Dans le fond, il n’y avait pas énormément de raisons pouvant justifier une guerre. Et, dans l’absolu, on pouvait réduire toutes les causes de la guerre à un seul élément, une constante qu’on retrouvait généralement dans tous les conflits : la survie. Si un État s’engageait à combattre un autre État, c’était pour assurer sa survie, que ce soit en attaquant un rival, en attaquant quelqu’un qui disposait de ressources, ou en attaquant quelqu’un qui ne pensait pas comme soi. Peu importe les motifs, l’intention était toujours la même :
survivre. Ashnard l’avait bien compris, et c’était au nom de la survie que l’Empire avait décidé d’attaquer un royaume volcanique.
A première vue, il n’y a pas grand-intérêt à attaquer un royaume qui se résume essentiellement à un volcan. Pour mieux comprendre ce qui a forcé le Conseil impérial à autoriser une guerre d’envergure sur Inferis, nécessitant l’utilisation d’une Légion impériale, soit des milliers de troupes, il fallait savoir que l’Empire veillait constamment à améliorer son industrie militaire, ses équipements, sa puissance, afin de rester une puissance militaire majeure dans l’échiquier terran. Et Inferis disposait de ressources volcaniques, ressources qui pouvaient permettre l’implantation d’usines utilisant la roche volcanique pour tourner à plein régime, et produire des armes. C’était là la spécialité des nains, et l’Empire avait prévu de s’emparer de ce volcan pour permettre à des colons de venir s’y implanter, et d’en extraire les ressources, afin de forger des armes. Cependant, il fallait encore pour cela réussir à virer les autochtones locaux. Les Ashnardiens avaient envoyé des espions dans la ville, et les rapports de ce dernier avaient été unanimes. L’option diplomatique serait une perte de temps. Il suffisait d’attaquer. Inferis était un puissant royaume, mais sa dirigeante était leur point faible. Comme bien des monarchies, celle-ci était régulée sous l’autorité des Naviento depuis... Et bien, depuis aussi longtemps que les livres et les légendes pouvaient le dire. Les Naviento étaient une famille cruelle, démoniaque, où on s’était joyeusement étripés dans le passé, et les rapports des espions affirmaient qu’il serait possible de convaincre la population locale des bienfaits de l’Empire. L’histoire des Naviento donnait froid dans le dos, et avait convaincu les Ashnardiens d’agir, et d’en finir avec eux. Le père de l’actuelle reine avait, selon les rapports, enfanté sa propre sœur pendant plusieurs siècles, donnant naissance à 666 enfants. Confirmant la qualité du renseignement ashnardien, les rapports mentionnaient sa présence sur Terre, et confirmaient qu’elle était une femme-dragon.
L’Empire avait donc appelé Sylvandell pour plusieurs raisons. D’une part, parce que les affrontements auraient lieu dans les montagnes, et que les Sylvandins, en tant que montagnards, seraient à leur aise. D’autre part, parce qu’il y avait du dragon, et que, généralement, tout ce qui concernait les dragons passait par Sylvandell. La campagne militaire devait être rapide et brève, et commencerait par un coup d’éclat, afin de briser le moral des autochtones : capturer la Reine. A cette fin, on avait dépêché un jeune prodige ashnardien, le
Maréchal Coehoorn Van Emreis, pour réussir à infiltrer la haute ville d’Infernis, et ouvrir la voie à la Légion impériale. Coehoorn avait accepté sans rechigner, et les troupes avaient attaqué, sous la protection des dragons sylvandins.
«
La priorité est de capturer leur souveraine. Sans elle, le royaume s’effondrera comme un château de cartes, expliquait Coehoorn à son état-major.
Il faudra faire des exemples, et être rapide. Le bâton et la carotte, n’oubliez pas cela. »
Coehoorn avait suivi des enseignements et des préceptes récents, qui considéraient qu’une guerre se devait d’être gagnée avant qu’elle n’éclate. En d’autres termes, le renseignement était une chose essentielle, fondamentale, tout comme la préparation. Les
préliminaires, en quelque sorte. Il avait donc pris soin d’étudier la composition du royaume, et avait ordonné une attaque rapide sur la capitale, des commandos d’élite menés par des Commandeurs sylvandins et les Corbeaux Noirs se rendant par les égouts dans le cœur de la ville, afin d’en affaiblir les défenses, et permettre ainsi au cœur de l’armée d’attaquer. L’effet de surprise avait été total et assuré. Le camp avait été dressé dans une forêt isolée, les éclaireurs veillant à ce qu’aucun autochtone n’apprenne la présence du camp.
Depuis sa tente, Coehoorn repensait au déroulement de la bataille, alors qu’on lui amenait la dirigeante de ce royaume infernal et putride. Elle s’était battue comme une diablesse, tuant plusieurs hommes, avant d’être neutralisée. Les combats se poursuivaient encore, mais, quand les défenseurs avaient vu Naviento tomber, et n’avaient pas pu la récupérer, ils avaient opté pour une posture plus défensive, ne sachant plus où donner de la tête. Les Ashnardiens étaient bien plus nombreux, et les dragons de Sylvandell assuraient un soutien terrifiant, plongeant dans la ville pour répandre leur souffle infernal au milieu des braises. Le Maréchal avait brièvement craint que la religion des montagnards ne les force à refuser de joindre leurs forces, mais Tywill Korvander, Roi de Sylvandell, qui revenait de la bataille, les avait rassuré sur ce point. Les Naviento ne leur étaient nullement sacrés.
«
Allez, avance, salope ! »
Coehoorn reposa sa tasse, tandis que la porte s’ouvrit. Deux gardes en armure balancèrent sur le sol une femme noirâtre et ailée, qui lança un regard hargneux vers Coehoorn et les deux généraux qui l’assistaient. Le regard d’Ishtar ne plut pas à l’un des soldats, qui la frappa avec son gantelet.
«
Baisse les yeux, pétasse ! On ne regarde pas ainsi un Maréchal ashnardien ! »
Coehoorn se racla lentement la gorge.
«
Détendez-vous, soldats. Si cette... Créature... Me regardait avec humilité, nous n’aurions pas eu besoin d’utiliser la force. -
Bien, Monsieur ! »
Coehoorn fit craquer lentement ses doigts. Ashnard avait beau être un royaume comprenant beaucoup de démons, ceci n’empêchait pas que Coehoorn n’éprouvait que du mépris pour cette femme. Elle était pour lui une psychopathe qui abusait de sa position, ce qui lui rappelait l’époque de l’Empereur fou, et les conséquences que la démence de l’Empereur fou avaient eu sur sa famille. Les Van Emreis avaient mis des siècles à se remettre, et l’homme n’aurait aucune pitié envers elle.
«
Installez-le sur la chaise, Messieurs. »
Les soldats obtempérèrent, et Ishtar se retrouva face à Coehoorn, de l’autre côté du bureau. Ce dernier la regardait silencieusement, imperturbable, et finit par parler, de sa voix autoritaire et forte.
«
Je suis le Maréchal Coehoorn, responsable de cette campagne. Pour commencer, sachez que vos renseignements vous ont sciemment induits en erreur, et que ce n’est pas Sylvandell qui est responsable de cette opération, mais l’Empire d’Ashnard. Concrètement, ceci ne change pas grand-chose pour vous, car votre royaume est entre nos mains, mais il est important de rétablir la réalité historique des faits, parfois. »
L’information, encore et toujours. Coehoorn s’était débrouillé pour laisser filtrer quelques informations, afin qu’Infernis minimise l’attaque à venir. Sylvandell était un petit royaume méconnu de quelques dizaines de milliers d’âmes à tout casser. Mieux valait donc qu’Infernis se prépare à attaquer un petit royaume plutôt qu’un immense Empire militaire.
«
L’Empire a décidé de s’approprier vos terres, car ce volcan sur lequel vous avez bâti vos villes nous intéresse beaucoup. Nous envisageons de faire venir des colons pour construire des forges, et extraire la roche volcanique afin de la traiter et d’en faire des armes. »
Il exposait calmement les faits, et poursuivit :
«
Votre capitale est en lambeaux, votre palais est en feu, et votre armée en déroute. Sans leur dirigeante, ce n’est plus qu’une question de temps avant qu’Infernis ne succombe, mais nous tenons à... Accélérer les choses, et minimiser les dégâts. Voici donc comment les choses vont se passer... Soit vous êtes raisonnable, et Infernis ne sera pas rasé de la carte, soit vous vous entêtez, et nous brûlerons toutes vos villes, et déporterons tous vos habitants pour en faire des esclaves qui alimenteront nos immenses champs ou nos massives forges, nos colons remplaçant progressivement la population locale pour qu’il ne reste plus rien de votre royaume qu’une brève mention dans les livres d’Histoire. »
Coehoorn exposait sur un ton lent la situation. Dans l’annexion d’un territoire, il fallait parfois se passer des habitants locaux, et faire venir d’autres habitants. Sur le long terme, c’était généralement plus rentable, car on évitait les risques de rébellion, d’émeute ou de guerre civile. L’investissement était très onéreux, mais très rentable sur le long terme. Coehoorn en profita donc pour sortir un long papier, et le tendit à Ishtar.
«
Ce document, pour en résumer brièvement le contenu, certifie que vous capitulez, vous rendant à l’Empire d’Ashnard, en acceptant toutes ses conditions, qui sont, pour simplifier, l’abandon de votre souveraineté à notre profit. Selon votre degré de coopération, vous pourrez toujours conserver votre royaume, mais, quoi qu’il advienne, vous serez annexés à l’Empire d’Ashnard. »
Le trait était assez court, mais résumait l’essentiel. Il ne manquait que la signature d’Ishtar. Coehhorn parla en remuant une main machinalement.
«
Signez, et ce sera la fin de la guerre. Nous cesserons de déporter vos sujets, de tout brûler, ou de procéder à des exécutions pour l’exemple. Refusez de signer, et... »
Pour mieux se faire comprendre, il serra le poing.