Elle souffla un bon coup, éreintée par l'énervement et le fait d'avoir retourné son casier sens dessus-dessous. Le semblant d'ordre préalable avait été remplacé par un fouillis qui aurait fait s'évanouir la plus bordélique des élèves. Sachiko avait envie de hurler sa rage, mais dans le couloir du lycée en pleine affluence de midi, ce n'était pas conseillé. On allait encore la prendre pour une folle... et elle n'avait pas du tout envie de se créer une nouvelle réputation de psychopathe, merci bien.
« Mais t'es sûre que tu l'as pas laissé dans ta voiture ? »Yoshi, une nouvelle copine de la blonde, n'eut droit pour toute réponse qu'à un simple grognement, de la part d'une tête de nouveau entre les portes du casier scolaire.
« Putain, mais un appareil photo dernier cri, ça se perd pas comme ça quand même ! » gémit la blonde en sortant sa tête pour la trentième fois.
« Dans ta voiture ? » suggéra de nouveau Yoshi, hésitante face à la colère de son amie.
« Non, j'ai pas pris ma voiture aujourd'hui, et je suis sûre que j'avais mon appareil dans mon sac ce matin !.. »Sachiko commençait à avoir les larmes aux yeux, de rage puis de panique. Cet appareil, c'était un petit bijou issu de la nouvelle technologie japonaise. Il lui avait coûté les yeux de la tête, ce qui était déjà une raison suffisante pour se lamenter. Mais pour la fouineuse ce n'était pas en priorité le coût de l'appareil qui importait, ni même l'appareil en question.
C'était sa pellicule. une cinquantaine de photos soigneusement triés sur le volet, des clichés importants et rares issu de sa semaine de boulot nocturne. N'importe qui avec un peu de jugeote, en tombant sur l'objet, pourrait se dire que c'était l'outil d'un paparazzi et faire profit : n'importe qui pouvait s'improviser dans ce métier, après tout.
« Sachi-san, c'est toi que j'entends au bout du couloir depuis tout à l'heure ? »Les deux adolescentes se tournèrent vers la voix qui provenait d'Akira, une autre membre de la bande de copine où la blonde s'était faite une place. Dans cette bande, chacune connaissait le tempérament un peu excentrique de la photographe et avait fini par ne plus y faire attention, préférant se concentrer sur les bons côtés de leur nouvelle recrue.
Sachi la salua d'un geste de tête et en profita pour dégager une mèche de cheveu de son front moite de sueur.
« Aki-chan, t'aurais pas vu l'appareil photo de Sachiko, par hasard ? » tenta Yoshi aprés avoir salué sa copine à son tour.
« Heu, genre celui qu'on a pris ce matin quand on est allé au parc, tu veux dire ? »Cette dernière phrase fit sursauter Sachiko tellement fort qu'elle se cogna la tête contre le plafond de son casier.
L'évidence même. Non mais quelle gourde.
Sans se préoccuper de la douleur, elle saisit son sac avant de fermer la porte en fer avec violence et de se précipiter vers la sortie du lycée, disant à ses amies de ne pas l'attendre pour déjeuner.
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En deux coups de métro, elle y était, courant comme une dératée. Elle avait tellement transpiré sous le soleil de midi que son uniforme blanc gagnait peu à peu une transparence sûre... un autre avantage des uniformes scolaires, pensa-elle avec sarcasme. Un détail dont elle devrait s'occuper plus tard. Pour l'instant, il s'agissait de...
Le coin où sa bande avaient pique-niqué fut vite retrouvé, fort heureusement. Mais il n'y avait rien par terre. Sans surprise, Sachi s'occupa de fouiller sous les bancs, derrière les arbres, et ce fut finalement dans le détour d'un énorme buisson qu'elle retrouva l'appareil...
Et qu'elle retrouva d'ailleurs aussi tout ses souvenirs, avec Nina qui s'amusait à cacher les affaires de ses copines constamment, mais qui avait légèrement foiré son coup cette fois-ci...
« Mon dieu, je vais la tuer, la slovaque... » grogna Sachiko en vérifiant si l'appareil n'avait pas pris l'eau.
Il s'allumait. Déjà une bonne chose. Ses longs ongles manucurés tapaient sur les touches pour vérifier si toutes les photos étaient bien là.
Elles étaient bel et bien là, et il y en avaient même d'autres. Sachi pensa immédiatement à des clichés que ses copines avaient dû prendre entre elles, mais en vérifiant la dernière image, elle as'aperçut que ça n'avait rien de semblable.
La dernière photographie représentait quelque chose de bien trop singulier, même pour quelqu'un comme Sachiko qui était habituée à voir de tout et partout. Un homme assis sur une souche, avec dans le dos ce qui semblait être des, des...
Les yeux noisette de la paparazzi s'ouvrirent en grand, avidement. Mais en regardant devant elle, dans l'angle où cette photo avait été prise, elle vit la souche.
Et l'homme dessus.
Et c'est là qu'elle retint un hoquet de stupeur, et que la peur commença à s'ouvrir en elle comme une coquille. Elle se reprit et évita de faire du bruit, bien cachée dans ce buisson qui se trouvait à tout de même quelques mètres de la "cible". C'était un miracle qu'il ne l'ai pas entendu. Il devait être totalement perdu dans ses pensées, ou elle avait juste eu de la chance. Mais après tout, le buisson se liait à plusieurs autres qui séparaient à eux tous le bosquet d'Edean et celui de Sachiko, comme une barrière de branches et de feuilles. Après avoir regardé un bon moment le céleste avec des yeux ronds, la lycéenne lui tourna le dos pour réunir ses pensées.
La première étant qu'elle avait quand même un ange en face de sa personne pour la première fois... Sachi avait entendu de drôles de rumeurs dans les couloirs de son lycée, avec ses oreilles toujours à l'affut du moindre scoop qui pourrait se révéler intéressant. Certains parlaient de monstre, d'animaux, d'esclaves dans les sous-sols... des bêtises, tout ça, bien sûr. C'était impensable dans sa tête, même si elle prévoyait de faire un tour approfondi de son établissement pour se faire sa propre opinion... Mais là, ce n'était pas vraiment discutable.
Elle repoussa la deuxième pensée qui abordait le fait que quelqu'un d'autre ait pris cette photo et n'en ai pas profité, semblant lui mâcher le travail... peut-être il ou elle avait eu trop peur des représailles pour emporter l'appareil avec lui ou elle... les anges étaient les envoyés de Dieu, aux dernières nouvelles, et comme juge, on faisait pas mieux.
Mais Sachiko était loin d'être catholique, et ça se voyait déjà dans son acte présent qui consistait à prendre une nouvelle photo - un peu plus professionnelle - d'un envoyé de Dieu qui n'était peut-être pas si gentil que ça. De toutes façons, dans sa tête, c'était plus un homme atteint d'une malformation particulièrement impressionnante ou un cobaye des laboratoires du Japon qu'un être de légende. Elle imaginait déjà les titres en perfectionnant le cadrage, un bout de langue pointu dans le coin de sa bouche...