SHIZUKA SHUNYA
*...Souffrance… Damnation… Mirages…
...Guide-nous…
...Trompé... Jeté... Oublié...
...Larmes... Désespoir...Souffrance...
...Guide-nous...*
Les voix et les images dansaient dans son esprit, formes indistinctes, souvenirs, rêveries, rémanences. La présence du Roi échappa totalement à Shizuka. Elle était comme une torchère blanche dans l’abîme noirâtre, dans un environnement en-dehors de l’espace et du temps. Les plateformes qui s’étalaient progressivement formaient le glyphe dans lequel leurs corps étaient emprisonnés, et elle, elle sentait la douleur de toutes ces âmes en peine. Son esprit était traversé d’images sinistres, où elle les voyait pleurer, hurler en vain. Le passé revenait la hantait, et elle titubait à moitié, ailleurs. Tant de souffrance, tant de douleur... Les paroles des morts étaient terribles, cruelles, et, plus Shizuka errait dans cet abîme, et plus elle commençait à les comprendre.
*...Ma femme était une garce qui m’a trompé... Est-ce un crime de tuer quelqu’un qui a brisé votre âme ?...
...Je n’ai jamais voulu ça, pourquoi, pourquoi, pourquoi, pourquoi...*
Tout n’était que souffrance, larmes, lamentations. La vie leur avait été arrachée, et ils étaient tristes... Leur colère n’était que la conséquence d’une souffrance terrible, celle de la mort. Des âmes en peine, des âmes qu’il fallait guider, qu’il fallait soigner. Ils s’orientaient autour de Shizuka, n’osant pas s’approcher d’elle. Shizuka tendait ses mains vers eux, et c’est à peu près à ce moment qu’elle prit conscience qu’il y avait quelqu’un d’autre avec elle.
Lentement, ses yeux se portèrent sur la silhouette devant elle. Elle lui était reconnaissable, mais elle n’aurait pas su dire d’où il venait... Oui, ce visage lui était familier. Shizuka était intégralement nue, ne cachant nullement son corps, magnifié par les lignes de magie violette qui le traversaient, et par cette aura lumineuse qui la traversait, englobant tout son être. Elle observait le ciel, discernant les voiles noirs.
*...Pas ici... Notre place n’est...
...Pas ici... Ici... Ici...
...Des âmes en peine... Des âmes errant dans la souffrance pour l’éternité...*
Le Roi de Meisa, car elle se rappelait maintenant de son titre, la tirait, mais sa prise se relâcha... Comme si la main de Shizuka était devenue transparente, éthérée. Elle se mit alors à flotter.
«
Leur peine... Leur peine est indescriptible... »
Les âmes tourbillonnaient dans le ciel, formant comme des arabesques qui enveloppaient la flamme blanche que représentait Shizuka. À ses pieds, on pouvait parfois, à travers l’éclairage des flammes, des formes humaines apparaître, des hommes recroquevillés, au dos courbé, qui contemplaient silencieusement cette beauté. Des êtres laids, aux ongles sales, aux dents mal formés, sales et puantes, qui disparaissaient ensuite en s’écartant prudemment de la femme, comme s’ils avaient peur de la salir par leur présence.
*Chaud...Si chaud...
...Le froid...*
Les âmes fondirent alors sur Serenos, l’interprétant comme un rempart, une menace. Elles le traversèrent de part en part. Ici, toute sa magie semblait inutile pour repousser une telle force, et il fallut l’intervention de Shizuka pour les retenir... Avant qu’elle ne comprenne que c’était elle-même qui avait attaqué l’homme. Elle regardait autour d’elle, commençant, peu à peu, à comprendre.
«
Les guider... Il faut les guider... »
Les âmes noires continuaient à tourbillonner autour de la flamme blanche, attirées par la pureté de l’âme qui se tenait là. Ils y voyaient l’incarnation de ce qu’on leur avait arraché : la vie, dans sa forme la plus pure, la plus éclatante, débarrassée de la haine, de la jalousie, de la convoitise, des vices. Un être qui n’aspirait simplement qu’à vivre, qu’à construire, qu’à s’insérer, qu’à évoluer. Au milieu de l’enfer noir, elle était leur phare.
*...Nous serons jugés...
...Faibles...*
La guérisseuse d’Edoras se sentait emportée, alors que son âme se consumait, comme si les esprits étaient en train de la dévorer. La pression qui s’exerçait sur le Roi diminuait, et, peu à peu, les âmes filaient vers le portail, emportant avec eux la flamme blanche, qui était en train de s’absorber dans un tourbillon noirâtre. En cherchant à se rapprocher du glyphe, du cœur du sortilège, Serenos avait déclenché la colère des âmes. Elles ne pouvaient pas rester ici, et il s’était surtout heurté à l’inconscient de Shizuka, qui se refusait à héberger une telle noirceur. Malheureusement, les âmes emportaient avec elles celles de Shizuka. Cette dernière se retrouva devant le portail, se rapprochant inexorablement de ce dernier.
DAME GRISE
Tout serait bientôt terminé, ça ne faisait maintenant plus l’ombre d’un doute. La Dame Grise était penchée au-dessus de Shizuka, et voyait cette dernière remuer lentement, nerveusement, des gouttes de sueur glissant le long de son front. Elle lui caressait tendrement la joue.
«
Calme-toi, Shizuka, calme-toi... »
Lui parler était idiot, la Dame Grise le savait, car Shizuka ne pouvait pas l’entendre. Elle reporta son attention sur Serenos, guère idiote. Elle savait qu’il avait utilisé le glyphe pour remonter le long de ce dernier, afin de chercher à l’annuler. La Dame Grise avait tout calculé. Elle aurait pu bloquer davantage l’esprit de Serenos, et empêcher ce dernier de rejoindre Shizuka. Cependant, si elle l’avait fait, Shizuka aurait été condamnée. Son âme aurait été consumée, et la Dame Grise ne le voulait pas. Elle ne pouvait pas protéger en personne la guérisseuse, car elle devait veiller à l’écoulement normal du sort. Elle devait s’assurer que les importantes forces magiques contenues dans le glyphe ne se dérèglent pas, et elle ne pouvait tout simplement pas être en deux endroits à la fois. Elle se refusait à sacrifier Shizuka, contredisant ainsi les ordres de son Maître. Lui se moquait bien de sacrifier une petite sotte, mais, pour elle, c’était différent. Elle avait lu dans l’âme de Shizuka, et elle y avait une sorte de pureté incroyable. Ce n’était pas que cette simple innocence qu’on confondait avec la naïveté et la stupidité, il y avait aussi chez Shizuka un air bon, une atmosphère de sainteté. Dès que cette dernière avait choisi de rejoindre Meisa, la Dame Grise savait, par le biais du Maître, que ce serait elle qui serait utilisée comme vecteur, comme point de concentration. Dans le monde des esprits, sa bonté était telle que tout le monde la suivrait, et elle-même se laisserait portée par les âmes.
«
Tu as enfin l’occasion de te rendre utile, Serenos... Rien d’autre n’importe. »
Le château était en train de trembler. Sous Kor-Tarath, un rayon noirâtre venait de se former, et s’enfonçait dans la lave. Le sortilège avait commencé, et tout le volcan en tremblait. De la brume s’envola, mais c’était une brume spéciale, magique, multicolore.
«
La fission a commencé ! Les âmes se scindent. »
Elles traversaient les murs, traversaient la matière, sans être atteintes par rien, formes indistinctes qui s’envolaient vers le ciel. Pendant ce temps, le rayon noir provoquait d’intenses vibrations, faisant remuer la lave, menaçant de déclencher une éruption volcanique.
ELKANTAR
La Drow esquissa un léger sourire amusé en voyant la femme, Alessa, venir à bout d’un troll. Ses Meisaens se débrouillaient plutôt bien, et avaient réussi à repousser le comité d’accueil, transformant le hall en une succession de cadavres, de projections de sang, et de tas de pierre disloqués. Les deux femmes se faisaient face, alors qu’Alessa lui avait intimé de se rendre.
«
Ma réponse ? Elle est simple... Va te faire foutre, dh’oine. »
Alessa lui fonça ensuite dessus. Elle était particulièrement rapide, sans doute un usage des sorts magiques utilisés par les Meisaens, mais, aussi rapide soit-il, se ruer vers un ennemi doté de magie n’était vraiment pas malin. Son coup de poing se heurta à une sorte de barrière magique qui heurta son attaque, creusant un sillon autour de son bras, le retenant, avant de la repousser. Le choc repoussa Alessa, et, alors qu’elle voltigeait dans les airs, Elkantar en profita pour tendre sa main, envoyant de violents éclairs qui frappèrent la femme de plein fouet, l’envoyant accompagner sa course contre un mur, contre lequel elle s’écrasa.
L’adversaire retomba ensuite sur le sol.
«
Les dh’oines gesticulent beaucoup trop. Tes singeries sont ridicules. »
Le sol se mit alors à trembler, et Elkantar releva la tête, comprenant que le transfert commençait. Elle ne pouvait plus se permettre d’attendre. Autour des autres adversaires, des sorciers et des sorcières apparurent, les encerclant, sans compter les autres golems et monstres qui se rapprochaient. Ils étaient dans une infériorité numérique certaine, mais Elkantar avait reçu des ordres précis. Il ne fallait pas les tuer... Dans l’absolu, du moins. Sa Maîtresse les voulait en vie pour aviser de leurs sorts. Et Elkantar ne comptait pas discuter. Contrairement aux
dh’oines, elle s’estimait disciplinée. Ce n’était pas son genre de contrevenir à des ordres directs.