Jeu dangereux ... - Arkaïm -

On aurait dit que la foudre était tombée là, au coeur de cette vaste forêt. Il y a deux heures, Selkis s'était présentée à l'orée de la forêt, dans un silence plein de respect. Il n'y avait que le vent, qui fredonnait dans les feuillages, et un délicat soleil qui dansait entre les branches ... Rien d'autre qu'une beauté qu'elle ne connaissait que trop peu. Pour elle, qui vivait au milieu des pyramides et d'un désert aride, ce genre de spectacle était grandiose. Son escapade au parc du Yellowstone lui avait fait le même effet : yeux éblouis & coeur embaumé. La déesse était ensuite entrée dans cette forêt, gracieuse et silencieuse. Elle y avait entr'aperçue une clairiére, assez exigüe, afin de s'y poser.

Elle y alluma un feu, s'imprégna des lieux, souffla un peu. Sa marche avait engourdie ses membres ... Il ne faisait guère chaud, et une bise venait couvrir de frissons sa peau diaphane. Assise, les genoux posés sur le sol, elle ouvrit une gourde de cuir. Un liquide rougeoyant y stagnait. Liquide qu'elle avala en réprimant une grimace. Des herbes y avaient macérés pendant des nuits, donnant à cette "potion" un goût d'absynthe. L'alcool lui brûla le palais, mais elle ignora la douleur, et sortit de son sac de l'encre. Ecartant les tissus rougeoyants qu'elle portait, elle commença à dessiner sur sa peau des hiéroglyphes mystiques. Si une personne avait pu la voir, elle aurait aperçue une femme au visage fermé, arborant une sorte de sari où des tissus orangés, rouges, dorés se superposaient, le corps couverts de signes délicatement tracés. Puis Selkis sortit l'ingrédient le plus important de toute ce rite : une amulette.

Qu'elle offrit aux flammes. Qui s'élevérent et dansérent, chantérent, hurlérent. Une transe agita son corps frêle, et elle s'écroula sur le sol, violemment. Sa bouche, grande ouverte, n'émettait aucun son. Au bords de ses yeux, des veines jaillissaient, teintant son globe occulaire de rouge. Sa coiffure se défit, et ses cheveux parsemérent le sol. Un cri, sorti des ténébres, résonna alors ... Et il vint. Horus. Le dieu s'extirpa des flammes, et elle se redressa, possédée. Elle était incapable de prononcer le moindre mot, si ce n'est :

- Horus ...

Comme un psaume, une psalmodie. Elle le serra contre elle, longuement ... Un simple contact l'anima. Mais l'amulette était de faible qualité ... Aussi, une demi-heure après leurs retrouvailles, après de longues et lentes étreintes, il s'estompa. Selkis offrit alors son énergie au flammes, s'épuisant afin de rester avec son époux le plus longtemps possible .. En vain. Horus ... murmura t'elle, son visage se creusant, son sourire s'envolant. A l'instant même où il était parti, elle tomba. Le sol lui fit l'effet d'un coup violent, tandis qu'une larme salée et glacée glissait sur sa joue.

... Et elle resta inanimée. Le feu, éteint. La gourde, serrée dans une main. L'amulette, réduit en cendres. L'encre des hiéroglyphes, presque effacée, tachant sur sa peau. Quand des gens arrivérent, que virent-ils alors, sinon une femme au visage triste, aux yeux clos, le corps sali par des mots incompréhensibles, les cheveux défaits ? En tout cas, elle demeurait incapable de se réveiller, plongée dans un songe noir et inquiétant.

« Arkaïm, ouvre ! »

J'étais en train de lire quand on frappa à ma porte. Vu l’entrain que Silas mettait dans ses coups, cela devait être important. Ni une, ni deux, mon livre était déjà posé sur la table que je me dirigeai vers la porte de bois, hâtif. À peine eus-je le temps de l'ouvrir que deux hommes et une femme s'engouffraient dans mes appartements ; l'un d'eux portait un corps, celui d'une femme manifestement. Je les invitais à poser son corps inanimé sur un des deux lits de la pièce où je recueille les malades et blessés.

« Où l'avez-vous trouvée ? »
« Il y a une heure de marche environ... on a entendu du bruit et on a vu cette jeune femme par terre... »

Alors que Silas continuait ses explications, je dégageais une mèche du visage de la jeune femme. Elle n'avait pas l'air d'être blessée ni d'être vraiment malade. Du moins, c'était la première impression que j'avais et je pense qu'elle était plutôt fatiguée, voire très fatiguée. D'un pas pressant je quitte la pièce cherchez de l'eau fraîche et le villageois continuait de me suivre en étalant toutes une séries d'explications comme pour se justifier. À quoi bon, je savais très bien qu'il n'avait rien à voir dans cette histoire...

« On sait pas qui elle est, elle doit pas être du coin... puis... »

Une fois ma gourde en main, je retourne dans mon « infirmerie » et je porte un peu d'eau à la bouche de ma « patiente ». Je mets un peu d'eau sur ma main et j'hydrate son visage, d'un geste lent et concentré.

« Tu peux rentrer chez toi, toi et tes hommes. Je m'en occupe maintenant. »

Après quelques formalités de politesses les trois villageois s'en allèrent. J'étais à présent plus tranquille pour exercer mes fonctions de guérisseur. Bon. Maintenant, je me mets à examiner le corps de la jeune femme ; elle était dans un drôle d'état, pour sûr. Je trouve étrange qu'une femme comme elle se retrouve dans la forêt ainsi... ses habits, cette faible énergie émanant d'elle... elle n'était pas « normale ». Ces traces, sur sa peau... on dirait de l'encre, comme si quelque chose avait été dessinée sur elle.

Peut-être qu'il ne serait pas utile d'user d'herbes médicinales pour le moment. Peut-être que ça n'était que de la fatigue. À vrai dire, si c'était juste une maladie, voir même de simples blessures, j'aurais bien senti quelque chose. Pourtant, ça m'avait l'air d'être bien plus que de la fatigue... son cas m'échappe totalement. Quelque chose n'est pas normal et je sens un truc qui fait qu'elle n'est pas normale.

Dans le doute, j'allume un peu d'encens et je fredonne quelques incantations censées éloigner les mauvais esprits. Je fais les cent pas dans la pièce, attendant une amélioration. Mon bâton n'est pas trop loin, je l'ai posé dans le coin de la pièce, au cas où.

Selkis ne rêva pas. Non, durant ce "malaise", alors que toute son énergie s'était évaporée, elle n'avait pas rêvée. Un rideau de plomb noir s'était abattu sur son esprit, comme pour lui offrir un repos qu'elle méritait ... Ses rêves n'étaient hantés que de souvenirs, habituellement. Cette trêve lui fit le plus grand bien.

... Au point qu'elle se réveilla en toussant. L'impression qu'un insecte avançait dans sa trachés la fit tousser, d'abord doucement, son corps s'animant avec une certaine retenue. Le monde des rêves n'était pas encore derrière elle, à ce moment. Puis une toux la réveilla brusquement, au point qu'elle porta sa main à sa gorge, toussant à pleins poumons. Il lui manquait trop de forces pour qu'elle puisse se lever, bien qu'elle tenta deux fois. Deux fois où son corps retombant mollement sur le lit. Le lit ? La déesse regarda autour d'elle, les yeux écarquillés et la vue brouillée. L'odeur de l'encens l'agita, tout autant que les bruits de pas qu'elle entendait. Ses yeux, embués, discernaient difficilement des formes, des couleurs, des éclats de lumières ... Elle ferma les yeux un moment, reprenant une respiration plus calme.

- Ha ...
 
Murmura t'elle, vérifiant que sa voix n'était pas morte, emportée par cette toux bruyante.

- Père, je ... Où suis-je ?

La boisson qu'elle avait bu vagabondait toujours dans ses veines, l'étourdissant. Selkis avait acheté ce philtre sur Terra, à une vieille pythie aigrie. Un puissant philtre, avait-elle jurée. Qui vous permettra d'accomplir tous vos sortiléges, et de retrouver les disparus. En attendant, ce "filtre-miracle" lui rongeait le cerveau. Elle s'imaginait que Rê se tenait là, quelque part, prés d'elle ... D'un mouvement qui lui parut surhumain, elle tourna le visage à droite, puis à gauche, malgré que sa vue refuse de se rétablir correctement. L'odeur rance de l'encre se mêlait à celle de l'encens, la faisant tousser à nouveau.