Des yeux verts lumineux, iridescents, qui se braquent sur une montre capturent l’heure, la renvoyant comme une information, sous forme d’impulsions électriques que le cerveau traduira. Sensation désagréable. De l’agacement. Il était encore tôt. Trop tôt. Eric en avait marre de ces déjeuners d’affaires qui s’étiraient en longueur pour arriver au même but que celui qu’ils avaient convenu en entrant le restaurant au chic tapageur. La différence, c’est qu’en y entrant, ses associés et autres financiers étaient énervés, affamés. En sortant, ils avaient bien mangé, bien bu, la peau du ventre bien tendue et leurs mains aux doigts boudinés qui se flattaient mutuellement, en se consacrant les maîtres de la terre. Relative bonne humeur donc. Et Eric aurait pu être comme eux, avec quelques années en moins, s’il ne passait pas tant de temps à prendre soin de lui et de sa silhouette. Lui courait au moins une fois par jour, allait au moins deux fois par semaine à la piscine et cumulait bien d’autres activités sportives en dehors du travail, sexe mis à part évidemment. Aussi n’avait-il juste rien à voir avec ses hommes. Lui était grand, bien bâtit, indéniablement sportif. Et sa qualité d’ancien militaire et de pilote de réserve lui assurait une musculature authentique qui n’avait rien de gonflette superficielle. Il n’en était pas encore à la carrure du videur, plutôt anticharismatique du reste, mais c’était un homme jeune et robuste, dans la pleine force de l’âge. A la jonction entre le jeune adulte et l’adulte ferme. Il avait l’expérience de son vécu qui n’était plus négligeable désormais et encore la fougue de la jeunesse. Doux âge charnière…
Les cendres des cigares cubains hors de prix et les tasses des cafés vides s’empilaient, dans les cendriers pour les unes, sur la longue table pour les autres. Et au milieu de tout ça, Eric se montrait combatif, commercial, avenant mais aussi convaincant. Il avait été technique et persévérant. Et finalement, ils purent signer les contrats. Il avait eu ce qu’il voulait, comme toujours. Batailler pendant des heures n’avaient servi à rien, puisqu’en le voyant les financiers avaient tout de suite su ce qui se passerait, mais ils pouvaient se targuer d’avoir gagné un repas aux frais de la princesse. Et pas des moindres. Un repas gastronomique dans un grand restaurant. Mais maintenant, il était plus de quatre heures de l’après-midi et Eric avait besoin de changer d’air. Aussi, une petite demi heure, histoire de faire bonne figure, après la ratification de leur accord avait-il invoqué l’heure tardive comme prétexte et des milliers de choses à faire pour s’éclipser en toute discrétion. On lui avait serré la main et frappé un peu dans le dos, avant de le laisser partir. Il laisserait le soin à son assistant de s’occuper des contrats, lui enfilait son casque, son blouson de cuir inconditionnel tout simplement parce qu’il était prudent et que le cuir restait encore la meilleur protection en cas de chute, et le moteur de sa grosse cylindrée avait retentit. Pour l’emporter ailleurs. Chez lui d’ailleurs.
Il avait jeté ses clefs dans le pot, sur le petit meuble en verre de l’entrée, et son blouson sur son canapé noir aux coussins blancs. Se déshabillant au fur et à mesure qu’il gagnait sa chambre, c’est nu comme un vers qu’il y entra. Il enfila un maillot de bain, un peignoir, prit une serviette et quitta son logis pour gagner le centre de l’immeuble, où une piscine était réservée aux résidents. Il n’y avait personne, comme d’habitude. Beaucoup se réservaient le luxe d’avoir leur propre piscine, lui n’en voyait pas l’utilité. Celle-ci était très bien, et faire étalage de sa richesse pour rien n’était pas dans ses habitudes. Après avoir ôté son peignoir et posé sa serviette, il plongea. L’eau fraîche lui fit du bien. Il nagea plusieurs heures. Personne ne vint. Quand il commença à fatiguer, la peau du bout de ses doigts s’étant déjà flétrie depuis un long moment, il sortit du bassin, renfila son peignoir et retourna chez lui, serviette sur les épaules. Quitter de l’eau pour de l’eau. Il fila sous la douche, histoire d’enlever tout le chlore de sa peau. Nul besoin de se raser, il l’avait déjà fait le matin pour son rendez-vous d’affaires.
Alors, du déodorant, un peu de parfum. Une chemise verte, un pantalon, des tennis, une veste et une ceinture noire. Seule la boucle était argentée. Un coup de peigne dans sa tignasse diaphane, et le voilà prêt à sortir.
On récupère le blouson de cuir sur le canapé, les clés dans le pot et on s’en va. Le moteur tourne à nouveau, il emmène Eric vers un bar sympa, et se gare devant. Le casque est enlevé, Eric secoue la tête sèchement pour remettre ses cheveux en place. Pas à la L’Oréal, ses mouvements à lui n’ont rien de ceux des mannequins. Lui ils sont secs, brutaux. Il abandonna ses affaires au vestiaire et pu, alors qu’il poussait les doubles portes de la salle, se dire qu’il allait boire un petit verre tranquille pour finir correctement cette journée. Il ne chercha pas de femme dès son arrivée, ça n’était pas son genre et c’était bien trop voyant. Plus discret, plus patient, il gagna l’une des tables, s’assit dans l’un des fauteuils et cette fois pu à loisir détailler la clientèle déjà présente à loisir. Tous, hommes comme femmes, étaient sur leur 31. Eric était en tous les jours. Amusant de constater comme certaines notions peuvent différer selon le point de vue. Une serveuse vint s’enquérir de sa commande.
Un scotch s’il vous plaît.
Petit apéritif, avant d’aller dîner. Parfait.