Bonne patte, Cahir suivit Tala dans la jungle, vers un endroit où il y avait du petit bois pour allumer un feu. Dans un certain sens, brûler les cadavres était aussi satisfaire la tradition ashnardienne. Les guerriers valeureux, morts au combat, était incinérés. Comme il l’avait dit à tala, c’était pour empêcher les goules de venir, mais aussi une sorte de tradition religieuse, qui avait fini par s’instaurer. Ces hommes étaient morts en affrontant une redoutable bête, et lui-même avait bien failli y passer. Sa survie tenait plus du miracle qu’autre chose. Ils méritaient des honneurs. Et, de plus, Cahir avait besoin de Tala. Sa petite histoire sur les goules, en réalité, pouvait très bien n’être que du flan. S’il n’y avait pas de goules dans la région, il n’y avait aucun risque qu’elles apparaissent. Cependant, il était toujours réellement possible qu’il y en ait. Mieux vaut prévenir que guérir, après tout. Sous terre, les cadavres n’attireraient pas les goules, et, quand bien même ce serait le cas, les goules n’auraient qu’à rester dans les profondeurs. Cahir aida donc la jeune femme à récupérer du bois, puis retourna vers la tour. Le soleil continuait à s’abaisser, et, en voyant le ciel, avec ses lueurs orangées, il se dit qu’il devait y avoir de superbes panoramas ici... Tout d’un coup, il se mit à sourire brièvement, s’imaginant faire l’amour avec Tala sous un beau coucher de soleil, dans une ambiance crépusculaire, où le ciel donnait l’impression de s’embraser.
Cahir revint rapidement à la réalité. Il avait récupéré son épée, certes, mais il était aussi un homme. Cette femme l’intriguait, et, en un certain sens, l’attirait. Une curiosité qui tenait à la fois sa nature, et aussi à son corps. Que voulez-vous ? Cahir était un homme. Cependant, il se voyait mal la forcer, ou la séduire. Il craignait surtout qu’elle ne cherche à le tuer, ou à le planter là. Et, en l’état actuel des choses, Cahir n’avait pas spécialement envie de devenir un homme des bois.
*Ceci dit, rester avec elle, dans la forêt, ne comprendrait pas que des inconvénients...*
Elle lui expliqua qu’ils allaient devoir faire du feu à l’ancienne. Cahir pensa furtivement à ces notions de survie, quand il devait, avec ses hommes, s’aventurer dans de longues forêts pour rejoindre des grottes, afin d’entrer discrètement dans les forteresses ennemies, pour procéder à des assassinats, ou ouvrir discrètement les portes du château, quand il entendit un bruit soudain, venant de derrière lui... Comme une branche qu’on casse. Il eut à peine le temps de tourner la tête que Tala bondit sur lui, l’étalant sur le sol. Elle fut plus rapide, et son visage se retrouva contre le sien. Cahir en fut tellement surpris qu’il se mit à croire, pendant une demi-seconde, qu’elle allait l’embrasser (et Dieu sait qu’il ne serait pas contre), avant de sentir un déplacement d’air.
« Surtout, je vous conseille de ne pas bouger » intima la femme, d’une voix qui n’avait rien de sensuel.
Bien que Cahir soit rompu aux ordres, quelque chose lui dit qu’il allait contrevenir à celui-ci. Tala se releva, saisissant un couteau, et essaya d’affronter une redoutable panthère... La même que Cahir avait vu tout à l’heure. Une créature qui avait du entendre le combat contre l’épouvanteur, et qui, maintenant ce dernier mort, pouvait enfin braconner par ici. Tala se dressa face à l’adversaire, et Cahir roula sur le sol, se dirigeant vers son épée. Elle était éloignée, et, le temps qu’il se relève, il entendit Tala gémir. La panthère s’écrasa sur elle, enfonçant ses griffes acérées dans sa peau, sa gueule se rapprochant de la sienne.
*Merde !*
Le sang se mettait à ruisseler. Cahir n’avait pas le temps d’attraper son épée. Il se mit à courir, et son pied frappa la panthère en pleine tête, sous le museau. Elle en lâcha la dague, qui tomba à plat sur le corps de Tala, et la panthère, dans un couinement, recula. Le coup de pied, frappé avec force, l’envoya rouler sur le sol, mais elle se releva indemne, plus surprise et furieuse que blessée. Cahir se pencha, et attrapa l’arme, avant d’entendre la panthère bondir vers lui. Il roula sur le côté, fléchissant les genoux. Les griffes de la panthère lui lacérèrent le dos, et il poussa un cri, en manquant trébucher sur le sol, plusieurs lignes rouges lui barrant le corps.
« Putain de pute... » soupira-t-il.
Il se releva, tenant sa dague. Torse nu, face à la panthère, il ressemblait à un guerrier préhistorique se livrant à un combat illusoire pour sauver sa dulcinée des griffes d’une panthère furieuse. Cahir aurait tout à fait pu laisser Tala à son triste sort, se saisir de son épée, et pourfendre sans difficulté la panthère. Au lieu de ça, il se tenait à côté de Tala, son ridicule poignard devant lui. La panthère l’observait, poussant des hurlements en se déplaçant de gauche à droite, cherchant à effrayer sa proie. Cahir conservait une posture agressive.
*Sait-elle que c’est moi qui ait tué l’épouvanteur ? Est-ce que ça l’impressionne ?*
Les animaux étaient beaucoup plus intelligents qu’on ne le pensait, surtout les prédateurs. La panthère claquait des dents, ses yeux jaunes semblant ruisseler de rage. Chacun de ses pas sur le sol soulevait du sable, et Cahir, lentement, se déplaçait, essayant d’atteindre son fourreau. Son dos lui faisait mal. La panthère allait attaquer à nouveau, et Cahir allait devoir réagir rapidement.
*Au corps-à-corps, je ne survivrais pas, et, si jamais je me penche pour récupérer mon épée, elle bondira sur moi... Je n’ai pas le choix, il va falloir jouer le tout pour le tout.*
Cahir retourna la dague, la saisissant par le bout, avant de l’utiliser comme arme de lancer. Il n’aurait le droit qu’à un essai, gagnant, ou perdant... Et, dans ce cas, il perdrait tout. Il devait attendre que la panthère fonce. Autrement, elle n’aurait qu’à bondir sur le côté. L’apatride réfléchissait, tous les muscles aux aguets. Le soleil faisait luire la lame.
La panthère bondit alors, prenant tout son élan, et Cahir lança la dague. Il loupa la tête du monstre, mais atteignit l’une de ses pattes. Dans un couinement de douleur, le prédateur roula sur le sol, tournoyant follement, avant de s’arrêter, la fourrure recouverte de poussière. La panthère se mit à gémir. La dague s’était retirée, mais le prédateur se mit à s’enfuir, boitillant légèrement, blessé. Il était probable qu’il la reverrait, mais Cahir avait d’autres préoccupations pour l’heure.
« Tala ! Tala, ne vous endormez pas ! »
La panthère lui avait lacéré les épaules, et il distribua quelques petites gifles sur les joues de la femme.
« Je n’ai plus d’élixir pour vous soigner, mais il reste des objets dans la tour. Laissez-vous faire. »
Son ton était rapide, précipité, mais ses pensées étaient toujours claires. Soulevant Tala, Cahir la porta à bout de bras. Elle ne pesait pas grand-chose contre ses bras, et il retourna dans la tour. Il grimpa les étages, et arriva ainsi dans l’ancienne chambre du mage, où trônait encore un lit. La pièce était en piteux état, et il déposa Tala sur le lit, dont les articulations et les ressorts craquaient, puis ouvrit les placards. Poussière, manuscrits jaunis. Il n’y avait plus aucun instrument, et, alors qu’il réfléchissait, il se rappela le nécessaire de soin qu’un de ses anciens camarades avait amené avec lui.
*Bien sûr, suis-je bête !*
Il descendit dans la pièce du laboratoire, là où ils avaient affronté l’épouvanteur, et retrouva rapidement le sac. Il n’y avait pas d’élixir, mais un baume, et des bandages. Il remonta la voir, et appliqua des soins de premiers secours, répandant le baume sur ses plaies, puis les bandages. Les griffes de la panthère s’était enfoncées de quelques centimètres, et n’avaient, fort heureusement, percé aucune veine.
« Reposez-vous, Tala. Il ne vous arrivera rien, je vous le promets... »
En l’état actuel des choses, c’était le mieux qu’elle avait à faire.