Les lumières s'éteignirent de nouveau, rallumées entre chaque match. Cette soudaine obscurité était annonciatrice du prochain round, et Sachiko s'épargna une salve de hurlements des pintades qu'elle venait de questionner, en se rapprochant des premiers rangs. La blonde montrait son appareil photo et son faux badge autour de son cou, pour indiquer son profil important de "photographe pro" tout préparé. Les gens la laissèrent passer en remarquant tout ces détails, et elle put se trouver une bonne place.
La paparazzi n'était pas là pour immortaliser les performances de sa cible, cela dit. Deux ou trois photos suffiraient, pour agrémenter le prochain article : un peu de précision, ça ne faisait jamais de mal. Ses doigts blancs serrèrent l'appareil et le soulevèrent, alors que les deux silhouettes s'approchaient dans les recoins des coulisses.
L'australien arriva et se fit présenter en premier. Puis, On annonça Stephen Connor.
Sachiko écarquilla les yeux, en voyant arriver celui qu'elle devrait filer pendant toute la journée.
Un profil de colosse, bien évidemment. Très charmant, il fallait bien l'avouer - peau brune, petit bouc et cheveux mi-longs... La jeune fille entendit encore les groupies crier de plaisir derrière elle, et elle comprit enfin ce qui pouvait leur faire user leurs cordes vocales à ce point. Ce Stephen semblait en effet éclairer la scène, mettre de l'ombre sur son adversaire... une impression renforcée par la branlée qu'il lui imposa, en peu de temps par rapport aux autres candidats. En observant ses muscles rouler sous sa peau cuivrée, Sachiko se lécha doucement les lèvres.
Et puis, elle se souvint de son appareil, toujours tendu à bout de bras, et prit en trombe quelques clichés, juste avant que le boxeur ne termine d'achever son adversaire. Ses doigts tremblaient, probablement à cause du fait que ses bras étaient tendus depuis un quart d'heure, en attente d'appuyer sur un quelconque bouton... elle s'était déconcentré, c'est tout. Pas vraiment son genre, mais il fallait dire qu'entre la chaleur et les hurlements des spectateurs, la fouineuse n'en pouvait plus.
Le match était terminé, Stephen fut déclaré vainqueur. Il n'avait même pas l'air étonné, s'applaudissait lui-même. Sachiko le considéra d'un air perplexe, se disant qu'il ne se prenait vraiment pas pour n'importe qui, celui-là. Puis, elle se glissa hors des rangs, s'attaquant à la deuxième partie de son plan.
Sans se préoccuper de qui pourrait la mater - ils étaient tous trop concentrés sur ce pourquoi ils avaient payé, de toutes façons - Sachiko s'appuya contre un mur prés de la porte des vestiaires, où était noté en gros et en rouge "ENTRÉE RÉSERVÉE AU PERSONNEL ET AUX COMPÉTITEURS". Le genre d'écriture qu'elle pouvait traduire par tout son contraire, en gros. Fouillant dans son sac, elle en sortit une tenue de bunny girl semblable à celle de la pouffiasse qui défilait sur le ring en ce moment-même, pour annoncer les prochains candidats. Ce fut enfilée en deux secondes, et avec cette efficace couverture, la blonde passa par la porte.
Les douches l'accueillirent, ainsi que le bruit de l'eau et une épaisse vapeur blanche, qui indiquait clairement que quelqu'un par ici profitait déjà d'une petite trempette. A en juger les vêtements et l'odeur musquée qui régnait dans les vestiaires, il s'agissait des douches pour hommes. Sachiko n'avait donc rien à faire ici.
Ce qui était parfait.
Repérant un bac où s'entassait des serviettes propres et pliées, la photographe y déposa son sac au fond, et s'y glissa ensuite, froissant tout le linge par la même occasion. Les quelques tissus épargnés finirent dépliés pour cacher le moindre centimètre de la silhouette de la blonde. Elle eut fini juste au bon moment : le bruit de l'eau s'arrêta, et un sifflement lui indiqua que quelqu'un approchait.
Elle avait tout d'une perverse, à mater partout entre deux piles de linge blanc. C'est probablement ce que se serait dit le boxeur... s'il l'avait repéré. Mais ce ne fut heureusement pas le cas : il était distrait, ne remettant même pas sa serviette en place...
*Quoi ? Mais c'est un détail complètement sans importance, ça !*
Elle n'avait pas envie de le voir le zizi à l'air, nom de nom ! Qu'est-ce qu'il lui prenait, au juste ?
*Seigneur, j'ai vraiment besoin de vacances...* pensa-elle, réprimant un soupir.
C'est sûr que quand on en arrivait au stade d'accepter n'importe quel travail, même celui d'épier des hommes entre deux linges dans des douches... c'est qu'on travaillait trop. Sûrement son cas. Franchement... de quoi elle aurait l'air, s'il la découvrait ?
En plus de ça, Sachiko s'aperçut vite que le déclencheur de son appareil faisait bien trop de bruit, même dans le silence ambiant des vestiaires. Elle ne put donc prendre aucun cliché, pestant d'avoir eu une idée si lumineuse sans même réfléchir aux circonstances techniques.
Il partit finalement, après s'être habillé. Sachiko sortit donc du bac avec agilité, habituée à s'extirper en deux secondes de cachettes aussi exiguës. S'habillant d'un manteau long pour masquer son déguisement, elle prit la porte sans se faire remarquer et entreprit de suivre discrètement le boxeur déjà en route.
Un sourire carnassier aux lèvres, la papazazzi acheva de questionner la jeune femme qui venait de quitter les bras de sa cible. Depuis le début de la soirée - où elle avait réussi à s'inviter, un vigile la prenant pour une serveuse à cause de son accoutrement... - elle se déplaçait dans tous les coins, restant la plus discrète possible, pour prendre en photo sous tous les angles le sportif et les minettes qu'il pelotait de plus en plus allègrement au fil de l'alcoolémie naissante dans son sang. D'ailleurs, les minettes en question avaient été faciles à soudoyer : de la première à la dernière, elles avaient toutes acceptées de porter un micro sur elles, moyennant une petite liasse de billets au début de la soirée, et un verre vers les minuit... ou rien du tout, tant elles étaient déchirées.
Les extraits vocaux étaient nombreux, et apparemment garnis d'allusions à la drogue, au sexe, à des petits magouilles qui trouveraient très facilement leurs jolis petites places dans son dossier. Satisfaite, Sachiko rangea son appareil et se leva en même temps que le boxeur...
Une heure du matin.
*Petit joueur...* ne put s'empêcher de penser la lycéenne.
Mais bon, jusqu'ici, tout s'était relativement bien passé.
En fait, ça ne commença à déraper qu'après qu'ils aient quitté le club, bien entendu.
Sachiko suivait tranquillement sa cible, optant pour la discrétion des rues étroites autour d'eux, où elle se faufilait en gardant un oeil ouvert. Mais au détour d'une ruelle, une lourde main se posa sur son épaule, la forçant à se retourner.
En voyant Fujiwara la tenir, la colère empreinte sur son visage, Sachiko fut assez surprise.
« Tu crois que je ne t'ai pas vu, nous mitrailler toutes les deux secondes dans ce club ? Ces putains d'armoires à glaces ne peuvent même pas faire correctement leur boulot, maintenant ? »
« Je... si vous ne me lâchez pas... »
« Oh, mais je vais te lâcher. Sitôt que tu m'auras filé tes négatifs... contrairement à toi, je fais pas chier mon monde, moi. J'ai juste envie de tranquillité. Tu comprends ce mot, ou quoi ? »
Il lui serra l'épaule plus fort, au fur et à mesure de ses paroles. Elle réprima un couinement, et se pencha vers son sac, comme pour prendre son appareil et ainsi donner son accord. Mais à la place des tant attendus négatifs, surgit une bombe lacrymogène de bonne taille, qui lâcha son souffle piquant en plein dans la tête de de l'homme d'affaires.
Fujiwara hurla dans le silence ambiant de la nuit, lâchant son épaule pour se tenir les yeux. Sachiko en profita pour déguerpir, dépassant en moins de deux Stephen qui ne comprenait probablement pas ce qui se passait.
Une idée lui vint alors, dans la plus totale improvisation.
Elle fit glisser un de ses talons haut hors de la portée de son pied, perdant ainsi le contrôle de sa course et de son équilibre. Sachiko se ramassa, en faisant bien attention d'épargner son sac après tout rempli de matériel coûteux. Encore étalée par terre, elle feignit de remettre son manteau en place et de ne pas réussir à se relever... alors que toute cette mascarade cachait en vérité ses mains rapides et expertes, qui changèrent en moins de deux la pellicule de son appareil pour la remplacer par une pellicule "alibi", si l'on puis dire. Après quoi, elle se redressa un peu, et feignit de lancer un regard terrifié derrière elle, alors que Fujiwara tentait toujours de la poursuivre, gueulant au boxeur de la rattraper...