Douée, oui, elle l'était. C'était son travail, après tout. Toute pleine de bonnes volontés (et de clichés) qu'elle était, Cédille avait regardé "Mémoire d'une geisha" la veille de son départ pour le Japon. Acte aussi candide que con, oui, certes, mais elle en avait retenu un passage, émerveillée. Un passage où une femme dit à une autre - elle ne savait plus exactement qui - qu'une geisha était là pour embellir, pour être de bonne compagnie, être une sorte d'oeuvre d'art mouvante. Pygmalion avait sa statue, les plus riches et chanceux avaient Cédille. Elle s'efforçait d'être une sorte de perfection, pour le plaisir des autres, pour l'argent, pour son propre plaisir.
Il s'était approchée d'elle, et elle n'avait pas sursauté. Juste un frisson, quand sa main s'était posée sur sa taille, et un regard vers lui. Une chaleur irradiait de ses mains. Cédille aurait donné beaucoup pour se retourner, jeter son verre sur le sol avec théâtralité et l'embrasser. Mais il se recula. Soit. Un sourire.
- Visiter les lieux ? Avec plaisir.
Elle pouvait bien être patiente, pour le coup. La jeune femme savait très bien comment cette soirée se terminerait. Alors, à une ou deux minutes près, elle n'allait pas chipoter. Cédille se leva, doucement, son verre entre les mains.
- Je veux la plus belle pièce de cet endroit.
Debout, et lui assis, elle le dominait un instant du regard. Le ton n'était pas capricieux, juste un peu autoritaire. C'était presque un ordre. Mh, non, c'était un ordre. A chaque bouffée de tabac, une expiration suivait. Un nuage de brume, un nuage blanc, qui disparaissait dès qu'elle soufflait dessus. Cédille savait s'amuser avec une clope depuis ses douze ans. Elle avait appris à aimer les dessins de la fumée, l'odeur tiède de la cigarette allumée, cette capacité de sculpter l'air d'un seul souffle.