TYWILL KORVANDER
Le plus long, indéniablement, fut d’habiller le Roi. En temps normal, Tywill était déjà une masse de la nature, si volumineux à la naissance, disait-on, qu’il manqua envoyer sa mère
ad patres. Cette dernière, fort heureusement, était aussi une force de la nature. Tywill avait enfilé une armure noire avec des pointes sur les épaules et les jambières, une armure noire intégrale faite à partir d’écailles de dragons, comme les armures des Commandeurs. Faute de porter une épée, il arborait avec lui l’arme la plus puissante de tout Sylvandell : le Marteau de Guerre. Un immense marteau doré dont le pouvoir magique ne fonctionnait qu’en présence d’un héritier d’Erwan Korvander. Tywill était sorti du palais, et Léviathan était venu le voir. C’était le plus puissant dragon doré allié aux Sylvandins, l’un des meneurs de cette colonie de dragons. Léviathan avait hurlé, et les dragonniers s’étaient élancés, menés par Tywill Korvander et par Loden, le Grand Maître de l’Ordre des Dragonniers de Sylvandell, et un fidèle camarade de guerre.
Une vingtaine de dragons venaient de débarquer dans le cratère, constituant un soutien difficile à ne pas remarquer. Tous avaient vu, en s’approchant, le volcan en train de gronder. On appelait cette montagne Kor-Tarath, en référence au fort infernal qui s’y trouvait. Tywill connaissait l’histoire de ce fort, un fort infernal, un fort démoniaque, qui existait depuis la grande guerre entre les démons et les anges. Les démons l’avaient construit ici, et l’avaient abandonné en partant. Ils comptaient utiliser ce fort pour réveiller le Dragon Primordial qui sommeillait là-dessous, à l’aide d’un puissant sortilège en magie noire. Ils avaient échoué, et le Dragon Primordial avait été réveillé bien plus tard. Kor-Tarath n’était plus habité depuis des siècles, et, pour Tywill, il était temps d’en finir avec les vieilles reliques du passé. Alors qu’ils approchaient, une vapeur noire était en train de monter, et, à l’intérieur, l’air était irrespirable, viciant vos poumons. Ils avaient également vu l’envol des âmes, un spectacle multicolore de spectres disparaissant dans le ciel, en modifiant la couleur des nuages, comme si l’Apocalypse en personne était en train de se déclencher.
«
Loden, mène tes hommes par l’arrière ! Attaquez les points faibles ! »
Tywill allait se charger en personne de secourir l’Omniprêtre. Il savait qu’il se trouverait tout en bas. Les dragons fondirent en hurlant dans le cratère, contraignant les adversaires, des sorciers et des trolls, à se replier dans le château. Ceux qui restaient dehors se firent carboniser par des jets de feu incandescents, les trolls étant ensuite chargés par la masse épaisse des dragons. Loden et son escadrille descendaient en spirale, balançant des jets de feu sur les piliers de soutènement de Kor-Tarath, ainsi que sur les antiques runes magiques, qui avaient permis, pendant tant de temps, à Kor-Tarath de se maintenir. Ils explosaient dans des éruptions magiques, et les dragons se défendaient contre les assiégés. Les trolls leur balançaient des cailloux, et les sorciers, depuis des meurtrières, des flèches magiques et des sorts magiques. En réponse, les dragons balançaient leur feu. Émanant de dragons dorés, ce jet était meurtrier, terrible, comme si le soleil lui-même vous crachait à la figure ses flammes. Le temps jouait cependant contre eux. Le volcan entrait en éruption, et la lave était lentement en train de monter, tandis que les parois du cratère tremblaient. Les dragons devaient aussi esquiver les morceaux de pierre qui tombaient. L’un d’eux heurta la queue d’un dragon, qui poussa un hurlement en tombant en piqué. Son dragonnier sut cependant rétablir la situation, et le dragon fila à la surface de la lave, avant de remonter en flèche, en rugissant à nouveau.
Quant au Roi, il descendit en flèche vers la pointe pyramidale. Filant sous le château, il se prépara, et, sans plus attendre, bondit dans les airs, filant vers le toit, brandissant vers l’arrière de sa tête son Marteau, avant de le balancer. L’arme infernale tournoya à toute allure, et rencontra le plafond, provoquant une belle explosion, fragilisant le toit. Tywill la transperça alors, récupérant son marteau, et s’écrasa lourdement en contrebas.
DAME GRISE
Que Shizuka ait choisi de la trahir n’était pas surprenant. La pauvre enfant était innocente, et c’était bien pour ça que la Dame Grise ne l’avait pas tué, ni offerte à son maître. Elle disposait encore de son libre arbitre, et, si elle comprenait la nécessité de cette cause, elle ne tenait pas non plus à sacrifier n’importe qui. Elle vit le Roi de Meisa attaquer son propre fils, Xeos. Ce dernier réussit à affaiblir son père, avant de partir. Il avait un rapport à faire, et la Dame Grise devait rester en arrière. Elle vit Serenos la dévisager. Elle était restée inactive pendant tout ce combat, laissant l’homme se défaire de son emprise. On entendait Kor-Tarath gronder. Le volcan se déchaînait, et elle n’avait pas encore prévu de mourir ici. Elle vit Serenos s’avancer vers elle, essayant de protéger Shizuka, tout en lui parlant.
«
Ca ne fait rien, Sérénité. Un bras en moins ou pas, tes projets sont à l’eau. J’ai compris ce que tu recherches ici. C’est Malrünn, n’est-ce pas ? »
La Dame Grise ne dit rien, avant de sourire, lentement.
«
Ce glyphe que tu vois a été inventé par des démons, et a été amélioré par des mages noirs. Cris-tu donc qu’on peut s’en servir ainsi ? Tu vois des évidences là où il y a des suppositions. N’as-tu donc pas compris que je t’ai laissé entrer dans le glyphe ? Je ne suis plus ton élève, Serenos, j’ai été formée aux arcanes magiques, à bonne enseigne. Mon nouveau mentor dispose de sorts qui dépassent l’entendement. Nous ne sommes que des enfants devant son art. »
Serenos devait commencer à les ressentir, ces fameux effets secondaires. La Dame Grise leva la main, et la tendit, écartant chacun de ses doigts. Des ondes magiques en filèrent alors, frappant les protagonistes. L’Omniprêtre, qui avait tenté de se relever, fut à nouveau repoussé au sol, et Serenos fut repoussé, tandis que Shizuka, hagarde, tomba à genoux, épuisée.
«
Mälrunn et Kor-Tarath ne sont que des maillons, de simples cellules. Nous n’avons pas fait tout ça pour réveiller un nécromancien d’un petit château isolé. Les Desseins de la Grande Toile sont en marche, et ce n’est pas toi qui les stoppera. Tu as absorbé l’énergie de ce glyphe ! Très bien, mais, ce faisant, tu t’es lié à ce dernier. Tu m’as ainsi libéré, me permettant de sortir d’ici, et de vous laisser mourir ici. »
Pour réveiller Kor-Tarath, il fallait fusionner avec ce dernier. Comme à Mälrunn, l’esprit du seigneur des lieux était lié aux murs du fort, et ne pouvait en sortir. La Dame Grise avait laissé Serenos sauver Shizuka, et l’avait laissé se ressourcer auprès du glyphe, choses qu’elle aurait pu empêcher, puisqu’elle avait supervisé la conception de ce glyphe. Elle avait juste eu besoin d’un pigeon pour mourir à sa place. Shizuka était encore trop sonnée pour oser se débattre, et, quand la Dame Grise l’attrapa, elle se releva.
«
Je te ramène chez toi, Shizuka. Ton acte permettra peut-être, sur le long terme, de sauver ta chère patrie, et de protéger ta Princesse du funeste destin qui nous attend tous. »
L’Omniprêtre crut bon d’intervenir :
«
Sor... Sorcière ! Ne mentez pas... Ne mentez pas à cet enfant. Tout ça, vous l’avez fait... Dans quel but ? »
La Dame Grise l’observa silencieusement, plantée devant lui.
«
Pour nous sauver tous, Omniprêtre. En tant que serviteur de Batrok, vous devriez être sensibles à ce genre de notions. Les anges, les démons, le Chaos, l’Ordre... Ces vieilles guerres ne nous concernent plus. Vous êtes une relique du passé, comme cet endroit... Comme vous tous. Vous regardez les vieilles frontières sans voir qu’un nouvel ennemi se profile à l’horizon. Le monde ancien n’est plus. Les civilisations sont un concept creux. Nous sommes les architectes d’un monde nouveau et libre. »
Elle termina sa tirade en créant un portail, qui allait lui permettre de s’enfuir. Elle avait finalement réussi à survivre, et c’est avec cette idée en tête qu’elle se dirigea vers ce dernier... Quand un carreau d’arbalète la transperça à hauteur de l’épaule.
CIRILLIA
Après son vol plané improvisé, Ciri’ était sonnée. Elle avait mal au dos, avait chaud, et ses doigts l’élançaient, et elle prit donc le temps de boire une nouvelle Hirondelle. Sa tête commençait à lui tourner, un effet secondaire de la toxicité de son sang. Elle en pourrait pas se permettre de boire d’autres élixirs, et se redressa lentement. En contrebas, il y avait une espèce de festival magique folklorique, avec des couleurs dans tous les sens. C’était beau, et indescriptible. Cirillia voyait la Dame Grise, qui récupéra une espèce de femme aux cheveux violets, toute nue, tandis qu’un glyphe vibrait sous leurs pieds. La chasseresse s’avança lentement, voyant la situation évoluer. Visiblement, ses alliés semblaient avoir du mal à s’en sortir avec la magie, et elle affûta son arbalète. La femme à la longue chevelure grise reprit dans le creux de sa main la femme aux cheveux violets, avant de se diriger vers une sorte de portail.
Ciri’ réagit alors. Elle se redressa subitement, et décocha son carreau. L’arme traversa la pièce, tandis qu’elle sauta par-dessus la balustrade. Elle entendit la femme pousser un hurlement de douleur, et Cirillia roula sur le sol. Elle avait dégainé son épée, et se rua vers la femme, décidée à porter l’estocade finale. Rien ne valait une bonne vieille épée tranchante. Dans les yeux de la belle femme, elle lut une sorte de haine sans nom. Elle avait porté sa main vers sa blessure, au-dessus de son cœur, puis la tendit vers Ciri’, la repoussant à l’aide d’une puissante onde de choc.
«
Ha ! »
Poussant un hurlement de surprise, Ciri’ fut repoussée, et roula sur le sol. Des arcs électriques fondirent alors vers elle. Mettant son épée en biais, pointe vers le haut, elle accueillit les éclairs, qui rebondirent contre le tranchant de la lame, filant dans tous les sens, puis roula sur le côté, cherchant à déborder la femme. Elle s’élança à nouveau vers elle, mais cette dernière envoya une autre onde de choc. Néanmoins, Cirillia était, cette fois-ci, préparée, et bondit sur le côté. Elle glissa sur le sol, et reprit sa course. La Dame Grise utilisa à nouveau la télékinésie, soulevant la jeune femme comme une plume. Ciri’ s’envola au-dessus d’elle, et s’écrasa contre le mur, la tête en bas, maintenue en l’air.
«
Ça, petite pute, tu vas me le payer. »
Le sang s‘échappait de la plaie de la femme, et Ciri’ était immobilisée. Si elle avait eu plus de temps, elle aurait pu imbiber son carreau d’un poison. Devant la Dame Grise, un cristal magique vint se former, s’allongeant, formant une longue pointe, qu’elle aligna vers elle. Tout le corps de la jeune femme était bloqué, comme si n étau lui enserrait chacun de ses muscles. La pression était si forte que la jeune femme ne pouvait même pas remuer la langue ! Elle essayait de se débattre, mais était écrasée par le pouvoir de cette femme. Cette dernière lança alors son cristal, dans le but de le planter dans le crâne de Ciri’... Mais quelqu’un se le prit en cours de route, sautant sur la trajectoire.
C’était Kynarth. Le jeune Commandeur sentit le cristal transpercer sa chair, sur son flanc, et s’écroula sur le sol. La Dame Grise grogna de dépit.
«
Puisque vous désirez tous mourir, je vais vous satisfaire ! »
Elle allait lancer un nouveau sort quand le plafond se mit à trembler. Surprise, la femme leva la tête.
«
Qu... ? »
Ce fut tout ce qu’elle put dire avant que des morceaux du plafond ne lui tombent dessus, accompagnés par plusieurs centaines de kilos de chair et d’armure. Ciri’ sentit la pression se relâcher, et tomba sur le sol. Le Roi de Sylvandell venait d’arriver, et regarda autour de lui, visiblement surpris.
«
C’est quoi, ce bordel ?! »
L’Omniprêtre, blessé, entreprit de se relever.
«
Ton Marteau ! Plante-le sur le sol ! »
Tywill, surpris, obtempéra malgré tout. Ciri’, elle, s’élança vers Kynarth, qui vomissait du sang. Entre-temps, l’Omniprêtre s’agenouilla sur le sol, et se mit à prier. Le glyphe violet se mit à blanchir.
«
On a pas le temps pour ces conneries, le fort va s’écrouler d’une minute à l’autre ! Léviathan nous attend dehors, mais il faut grimper l’escalier pour le rejoindre ! »
L’Omniprêtre ne dit rien, n’interrompant pas sa prière. Il invoquait le même sort que celui qu’il avait jadis fait à Mälrunn, afin d’enfermer le glyphe, et ainsi permettre à Serenos de sortir de ce piège. Entre-temps, le sol se lézardait.
«
...Oblivion sempiternum deamonis... » termina ainsi l’Omniprêtre.
Le glyphe sembla pousser un ultime hurlement. Sous ses pieds, Tywill vit une masse de sang en train de s’épaissir, mais ne se posa pas plus de questions. Il attrapa Kynarth, le portant comme un sac de patates, faisant pour ça pivoter ses pointes vers l’arrière, et s’élança le long de l’escalier.
Il était temps de fuir à toutes jambes.