J'ai longtemps attendu cette journée, ce moment. J'ai dû me battre contre tout et tout le monde, j'ai souffert, j'ai perdu des gens qui étaient des parties de moi-même. Mais je ne veux plus y penser. Pas dans cette chambre, pas sur ce lit. Pas avec lui. Ne penser qu'à lui est bien suffisant pour amener un peu d'ombre au loin. On s'en est vraiment fait subir l'un à l'autre et chacun de notre côté. Toujours ensemble d'une certaine façon. On avait la même manière de s'infliger tout ça, la même connerie. Ce qu'on a connu la première nuit, aucun de nous deux n'a pu ignoré qu'on ne le retrouvait pas. Nuit après nuit pendant ce foutu mois : on a fait semblant. Inutile d'en parler. On aura peut-être chacun nos raisons pas si mensongères mais une seule a vraiment compté. On a fait semblant parce que l'autre avait l'air d'y croire, et que si ça le rendait heureux alors ça valait bien le coup. Et je n'ai qu'un trait à tracer pour arriver en Irlande, au moment où je lui dis que je n'y ai pas cru malgré tout ses efforts. Où je lui dis que d'autres ont pris sa place, sans arriver à lui dire que ce n'était qu'au début, parce que je n'ai pas su me contrôler.
Mais finalement je ne regrette pas. On s'est retrouvés, comme la première fois, c'est déjà encore mieux parce qu'il n'y a plus à avoir peur. Alors le reste ne compte plus. Et ça ne me gêne même pas de penser que je n'ai jamais traité une bite aussi amoureusement. Il y a des dizaines de façons de décrire ce qui se passe sur ce lit. Des plus salaces aux plus pudiques, des plus rapides aux plus détaillées. Aucune n'est vraiment à côté de la plaque, pourtant elles le sont toutes. Mais je ne vois pas de mot pour décrire les sentiments parfois délirants qui me font frémir.
Kyle. Tu m'aimes, je le sais depuis le début. Tu n'es pas le premier à me l'avoir dit, ni l'avoir vraiment ressenti, peut-être le seul à ce point. Mais toi tu me crois. C'est ça qui change tout, que personne d'autre ne m'a vraiment donné. Que je te dise que je t'aime ou que je te déteste, que je te remercie de donner un sens à ma vie ou que je t'accuse de la gâcher, tu n'as jamais mis ma parole en doute. Je t'en ai dit, des horreurs. Pourtant tu me crois encore quand je te dis que je t'aime et que tu es tout ce qui compte le plus. Je sais que tu le crois. Et là où ça devient le plus doux des délires, c'est que je le sens. Tous mes sens me le dise en ce moment, alors que je te répète que je t'aime d'une toute autre façon. Je le vois, je l'entends, et tu me prendrais pour une folle si je te le disais, mais j'ai presque l'impression de le goûter.
Je le laisse m'interrompre, me redresser, m'embrasser. Enfin ! Et je m'étonne à nouveau de nous voir tous les deux si calme dans ce moment si intense. On est pourtant pas les derniers à se mettre la pression et tout foirer. Mais aujourd'hui rien ne peut me faire peur, rien ni personne ne peut tout gâcher, même pas cette idiote d'Hitomi Dana Yamagashi-Finnegan. Je me dresse à genoux tout contre lui, et pose les bras sur ses épaules. Je ne le serre pas, je ne le tiens même pas. Je laisse seulement une main tomber dans ses cheveux, l'autre dans son dos, et je l'embrasse en le caressant du bout des doigts. Pourtant je sens son membre pressé contre mon ventre, et d'après mes souvenirs à peu près jusqu'où il ira à l'intérieur.
Ça me fait sourire entre deux baisers, le front collé au sien. Mais je ne dis rien et je l'embrasse encore. Puis je m'écarte juste un peu en laissant mes mains descendre jusqu'à ses poignets. Je guide ses mains sur mes hanches pour un peu d'aide. Cette fois on ne volera pas, et il n'y a pas d'eau pour nous porter. Ma main droite part se perdre, ou plutôt chercher très précisément entre nos corps, alors que la gauche remonte pour crocheter sa nuque au creux de mon bras. Je me hisse alors il me porte, je le guide alors il me repose. Et au premier contact entre mes cuisses je sens un frisson puissant qui nous traverse tous les deux. Puis il commence à entrer.
C'est exactement ce qu'on s'était dit par mail : parfait parce que c'est toi. Plus doux, plus tendre et plus intense qu'aucun autre. Ma bouche s'ouvre mais je n'arrive même pas à soupirer. Les yeux retenus par les tiens j'ai bien mieux à faire, comme t'embrasser, remonter ma main jusque dans ton dos pour me presser un peu plus contre toi. Je sais bien que tu voudrais que je m'écarte juste un peu pour profiter de ma poitrine qui étouffe entre nous. Mais laisse-moi encore un peu de temps, quelques secondes pour te retrouver. Ton corps m'a tellement manqué, et plein de petites choses. Comme jouer de la langue pendant que tu rentres en moi et que je devrais gémir au lieu de t'embrasser. Ou sentir comme ton torse se gonfle contre moi, pour moi, alors qu'on en est encore qu'au début.
" Hah ! "
Au bout, enfin. Tu n'es pas le premier, mais tu es le seul que je sois si heureuse de regarder dans les yeux à cet instant. Et tu es tellement chaud, bouillant même, que pour un peu ça m'inquiéterait. Tes cheveux sont déjà trempés de sueur. En remontant je viens m'y chatouiller le bout du nez en pressant tendrement ta tête contre moi. Puis en redescendant avec un petit gémissement je cueille une goutte salée sur ton front. Mais je ne t'ai pas littéralement collé le nez dans ma poitrine pour t'en priver dans la seconde. De toutes façons, si je ne me cambre pas je sens que mes vertèbres vont exploser sous la pression. Alors profites-en, puisque c'est aussi pour ça et comme ça que tu m'aimes.
Je suis d'humeur plus physique que lors de notre première nuit, et même si je n'en dis rien je ne le cache pas. Mais ça ne me rend pas moins tendre ou romantique, juste un peu plus enthousiaste dans les mouvements de mon bassin et les ondulations de mon corps. Ça rend peut-être aussi mes doigts un peu plus tendus. Mais je ne doute pas, ni ne crains d'en faire trop ou trop peu. Ce n'est pas notre première fois, c'est encore plus rare que ça : notre deuxième chance. Combien y ont vraiment droit ? Je ne connais personne qui ait trouvé ce que nous avons. On a failli le perdre, on est passés si près. À croire que le monde entier voulait nous en priver. Le monde a raté : c'est toujours là, entre nous. On a réussi.
Alors ce n'est pas seulement du sexe que je savoure en ce moment, et même si te faire l'amour une fois encore est magique ce n'est pas tout. C'est aussi une victoire et une récompense, que je prends et qui me prend sans retenue, tout naturellement. Toi, Kyle. Pendant très longtemps j'ai refusé de croire au mérite, parce que ça m'aurait rendue folle. Si j'avais dû me poser sérieusement la question j'aurais sans doute pensé que je ne te méritais pas. Mais je réalise que ce n'était pas la bonne question. Est-ce que je te mérite ? Peut-être, peut-être pas. Est-ce que tu me mérites ? Je n'en sais rien, comme je t'aime et tu me veux je ne pourrais répondre que oui.
Mais on se mérite tous les deux, on mérite d'être ensemble. Je le sais. Et on le mérite tout simplement parce que ça marche. Parce que quand je suis tendrement plantée sur toi les barrières s'effacent d'elles-mêmes. Je n'ai pas à me forcer ou à supplier, je n'ai pas à craindre que tu me fasses du mal comme les autres. Du mal : on s'en est déjà fait, on s'en fera peut-être encore. Mais ça ne me fait pas peur, parce que d'une façon ou d'une autre on se retrouvera encore.
On se retrouvera comme aujourd'hui, et on fera encore l'amour comme si on avait jamais quitté l'onsen. Comme sur ce lit où je nous sens tout entiers calés sur le même rythme. Le même souffle, comme un seul être, chaque mouvement parfaitement harmonieux. Et le même plaisir sourd et irrésistible qui me fait pourtant à peine soupirer. J'ai presque l'impression que ça ne vient pas de nous, comme si on ne faisait qu'attendre un lever de soleil. Il suffit d'être là, l'un contre l'autre, et de regarder le ciel qui s'éclaire.
Il suffit de laisser le monde tourner.