Une dernière fois, Daenerys regarda dans son sac de toile afin d'être certaine de n'avoir rien oublié. Lorsque sa main disparut à l'intérieur, et se mit à en tâtonner les différents contenus, des bruits de verre, de bouteilles s'entre-choquant se firent entendre. Mentalement, elle dressa sa liste et chercha du bout des doigts chaque élément.
Le miroir, le pain, l'huile, le sel et le vin avaient été acheté au marché de Nexus. Il en allait de même pour les bougies, trois noires et trois blanches. Dans la campagne environnante, elle avait demandé à une femme taillant ses rosiers l'autorisation de lui subtiliser quelques fleurs de lavande, chose à laquelle la femme de la campagne répondit par l'affirmative. Un petit tour en forêt lui avait été indispensable, afin de trouver quelques fruits d'églantier, mais ça n'était pas tout. A l'aide d'un petit couteau rituel en argent, elle avait également dû recueillir sept rameaux de genièvre, ainsi qu'une petite branche de noisetier. Un soupir traversa ses lèvres. Chaque élément était dans le sac, elle disposait donc de tout ce dont elle avait besoin. Ce qu'elle voulait? Provoquer sa double-vue. C'était une entreprise osée, d'autant plus que les visions ne lui manquaient pas, mais elle avait besoin de savoir... Elle avait laissé son royaume aux mains de ses conseillers le temps de son absence, il fallait qu'elle sache ce qu'il en était, ce qu'ils faisaient, si ses terres n'étaient pas déjà morcelées et cédées à ses rivaux, si ses gens n'étaient pas en train de mourir de faim...
D'un pas décidé, elle gagna l'auberge et en ouvrit discrètement la porte, traversant en silence la salle pleine d'hommes et de femmes, les uns en train de boire, les autres en train de les faire boire et/ou de leur vendre leurs charmes. Il était difficile pour une femme de sa taille d'être discrète, d'autant plus lorsque vous ne sentiez que le frais, les épices et la forêt plutôt que l'alcool et le lard, comme la plupart des gens présents. Cela dit, Daenerys avait toujours eu le port altier qui témoignait de son rang et de ses manières, chose qui était suffisante et dissuadait qui que ce soit de l'importuner quand on avait mieux à faire. En l'occurrence, la plupart des clients étaient très aux prises avec les poitrines généreuses des serveuses. L'apparente jeune femme les laissa à leurs jeux indécents et se contenta de frapper, des phalanges, sur le comptoir. Le propriétaire fit son apparition, sortant manifestement des cuisines, un torchon à la main.
-Une chambre je vous prie. Avec un feu déjà allumé.
C'était beaucoup demander, mais elle avait de quoi payer. Elle le démontra en glissant une pièce d'or, discrètement cette fois-ci, dans la main du tavernier qui hocha la tête, ne pipa mot et se contenta de lui demander de la suivre. Gardant la capuche de sa cape de velours sur sa tête, Daenerys monta les marches à la suite de l'aubergiste en silence. Il lui ouvrit la porte d'une chambre, probablement sa meilleure, car le lit était de qualité supérieure, la température était maintenue à un niveau plus qu'agréable par un feu chaleureux, et, elle put le sentir tout de suite, la pièce et les draps étaient propres. De plus, une bassine d'eau propre et chaude, probablement destinée à un bain, l'attendait. Manifestement, cette chambre avait été préparée pour quelqu'un d'autre, mais Daenerys se réjouissait qu'elle lui revienne.
-Je vous remercie.
Lui remettant la clé de la pièce, petite malgré tout, l'aubergiste s'inclina légèrement avec respect, et se retira. Derrière lui, elle verrouilla volets et portes, à l'aide de la clé, de la poutre de bois prévue à cet effet, mais également, au cas où, à l'aide d'une chaise inclinée et se mit au travail. Ôtant sa cape de ses épaules, elle la lança sans soin sur le lit. Bottes, pantalon de cuir, chemise en lin ainsi que le reste de ses vêtements subirent le même sort. Une fois nue, Daenerys s'accorda quelques instants de calme, prenant le bain pour lequel la bassine avait été préparée, mais ne s'y attarda pas. Se servant d'un linge propre prévu à cet effet, elle se sécha rapidement, ainsi que sa lourde chevelure diaphane, et entreprit ce pourquoi elle était là. De son sac de toile, elle sortit tous les éléments, disposant les bougies autour de la cheminée en demi cercle, alternativement une noire, puis une blanche. Elle les alluma toutes, et à l'aide d'une craie bleue, dessina des symboles, des runes, à même le bois du plancher. Au centre du demi cercle formé par les bougies, devant l'âtre de la cheminée, Daenerys déposa le miroir. Elle disposa le pain, le vin, le sel les fruits et les fleurs en évidence, et alla prestement revêtir la robe de tissus blanc des prêtresses, ouverte en V des épaules jusque bas sous le nombril, mais également le long des jambes. Rien ne devait entraver leurs mouvements. Le tissus était simplement retenu par une ceinture d'or fin, à laquelle pendait des chaînes dans le même métal, ainsi qu'un lien difficile à dénouer dans sa nuque. Elle se démêla également les cheveux et, une fois prête, vint s'agenouiller devant le miroir près duquel elle prit le soin de mettre une jatte d'eau de pluie, pleine.
La branche de genièvre fut jetée aux flammes de la cheminée, tandis que la branche de noisetier venait ceindre son front. Les fruits et les fleurs furent bientôt à leur tour consumés, certains par les bougies, d'autres par la cheminée, et elle frotta sa poitrine d'un mélange d'huile parfumée et de sel. Elle avala ensuite un morceau de pain, ainsi qu'une gorgée de vin, et trempa ses doigts dans la jatte d'eau, afin d'en recouvrir le miroir, goutte à goutte, sur toute sa surface.
-Par l'ordinaire et l'extra-ordinaire, par l'eau et par le feu, le sel, l'huile et le vin, par les fleurs, par les fruits, Ô Dieux, je vous le demande. Que mon royaume m'apparaisse!
Alors, la surface du miroir, où dansaient les reflets déformés et confus de Daenarys et de la pièce se troublèrent d'avantage encore. Dans l'imprécision de ses visions, la jeune femme put cependant se rendre compte que le décor changeait. Elle interpréta ceci comme un bon signe, après tout, son royaume ne ressemblait pas à une chambre de taverne. Il se passa cependant une chose à laquelle elle ne s'attendait pas. Les contours se firent de plus en plus précis, jusqu'à être parfaitement reconnaissables. Une grande salle aux murs et sol de marbre blanc se dessina devant ses yeux. Les sourcils de la femme se froncèrent légèrement. C'était bien le matériaux dans lequel était sa salle du trône, mais l'agencement en était tellement différent! Absorbée par sa vision, Daenerys ne se rendit pas compte que, plus que lui offrir une image éthérée de son royaume, le miroir ne lui offrait que le reflet d'une pièce dans laquelle elle se trouvait, différente de celle où elle avait entamé le rituel. Quand elle se décida, l'espace d'un instant, à lever les yeux du miroir, la jeune femme sursauta violemment, et retomba sur son séant. Elle avait quitté sa chambre d'auberge, pour se retrouver dans un autre totalement méconnu.
Pourquoi? Comment? Où? Autant de questions meurtrissant son esprit, alors qu'elle était apparue, sans trop savoir comment, au milieu d'un endroit dont elle ignorait tout. Suspicieuse, elle se redressa lentement et remit ses vêtements en ordre, avant de traverser cette pièce immense, sans un regard pour son miroir. Il lui fallait trouver de quoi recommencer son rituel, pour retourner en arrière... Heureusement pour elle, son petit couteau d'argent pendait à sa ceinture. Sur les dalles de marbre de la pièce, ses pieds ne produisaient qu'un son léger, mais régulier, trahissant le rythme soutenu de la course de Daenerys. Elle ignorait où elle allait, mais une chose était certaine... Elle y allait belle et bien.