Après cet épisode, restait à se souvenir d'où était cette voiture. A l'orée du parc, sans doute ... Il avait la fâcheuse habitude de se garer hors des parkings et des endroits qui avaient comme but, à la base, d'être tout, sauf des endroits pour y nicher la voiture. Surtout ce soir ... Après avoir un peu bu, et surtout dans l'urgence que la première jeune fille qu'il avait rencontré vomisse ce qu'elle avait -trop- bue, il n'avait pas dû faire attention. Il lui fit signe de le suivre, sans pour autant partir loin devant elle. Il comptait rester prés d'elle, histoire qu'il ne lui arrive rien d'autre. T'es con, t'es loin d'être un ange gardien .... Il arriva au bout de sa cigarette, et la jeta derrière lui, sans délicatesse.
- Anglaise, dis-tu ?
Il eut un sourire.
- Comme Sir Edward Brune-Jones ...
Un de ses peintres favoris ... Il la toisa, la dévisageant un moment. On la jurerait sortie d'un tableau, un de ces portraits devant lequel vous vous attardez, parce que quelque chose brille sous cette peinture. Le goût du mystère ...
Il reconnut rapidement la forme de sa voiture, au loin, et pressa le pas. En quelques gestes, elle clignota, s'alluma, et les laissa entrer. Sa voiture sentait un peu trop le tabac, ces temps-ci. Ses insomnies le conduisait à traîner partout, une clope au bec. Il lui ouvrit la portière, l'installant à l'avant, et démarra en trombe.
Elle cala. Une fois. Puis elle repartie vers la route, et il conduisit, se retenant de fumer à nouveau. Non, il ne voulait pas passer pour un toxico.
Il faisait noir, les lampadaires n'étaient pas très rassurants ... Tandis que quelques endroits étaient tapissés de lumières, d'autres étaient dans le noir le plus complet, laissant entendre que n'importe qui pouvait se trouver dissimulé sous ses formes étranges. Il connaissait la route, il la connaissait bien.
Il reconnut les formes de son appartement, là-bas ; un bel et grand immeuble, qui se dressait de manière phénoménale au milieu d'un quartier calme et reposé. A savoir, un parc léger, digne d'un jardin à la française, et quelques autres bâtiments chics et reposants. Son appartement était dans un ton " Art Nouveau ", digne d'un hôtel d'Horta. Il s'arrêta, regardant autour de lui.
Puis il la regarda.
- Nous y sommes.
Il avait repris ce ton froid, l'alcool avait disparu de son corps. Il redevenait lui-même. Il lui fit signe de le suivre, à nouveau. A cette heure, rien n'était ni sûr, ni tranquille. Il l'emmena donc chez lui, au troisiéme étage, dans quel but ... ? La mettre en sécurité, sans doute. Il la fit donc entrer, refermant la porte dans un silence profond. La pièce principale de cet appartement n'avait rien de vraiment audacieux ; si ce n'est une ambiance empreinte d'orientalisme , et de romantisme, avec des reproductions de Friedrich et de Delacroix sur les murs.
Il la fit asseoir sur un canapé aux allures Louis XV, sobre et audacieux - qu'il avait déniché en France, avant de partir - , face à " La mort d'Ophélie " de Millais ( un peintre britannique ) et disparut pour aller chercher de quoi la soigner.
- J'espère que ... Tu n'es pas effrayée.
Il se retint d'ajouter qu'il ne lui voulait aucun mal, cela n'était jamais rassurant. Puis il revint, face à elle, posant quelques affaires sur une table basse en ébène.
- N'aie pas peur, je ne te ferais pas de mal. assura t'il.
Il lui tendit la main, afin qu'elle y pose son poignet, qui risquait d'être douloureux s'il ne faisait rien.