Le scénario semblait des plus abracadabrants. Pourtant Adelheid était habituée à entendre des histoires assez imaginatives, surtout avec son frère qui passait son temps à chasser les démons. Et ça, des démons, elle en avait vu, depuis qu'elle s'était installée à Seikusu. Comme quoi, il y a des points d'affluence, sinon ça n'est pas possible ! Ou alors c'est un nouvel endroit en vogue chez les habitants du Pandemonium... Et oui, même la Jet Set démoniaque a ses petits caprices...
Alors, elle se trouvait à Nexus. Un nom charmant. Une dimension parallèle ? Charmant. Frig n'avait jamais été dans une énième dimension, mais qui sait, l'expérience pourrait être agréable. Quoiqu'un peu douloureuse sur le plan psychique. De toute façon, au point où elle en était, la norvégienne se sentait forcée de croire Carmody, et le tout sans broncher. Elle ne répondit rien. Elle n'avait rien à dire, et pour cause, elle ne connaissait rien de ce pittoresque paysage. Tout cela sonnait comme lointain. Comme dans un rêve, en somme. Hélas on ne pouvait dire si la situation était toute à fait réelle ou imaginaire. Mais le triste réalisme des faits laissait penser que la jeune femme était bel et bien éveillée. Comment réagir. Se dire « Waouh, enfin un peu de mouvement dans ma journée ! » ou bien « Merde, dans quelle connerie je me suis encore fourguée ? » ? Dilemme.
Carmody l'invité à le suivre dans un endroit un peu moins bondé. Oui, Adelheid a le chic de s'attirer tous les facteurs déplaisants. Durant leur dizaine de minutes de marche, la jeune femme tournait la tête tantôt à droite tantôt à gauche, sa main serrant sa cane. Que d'originalités ! La ville était agréable au premier regard, ses habitants un peu moins. Du moins, ça dépendait desquels. Certains, bien habillés, trainaient avec eux de pauvres âmes torturées. Un groupe d'étranges personnes restait groupé, tout en propagandant les bienfaits d'un certain Ordre. Vénérez notre Dieu, disaient-ils. Frig ne croyait jamais à ces histoires de dieux ou de religion. Ce n'est pas pour rien que la Norvège est l'un des pays le moins religieux du monde. C'est une des raisons qui font penser que chez eux, il est tout à fait normal de s'insulter de noms hérétiques. Adelheid est très (trop) forte à ce jeu. Une étrange créature, mi-femme mi-chienne, tomba à ses pieds, sous l'empressement de son maître, un vieil homme à la stature plutôt effrayante. La jeune femme blonde voulut l'aider à se relever, mais l'hybride se fit rapidement dégagée par son propriétaire... Cela lui donna presque envie de donner un coup de cane dans les chevilles de cet homme pour voir ce que ça lui faisait de subir le même sort que sa « propriété »... Qu'est-ce qu'elle trouvait ça horrible. Les humains sont horribles. Dans un élan mélancolique, elle poussa un soupir face à cette triste débandade qui prenait place autours d'elle. Un autre petit être vint bousculer Adelheid et lorsque le gamin aux drôles d'attributs félins aperçut à qui il avait affaire, il s'enfuit en s'excusant platement. Il était vrai que dans cet accoutrement la jeune femme ne paraissait pas mieux que ces riches petits aristocrates même si elle n'était pas du tout comme eux.
Une fois arrivé dans un parc, Carmody s'assit sur un banc et invita l'étrangère à faire de même. Frig s'installa délicatement, toujours en serrant de ses mains enfermées dans ses gants sa cane. D'ici elle observa l'étrange nature qui les entouraient. Un bel endroit, vraiment, exotique à souhait. Attentivement elle écoutait le explications toutes aussi farfelues que l'endroit où elle se trouvait en ce moment même. Ses lèvres carmins s'animèrent enfin dans une douce voix aux accents reconnaissables.
- Si je comprends bien, nous nous trouvons dans un monde parallèle intemporel, où toutes formes de créature plus impensable les unes que les autres existent. Cela serait un peu comme le mélange de diverses séries télévisées sans aucuns liens les unes des autres. Umph. C'est dommage, je ne regarde pas la télévision.
Cyniquement, bien-sûr. Selon ses dires, on pouvait conclure que l'étrange jeune femme venait d'une époque plutôt récente contrairement à ce que ses atours laissaient voir. Elle jouait toujours avec sa cane de ses doigts fins comme pour trouver ses paroles. Comme depuis leur rencontre, sa tête était penchée vers ses pieds de manière à ce que son visage reste invisible. D'une part car elle n'avait pas envie de le montrer, puis aussi parce que son cher et tendre frère lui raconta une de ses énièmes mésaventures qui tendit vers la morale : « Si tu vas en territoire ennemi et qu'on se souvient de toi, tu es dans la dritt. »
- Je sais que j'ai pris la mauvaise habitude de croire à tous les eventyr que l'on me contait dès mon plus jeune âge, mais je dois avouer que l'ampleur de la situation me dépasse. Ce monde est réel, soit ! Cela ne m'empêchera pas de rentrer chez moi. Du moins je l'espère !
Anormalement sûre de ses paroles, Adelheid poussa un soupir et toute son hardiesse s'en alla d'un coup. La jeune femme tourna légèrement sa tête vers son interlocuteur.
- C'est assez embarrassant. Elle marqua une pause. Puis-je vous demandez quelles sont vos occupations, ici ?
C'était totalement déplacé, mais sur le moment Frig s'en fichait pas mal. Malgré le ton plutôt distant qu'elle employait, elle ne voulait pas paraître froide. Elle était juste un peu tendue par la tournure de cette petite virée matinale. Cette tension était perceptible dans le son de sa voix pour ceux qui savent faire attention à ces choses-là.
Les nuages se dissipèrent petit à petit, dévoilant quelques parcelles de ciel bleu par-ci, par-là. Ne se faisant pas prié, maints rayons de soleil vinrent illuminer l'émeraude végétal qui les entouraient. L'air devenait plus tiède lorsque le soleil caressait de sa langue brûlante le paysage qui immergeait de cet automne précoce. Le soleil... Raison de plus pour qu'Adelheid garde son chapeau sur elle... Ultrasensible au soleil, sa peau en était la preuve. C'était pourquoi pratiquement chaque parcelle de son corps était couverte, pour éviter les coups de soleil imprévus. La norvégienne comptait garder son couvre chef à tout prix, c'était préférable. Il est plus facile d'oublier quelque chose que l'on ne connait pas, du moins ici, ça serait plutôt quelqu'un.