui faisait passer le temps". Gill était tout à fait conscient de son statut et s'en accommodait en relativisant : au moins, il n'était pas seul tout le temps. Mais là, pendant la traversée, il y avait fort à parier qu'on ne se souviendrait pas de son nom. Alors il était parti de la piscine sans qu'aucun prof surveillant les élèves ne cherche à le retenir. Invisible, Sôma n'eut pas de mal à s'aventurer dans les coursives. Dans la nouvelle partie du bateau qu'il avait la ferme intention de découvrir, personne ne ferait attention à lui. Pour une fois, ça l'arrangeait.
Se faufilant dans la première porte venue, Sôma arpenta un sol moqueté qui passait non loin des cabines de première classe. Il en remonta le couloir à pas pressés pour arriver au centre du navire, dans une sorte de cour intérieure qui permettait de rejoindre le restaurant ainsi que les diverses boutiques qui s'étalaient là. Le gamin malingre fit un peu de lèche-vitrine (ça y ressemblait, en beaucoup plus rapide : il passait devant une devanture, s'en extasiait en dix secondes et passait immédiatement à la suivante), s'arrêta pour lire la carte du restaurant en faisant semblant de s'y connaître et en vint à déguerpir rapidement le sourire aux lèvres pour traverser le hall en courant. Il emprunta la première porte pour remonter dans un étage de cabine de seconde classe et mit la main sur ce qui constitua bien vite son Graal, à savoir une porte un peu dérobée destinée au seul usage technique. Après une courte hésitation, Sôma en franchit le seuil pour gagner des coursives bien moins accueillante que les premières. Rien n'était beau ici, la préférence allant au fonctionnel. C'était austère et froid, métallique et peint en blanc. Cela lui plut pourtant instantanément et il se rua dans les escaliers avant de prendre conscience qu'il valait mieux ne faire aucun bruit pour ne pas se faire attraper.
S'imaginant agent secret, Sôma Gill livra une intéressante parodie de Solid Snake. Il s'arrêtait à chaque angle de couloir pour regarder ce qui arrivait, quitte à s'accroupir et même une fois ou deux à f aire des roulades pour rejoindre le côté opposé d'un couloir. Que ce fut une ébauche de talent pour l'infiltration ou simplement grâce à la chance, les marins qu'il croisa ne le repérèrent pas et il en vint à s'aventurer si bien qu'il se perdit. Loin de paniquer, Sôma préféra trouver un coin où réfléchir. Ouvrant une porte un peu isolée, le jeune homme se retrouva dans une pièce dédiée à la mécanique. Sur le plafond et les murs couraient d'épais tuyaux et gaines de fils électriques qui passaient à côté de différentes manivelles et de jauges de pression. Peu rassuré dans ce drôle d'environnement, il traversa la pièce en réprimant un frisson et passa une nouvelle porte, un peu plus accueillante. C'était une sorte de petite réserve de matériel qu'on ne devait pas utiliser souvent puisqu'elle était en fait un foutoir assez impressionnant : on trouvait de vieilles couvertures sur le sol, avec d'anciens draps et même de vieux uniformes de marin. Cela ressemblait à une sorte de petit nid un peu oublié de tout le monde, avec comme fenêtre sur le monde un hublot.
Fatigué par ses explorations et se sentant un peu triste de ne partager sa découverte avec un ami quelconque, Sôma se mit à bailler et s'allongea dans le monceau de tissu, s'y recroquevillant en espérant pouvoir s'y endormir sans pleurer.