Mère Nuit avait étendu son chaleureux voile sur la forêt, et sa poudre de sommeil s'abattait sur toute personne en dessous de ce dernier, soit à peu près toute la faune et la flore locale.
Les criquets entamaient leurs chants abstraits, rattrapés de peu par les hiboux qui, d'une mélodie parfois grave, parfois légèrement aiguë, venaient soutenir leurs camarades poètes.
La pénombre était également tombée, et la lumière chaude des foyers pouvait s’apercevoir de loin, réchauffant l'atmosphère angoissante qu'un voyageur nocturne pourrait rencontrer en s'enfonçant dans la forêt sombre et dangereuse.
Aux abords du village elfe, tout n'était que repos et animaux pacifiques, qu'ils dorment ou qu'ils chantent, de nuit ou de jour, chacun animait cet endroit semblable à un paisible havre de paix, dont la seule lumière rivale était celle de la lune, pleine, tâchetée par endroits, et qui, comme à son habitude, attirait les regards des passants inconscients, perdus dans leurs pensées, sans se douter que ces regards étaient liés à ceux d'un autre village, non loin, dont les habitations n'étaient que des masures érigées avec amour et intelligence, de facture solide, n'hésitant pas à épouser le terrain, une butte ou un arbre centenaire...
Mais ce village était désormais bien éloigné de Tarik K'rig, le fils aîné du chef du village des hobgobelins, mais attention, des hobgobelins forestiers, bien loin de leurs confrères des plaines ou des déserts, un peuple pacifique et d'une couleur bien plus clair, d'une stature bien plus fine et à l'accoutrement plus évolué que celui de leurs pairs, dotés d'un respect profond de la nature qui fut enseigné à leurs ancêtres par les elfes voisins, et dont la tradition se perpétue telle une religion.
De nuit, Tarik ressemblait à n'importe quel elfe, les hobgobelins ayant une machoîre d'herbivores et donc démunie des larges canines qui déforment habituellement les traits des goblinidés, les rendant facilement perceptibles.
Lorsque la lumière douce et tendre du village l'enveloppa, le jeune hobgobelin observa un moment son accoutrement, une tunique pratique ne le serrant pas trop, un pantalon de toile rembourré, ses bottes de cuir quelque peu usées et une veste légère lui rendant les épaules presque carrées, il s'était fait beau, et peu de personnes pouvaient se douter pourquoi, sa visite nocturne restant largement secrète, mais l'odeur délicate des herbes dont il s'était couvert de l'arôme si agréable laissait facilement songer que ce serait une visite délicate.
Il repéra bien vite la chaumière à l'écart, et s'enroula la tête d'une écharpe de soie noire, préférant éviter de se faire prendre à traîner dans la rue à cette heure ci, aussi préféra-t-il entrer directement plutôt que de frapper, déposant sa veste dans le couloir :
Bonsoir, professeur.
Pas de réponse, mais la mélodie envoûtante qu'il percevait depuis son entrée le dirigea bien vite vers la pièce où son enseignante se trouvait.
Dans la pièce, sous l'influence du feu de cheminée, un objet scintillant sortit rapidement de la poche du hobgobelin qui s'approchait doucement de l'elfe assise, sans se rendre compte du miroir.
Il porta l'étrange chose, constituée d'os, à sa bouche, et sous son souffle maîtrisé et régulier, il accompagna habilement les notes de l'elfe, ne prenant pas la peine de s'excuser de son intrusion, il savait que lorsque Thealliel jouait, rien ne pouvait l'en tirer facilement...