Ses mâchoires s'écartèrent dans un grand bâillement sonore, suivi par un craquement tout aussi bruyant des os sous ses doigts. L'ossature avec laquelle elle s'amusait depuis un moment n'était presque plus qu'un tas d'os cassés en deux, ne manquait que le crâne et quelques côtes. Les mygales géantes s'amusaient à construire d'étranges fondations avec les restes de squelette, et Mithra les observait, intriguée par ce comportement, au pied du grand arbre sous lequel elle se protégeait de la pluie. pour une fois, elle était au niveau des racines : les créatures ne semblait plus vraiment vouloir la dévorer, et certains s'approchaient même quelquefois, histoire de recevoir une ou deux caresses.
La terranide s'était acclimaté à leurs présences et inversement. Au début plus semblables à des monstres affamés, les araignées ressemblaient plus à des chats depuis que Mithra leur apportait à manger de temps en temps. D'énormes chats à six pattes et sans yeux, certes, mais leur fourrure était tout aussi douce que celle d'un félin et ils agissaient de la même manière depuis qu'ils étaient "apprivoisés". Ils semblaient aussi posséder une intelligence supérieure aux autres créatures de la forêt. Mais contrairement aux autres, ils étaient immangeables, et la jeune femme ne leur avait trouvé aucune autre utilité que de la divertir les jours de pluie par exemple, comme ce jour-là.
Elles possédaient aussi un langage bien à elles, rudimentaire, ce qui avait permis à l'animale de l'apprendre après quelques jours d'observations. Elle appréciait cette compagnie plus que celle d'une personne, et après tout, avec la mousson de cette semaine, elle n'avait pu que chasser très peu et n'avait rien d'autre à faire.
Mithra ouvrit un œil en entendant les feuilles s'écraser sous de fines pattes près de son arbre. Une mygale en sortit et alla directement vers la terranide avant de se jeter dans ses bras. Elle reconnut un des bébés de cette espèce, petit et (presque) sans défense. Il couinait (la hyène le retourna alors, il fallait dire que c'était difficile de repérer leurs têtes lorsqu'ils n'ouvraient pas la bouche) et ses camarades arrêtèrent leurs construction pour se rapprocher de la maîtresse des lieux et couiner à leur tour.
Si elle comprenait bien ce qu'elle avait appris ces temps-ci, le couinement aigu signifiait soit qu'une proie avait été trouvé, soit que quelque chose n'allait pas. Vu les tremblements qui accompagnait la petite araignée dans ses bras, elle comprit qu'elle devait un peu s'affoler. Cette espèce était en effet assez puissante pour réduire en miettes un fauve féroce, et elle n'appelait pas à l'aide à moins qu'il n'y ait quelque chose de grave.
La terranide se leva et lâcha la créature qui atterrit avec souplesse sur le sol. Il ne fallut pas longtemps pour que la troupe ne suive le bébé qui se dirigeait vers la source du problème, et la chasseresse se contenta de les suivre, se lançant à quatre pattes pour augmenter sa vitesse et pouvoir les suivre.
Les créatures se lançaient de petits cris entres elles que Mithra, dans la foulée, ne parvint pas à comprendre. Mais en voyant des fils de soie s'accrocher aux branches environnantes, elle comprit que c'était un signal de dispersion. Bientôt, elle ne fut plus qu'accompagnée du bébé qui continuait de courir à une vitesse effrayante.
Ils s'arrêtèrent dans un bosquet dégagé, entouré de point d'eau. A vue de nez, la terranide estimait qu'ils n'étaient plus du tout au cœur de la forêt : elle connaissait cet endroit comme sa poche, après tout. Il ne devait rester qu'environ cinq kilomètres avant la sortie du territoire. La petite araignée gémissait autour de ses pieds nues et finit par s'agripper à ses jambes pour retourner dans ses bras, tremblant comme une feuille. Mithra sortit lentement sa dague du fourreau accroché à son pagne et observa les environs. Elle courut un peu, s'agrippa agilement aux arbres pour analyser les environs, et c'est alors qu'elle vit.
Des traces de branches cassés, de pas dans les hautes herbes. En se décrochant du grand pin et en replongeant dans la clairière, ses yeux cherchèrent toute trace d'inconnu, mais elle dût se rendre à l'évidence : quelqu'un était bien là, et le silence inhabituel de cette partie de la forêt, sans oiseaux pour chanter et seulement rompu par les gémissements de la créature accroché à son pagne, la mettait mal à l'aise.