Été, automne, printemps, hiver... Quatre saisons, quatre styles de vies, quatre rythmes traduits magnifiquement par le compositeur de talent: Antonio Vivaldi. Éric Carter ne pouvait que s'incliner devant ce genre d'art, pour lequel il avait beaucoup de respect. Ça n'était pas le cas pour l'Opéra par contre, constat plutôt comique, alors que souvent les deux vont de paire. Ceux qui aiment l'un aiment les concerti, symphonies et autres "i" qui sonnent classique, mais soyons réalistes... Ça se saurait voyons si Éric entrait dans la moyenne. Quoiqu'il en soit, chaque rythme et chaque saison lui plaisait, pour différentes raisons. L'été, il faisait chaud et les tenues des demoiselles se faisaient bien moins couvertes, raison évidente. L'automne, les feuilles des arbres arboraient de jolies couleur et un parfum d'humus emplissait l'air dans son Angleterre natale, ce qui lui rappelait toujours de bons souvenirs. L'hiver et ses rigueurs lui donnaient des raisons et moult prétextes pour ne pas sortir de chez lui et rester plutôt avachi devant la télé et enfin le printemps, encore l'odeur de l'air empli de promesses et de renouveau. Et aussi, les crises de rires garanties par les nouveaux couples qui rompent à l'été suivant pour les plus chanceux. Rien de pire que les "mon coeur, chérie, bébé, je t'aimerai toute ma viiiie...". Immondices, ça lui donnait envie de gerber. L'amour ça se fait pour se concrétiser, ça ne se déclare pas à tout bout de champ. Moins de blabla, plus d'action.
Toujours est-il que l'été, que ce soit à Seikusu ou ailleurs, Éric s'en satisfaisait pleinement. C'était la réflexion qu'il se faisait alors que ses yeux verts, dissimulés sous des verres tintés de lunettes de soleil, essayaient de se découvrir des pouvoirs de rayons X pour voir de quelle couleur était le sous-vêtement de la serveuse à la robe honteusement courte qui se penchait devant lui pour ramasser un verre brisé par les mains d'un client maladroit.
- Monsieur Carter... Vous m'écoutez?
Hum... Absolument.
Non, il ne l'écoutait pas du tout cet hypothétique client, mais il ne voulait pas paraître impoli. Voilà ce qu'avait fait Éric de sa journée. Se lever, se préparer, s'habiller et partir déjeuner avec un homme aussi riche que lui, ou presque, pour essayer de lui faire signer un contrat qu'il signerait de toutes les façons, quoiqu'il puisse lui dire. Ce déjeuner d'affaires était donc plus une forme qu'un fond, et l'homme aux cheveux diaphanes pu en profiter avec légèreté sans complexes. Quoiqu'il en soit, les papiers signés et le numéro de la serveuse à la culotte de coton blanc (elle serait sage paraît-il) récupéré, Éric prit congé de son nouveau client et rentra chez lui.
Cravate desserrée, chemise déboutonnée et pieds posés sur la table avec une bière devant la télé? Non. Du moins, pas totalement. Certes, sa cravate et sa chemise n'étaient plus mais pas le temps pour lui de s'avachir devant son écran plat. Il préféra, par cette chaleur, passer son maillot de bain et aller faire quelques longueurs à la piscine. Et comme Mr Carter fait toujours ce dont il a envie...
Plus tard, revenu un peu avant l'heure de l'apéro, il passa rapidement par la case "douche" pour se débarrasser de l'odeur du chlore et lui préférer celle de son gel douche, au parfum identique à celui de son eau de toilette hors de prix mais il devait l'avouer, un plaisir pour lui, et enfila des vêtements plutôt classiques, pantalon noir et chemise... Rouge, histoire qu'on ne le pense pas évadé de noces, sans cravate bien évidemment, mais avec une veste, un peu de monnaie, les clés de son appartement et roulez jeunesse.
Boire un petit coup c'est agréable a-t-on coutume de dire. Donc rien de plus normal que les pas d'Eric le conduisent vers un bar, hupé tout de même. Il n'a pas les mêmes valeurs que le petit peuple. Après un rapide tour de salle effectué avec les yeux, il décela rapidement sa source d'amusement de la soirée. Ce qu'il y a de pratique avec Mr Carter, c'est qu'il est lui. De ce fait, aborder une femme ou un homme au culot ne lui pose aucun problème. Et comme il a la chance de posséder un certain charme, on lui en veut rarement. Conséquence directe de ça, il vint s'assoir à côté d'Adelheid et lui sucra son verre d'absinthe. A-t-on idée de servir une chose pareille à une femme habillée d'une telle façon? Pour contrer toute protestation, Eric interrompit la Norvégienne en plaçant une main pour la réduire au silence pendant qu'il lançait au Barman d'un ton insolent:
Servez-lui plutôt une grenadine, pensez à ce que dirait son chaperon, sans doute Mary Poppins ou toute autre nurse du genre, s'il voyait sa protégée habillée presque comme une soubrette et dans un bar qui plus est... Il serait très mécontent de vous jeune demoiselle.
Jeune, ça restait à prouver. Eric se targuait de connaître quelques trucs de physionomiste mais évaluer l'âge de quelqu'un, surtout quand la personne en face de lui avait comme lui les cheveux prématurément blancs, était loin d'être dans ses compétences. Quoiqu'il en soit, c'est lui qui se mit à siroter la boisson de la jeune femme.
Pouah c'est de la piquette, elle était meilleure en Espagne... Pas de protestations, et je vous offre vos consommations. L'absinthe, c'est une boisson d'homme!
L'homme en question n'était pas macho pour un sou, c'était compréhensible par quiconque ayant un peu de jugeote de par le sourire qu'il affichait, plus amusé par la situation qu'autre chose. Le fait était que la Norvégienne n'était pas très couverte et que lui, pour avoir son âge, il était parfaitement au courant de ce que pouvait risquer un joli petit bout de femme comme elle, en particulier si elle venait à consommer de l'alcool. Ce genre de comportement lui soulevant le coeur, il préférait prévenir que guérir. Après, s'il se faisait envoyer balader, c'était autre chose. Peut-être cette petite bonne femme aux cheveux blanchis désirait-elle, finalement, se faire tringler par le premier venu. Si c'était le cas, il lui suffirait de le dire à Eric et il lui rendrait son verre. Ou pas, ça dépendrait de son humeur.