Les lames entaillaient l'épaisseur de papier, et se fichaient dans le mur sur lequel il était accroché. Qu'y avait-il sur ce papier? Oh, rien d'important, juste une photo de Verr. C'était plus distrayant de lancer des couteaux sur lui, mais comme il n'était pas là...
Le Prince était assis dans son canapé de velours rouge, et s'ennuyait à mourir. Il attendait juste que quelque chose se passe. Tous ses larbins étaient fort occupés, et lui n'avait rien d'autre à faire que de rester là. Balamb était parti faire des faux papiers pour un client, Luna faisait les comptes et vérifiait que le gérant du casino avait bien reversé son dû pour les sachets de cocaïne qu'il avait commandé, et Verr était parti glaner quelques informations dans le Quartier de la Toussaint. Mel n'était pas un grand amateur de la télévision, sauf pour les infos, et ne se sentait pas d'humeur à invoquer une succube pour passer le temps. Ni aucune autre créature pour se défouler d'ailleurs, il ne voulait pas les entendre beugler de douleur quand il les piétinerais... Alors, il restait là, les jambes reposant sur la table basse, à hérisser le portrait de Verr avec ses couteaux. Il avait connu des jours plus excitants. Et puis, il se leva, décidé à aller faire un tour en ville, attrapant au passage son manteau posé sur une chaise en le rejetant par-dessus son épaule. Les journées étaient fraîches en cette saison, même en fin d'après-midi. Il allait quitter la pièce et posait la main sur la clenche lorsque quelqu'un frappa à la porte.
Qui est-ce?
Il entendit la personne s'agenouiller derrière la porte. Il ouvrit et vit l'un de ses larbins, tête baissée.
Je suis venu transmettre un rapport de Verr. Cela fait plusieurs jours qu'il est sur la trace d'un type qui opère indépendamment sur notre territoire. Il est réputé pour ne jamais laisser aucune indice le trahissant, aucune trace.
Le Yakuza était un homme plutôt imposant, au crâne rasé, avec un tatouage de dragon façon tribal sur le côté du visage. Et pourtant, cet homme osait à peine lever les yeux vers son Boss. Il n'osa même pas réagir lorsqu'il prit un bon coup de pompe dans le menton. Il tomba à la renverse, sur les coudes.
Tu diras à Vermisseau que s'il a un rapport à me faire, qu'il le fasse lui-même. Et je me moque qu'on vienne me parler d'un type qui fait le fier. Si on avait pu le trouver de quelque façon, tu serais venu me chercher? Non. Le devoir des larbins et de veiller au bien-être de leur maître, pour qu'il n'ait pas à formuler d'ordres. La prochaine fois que tu réapparaitras devant moi, vient avec quelque chose de plus consistant que des infos pareilles. Mieux, amène-moi directement cette anguille.
Toujours fixé sur ses chaussures, le sous-fifre se releva doucement. Mais au lieu de tourner les talons, il déglutit et tira de ses poches arrières un article découpé dans le journal, et une photographie. Il ferma les yeux et se crispa, mais s'arma de tout son courage.
Verr m'a demandé de vous remettre ceci, en espérant que vous y prêteriez attention. Il a réussi à pincer notre gars, et a déterminé d'après ses précédents coups qu'il y avait 80% de chances qu'il s'en prenne à la bijouterie Novatt, sur la rue Jinshiro. On a déjà un homme en planque dans le coin.
Mel arracha des mains du mafieux les deux objets et les regarda en souriant. La photo avait sans aucun doute été prise par Verr, on y voyait un homme aux cheveux noirs, souriant en se barrant avec ce qui semblait être son butin. L'autre était un article, parlant d'une affaire récente relevant du Comité d'Investigations des Procureurs. On y voyait sur la photo de l'article le même type, grimé en homme de loi. Le boss ricana:
Retirez-moi le pauvre con qui est sur les lieux. Je suppose qu'il a gardé son costard, et niveau discrétion on a vu mieux. Je vais intervenir personnellement, si ce criminel travaille à la cour alors il m'intéresse, on n'a encore personne dans le juridique. Maintenant disparais, et tire une balle entre les deux yeux de Verr, de ma part.
L'homme de main hocha la tête, et précisa que le casse devrait avoir lieu d'ici au minimum une heure et demie, ensuite de quoi il fila en évitant les couteaux que lançait le boss.
Une heure et demie plus tard, le Prince Reaper était assis sur une conduite d’aération, faisant jouer un couteau entre ses doigts. Il était posté sur le toit de la bijouterie, et attendait que sa proie entre en scène. Immobile dans la fraîcheur du soir récemment voilé d'ombres. Il se jura que si le Vermisseau l'avait envoyé ici pour des prunes, il le collerait dans un four crématoire pour un jour ou deux. Son portable indiquait 20h40.