Lara avait du mal à le reconnaître, mais elle ne pouvait pas se mentir ; quand Natla avait conçu un double d’elle-même, elle avait réussi à en faire un parfait esclave. Lara n’avait jamais vraiment su comment Natla avait bien pu procéder pour réussir ce tour de force. De fait, malgré son apparence, Lara-2 n’avait que quelques années d’existence. Raisonnait-elle comme un adulte, ou comme un enfant ? C’était assez difficile à dire, et Lara n’était pas psy’. De fait, elle avait elle-même suivi une thérapie après Himiko, et elle savait qu’elle avait encore une bonne névrose en tête. Natla avait fait de son clone une véritable esclave, et cette dernière avait été faite ainsi. Ainsi, quand Natla avait été tuée, Lara-2 avait vu Lara comme sa nouvelle « maîtresse », même si ce devait être inconscient. C’est en tout cas l’interprétation qu’en fit Lara quand son clone lui rétorqua qu’elle lui avait ordonné, en Atlantide, d’être libre, avant de revenir sur sa parole, signifiant donc qu’elle n’était pas libre. Le reproche qu’elle employa avait clairement quelque chose d’enfantin, comme un enfant qui reprocherait à sa mère d’avoir dit qu’il pouvait jouer jusqu’à 18 heures, et qui le rappellerait ensuite à 17 heures.
*Je ne dois pas oublier qu’elle est encore jeune, même si elle a un corps bien formé et des réflexes de tueuse surentraînée du SHIELD...*
Est-ce que Lara-2 voyait Lara comme une sorte de seconde mère ? Natla était sa génitrice, mais Lara-2 avait été conçue sur le modèle de Lara, sur son génome. En soi, c’était une variante de l’accouchement. Lara y réfléchissait, tandis que Lara-2 s’assit au fond du bateau, semblant bouder... Ou être en pleine réflexion. Lara, elle, soupira, et ouvrit la porte menant à l’intérieur du navire. Fort heureusement, il n’y avait aucune infiltration d’eau, signe que la coque n’était pas fissurée. Il n’y avait que l’hélice qui avait sauté. Si le gouvernail n’était pas fissuré non plus, il serait possible d’utiliser une hélice de rechange pour la fixer sur le navire. Une réparation provisoire, mais qui leur permettrait de rejoindre la côte.
Lara observa brièvement l’intérieur du navire. C’était une pièce exigüe, avec un coin toilettes, et une caisse métallique abritant divers outils, dont des hélices de rechange. Il y avait ses notes, ainsi que le carnet de Nathan, dans un coin. Lara avait été convaincue pendant longtemps que l’homme devait y mettre des images perverses, et, en le regardant brièvement une fois, elle avait vu tout l’esprit méticuleux de l’homme. Son carnet était couvert de notes, de schémas, de dessins, de réflexions, confirmant que, sous son apparence d’ahuri, il était aussi méticuleux qu’elle. Lara avait alors compris qu’elle avait jugé Nathan sur de faux critères, sur des préjugés issues du peu de l’éducation britannique qu’il lui restait, et qui l’amenaient à voir les voyous, soit comme des escrocs, soit comme des charlatans. Nathan, cependant, n’était ni l’un ni l’autre. Ce n’était qu’un petit garçon orphelin, comme elle, mais qui n’avait pas reçu la fortune familiale de ses parents.
Elle remonta rapidement, et vit Nathan. L’homme était trempé, et regarda brièvement Lara-2, avant de se rapprocher de Lara.
« Ça va ?
- Et bien, mis à part le fait que je suis désormais sûr de devoir porter un sonotone quand j’avais 50 ans... Ouais. Mais je poursuivrais ta copine quand j’en aurais effectivement un. »
Lara sourit, puis entreprit de lui faire quelques explications. Elle lui parla de Natla, un nom qui n’était pas inconnu à Nathan. C’était une histoire importante de sa vie, mais, curieusement, elle ne l’avait encore jamais confié à Nathan. Cependant, elle savait qu’il s’était renseigné sur elle. Il était donc probable qu’il sache qu’elle avait réellement commencé sa carrière sur Himiko. Quand Lara était revenue de cette île maudite, le récit incroyable de ses aventures avait fait le tour du globe, et Lara était ensuite retombée dans l’oubli... Mais, dans le milieu très étroit des archéologues et des chasseurs de trésor, elle continuait encore à régulièrement faire parler d’elle. Natla Technologies, la société de Jacqueline Natla, était aussi bien connue des chasseurs de trésor, car, avant qu’elle ne soit dissoute et renommée après la disparition de Natla (les actionnaires pouvant ainsi se débarrasser d’une PDG qui dilapidait leur argent), Jacqueline finançait énormément de chasseurs de trésors, en leur proposant de travailler pour une branche spéciale de sa firme, dédiée à la recherche archéologique. Lara avait travaillé un temps pour elle, mais, ensuite, Natla avait disparu. Aucun médiane s’était rendu à Helheim, mais le nom n’était pas inconnu à Nathan.
« J’ai essayé de trouver cette antique cité, une fois... Mais mes pas m’ont mené ailleurs. »
Jacqueline Natla était une ancienne Atlantéenne, la représentante d’une civilisation disparue, qui avait tenté de détruire la race humaine à deux reprises : une première fois avec le Scion, en Égypte, et une seconde fois à Helheim.
« Natla voulait provoquer le Ragnarok. Helheim, en fait, était située le long d’une faille tectonique, et, en enclenchant un antique pilier niché dans une statue, il était possible, depuis Helheim, de provoquer une secousse sismique qui engendrerait de terribles tremblements de terre en faisant vibrer toutes les plaques tectoniques. Natla voulait détruire la race humaine pour pouvoir implanter la sienne. Je l’ai battu... Mais elle avait survécu, et c’est... Euh... Mon clone... Qui l’a définitivement achevé. »
Lara lui expliqua que Natla avait été impressionnée par les talents de l’archéologue, tellement impressionnée que, quand Lara avait vaincu Natla en Égypte, cette dernière avait lancé un programme génétique. Quand Lara avait rejoint son entreprise, elle avait dû se livrer à des prélèvements sanguins, afin de vérifier qu’elle ne se droguait pas. Une excuse officielle. Le sang avait permis à Natla de décortiquer son ADN, et de concevoir un clone.
« J’ignore ce qu’elle lui a fait, comment elle a fait son coup, mais l’autre Lara est un clone de moi, avec des capacités améliorées. Elle est plus rapide qu’un humain normal, plus forte... Elle a bien failli me tuer dans le passé. Natla l’avait totalement asservie à sa volonté, et je l’en ai libérée. Malgré sa taille, son apparence, et ses formes, il ne faut pas oublier que, mentalement, elle raisonne encore comme un enfant. Un enfant qui n’a jamais reçu la moindre trace d’affection, et qui se sent probablement rejetée, et sans but.
- Et c’est une raison pour tirer sur les gens ?
- Je suis désolée pour ça, et...
- Oh, t’en fais pas, elle ne sera pas la première femme à vouloir me tuer. Et puis, tu sais, j’ai été balancé d’un train dans les montagnes de l’Himalaya, j’ai erré dans un désert aride pendant des jours, et j’ai même fini dans les profondeurs de l’océan, dans un navire de croisière échoué. Je crois que je peux gérer un coup de feu... Même s’il va me rendre à moitié sourd. »
Nate avait une manière bien à lui de décrisper, et un sens de l’humour... Très particulière. Il s’approcha alors de la porte de la cabine.
« Écoute, je vais réparer cette hélice... Ça ne tiendra pas sur cent milles, mais ça nous permettra de rejoindre le port de plaisance. Toi, tu n’as qu’à... Euh... Discuter avec ton clone. »
Lara sourit lentement. L’avantage de Nathan, c’est que, après tout ce qu’il avait vécu, il était difficile de le surprendre... Car Lara aussi s’était renseignée sur l’homme. Il fila dans la cabine, et elle se retourna vers son clone. Pensive, elle était assise au fond du bateau, et Lara se massa l’arrière du crâne, puis soupira. Comment aborder ça ? Elle avait l’impression d’être une mère de famille devant expliquer à sa fille le concept de « Bien » et de « Mal ». Mais comment faire comprendre ça à une tueuse née, dont l’enfance se résumait à apprendre les trente-six mille manières possibles de massacrer son prochain ?
L’archéologue se rapprocha ainsi d’elle, jusqu’à s’asseoir en face d’elle. Elle décida de sortir la carte de l’intelligence :
« Tu ne trouves pas ça bizarre ? Je veux dire... Je t’ai dit d’être libre à Helheim, et tu as interprété ça comme un ordre... Et, maintenant,, tu dis que je te retire cette liberté. Mais comment pouvais-tu être libre si cette liberté t’avait été ordonnée par moi ? »
C’était une subtilité de langage, mais Lara-2 avait bien employé le terme « ordonné », un terme qui, selon Lara, était des plus évocateurs. Elle soupira à nouveau, et rajouta alors, jambes croisées :
« Je... Je n’aurais pas dû te laisser partir à Helheim... C’est juste que... Enfin, ce n’était pas de ta faute, mais toute cette histoire avec Natla m’avait épuisée, et... Je n’avais pas les idées claires. Mais je n’aurais pas dû t’abandonner, car tu es autant une victime de sa méchanceté que moi. Et puis, tu portes mon sang, alors, qu’on le veuille ou non... On fait partie de la même famille. Je t’ai largué dans un monde vaste et grand, qui ne doit rien vouloir te dire. J’ai essayé de te retrouver, après Helheim... Mais il faut croire que tu es aussi douée que moi pour dissimuler tes traces. Bref... Je suis heureuse de pouvoir te revoir, en tout cas. Et je te promets que je ne te laisserais pas tomber, cette fois. »