- O'Hara. Dana O'Hara.
En quelques minutes, la jeune arrivante était adoptée par le groupe. Etait-ce parce qu'elle était une femme, et fort jolie d'ailleurs ? Peut être. Elle était également une excellente joueuse, mais surtout, surtout, elle affichait un air mélancolique à faire fondre le coeur d'un ogre assoiffé de sang.
Personne ne posa de questions. Tous étaient assez intelligents et avaient assez de bouteille pour savoir qu'elle voulait surement de la compagnie pour se changer les idées, et rien d'autre. Même le sorceleur cessa de poser son regard inquisiteur sur elle... Au bout de quelques jeux, l'attitude désinvolte et joyeuse des autres joueurs eut tout de même pour résultat de changer quelque peu les idées de la jeune femme, et ils réussirent à lui faire afficher un timide sourire, et même à lui faire lâcher quelques bribes d'informations sur elle ..
Une presdigitatrice ? Tiens donc ?
Le rebouteux fit un bond, mais le regard de la jeune femme était perdu si loin qu'il n'osa pas ouvrir la bouche : Elle semblait bien loin d'être en état de tricher..
Le marchand menait d'une courte tête lorsque les inquisiteurs entrèrent bruyamment dans la salle de la taverne : Des têtes se tournèrent, les éclats de rire s'estompèrent, les discussions se firent moins bruyantes..
La dénommée O'Hara se tendit aussitôt comme un arc. Les yeux du sorceleur glissèrent de la jeune femme, jusqu'aux inquisiteurs, qui commençaient à interroger les clients, puis revinrent sur elle. La presdigitatrice était tétanisée, fixant désespérément ses cartes légèrement tremblantes : Une peur animale grandissante se lisait dans ses yeux d'un vert étincelant, au fur et à mesure que les hommes de l'Ordre approchaient.
Avant même que le portrait de la jeune femme ne tombe sur la table, d'un commun accord, muet et invisible, un vœu de silence fut scellé entre les hommes assis autour de la table. Aucun d'eux n'aimait franchement l'Ordre...
Lorsque le père supérieur les interrogea, le marchand arbora son sourire le plus sincère et agita une main
- Non, nous n'avons jamais vu cette charmante jeune femme Monseigneur.
- Fiiiiiiuuuu, joli bout ! Pourquoi la recherchez vous Monseigneur ? Rajouta faussement admiratif le forgeron.
Le Père supérieur ne daigna pas répondre et commença à tourner son regard vers la prestidigitatrice. Avant qu'il n'ait eut le temps de remarquer ses yeux verts émeraudes, une remarque acerbe et ironique agressa ses oreilles :
- Alors mon père ? Encore une pucelle qui vous a glissé entre les doigts ?
Tout bruit de conversation mourut subitement dans la salle, comme on éteint une flamme de bougie avec ses doigts mouillés. Le père supérieur tourna lentement la tête vers le sorceleur, la mâchoire crispée :
- La ferme, enflure de sorceleur ! Cracha l'inquisiteur avec colère et mépris. Ou je te ferais payer ton insolence.
Geralt affichait un sourire moqueur et soutenait le regard de l'homme sans sourciller.
- Allons mon père, il ne faut pas être gêné. Le voeu de chasteté est si .. contraignant ! Il est tout à fait compréhensible de faire quelques faux pas de temps en temps. Bon, il est vrai que les prêtres ont tendance à avoir un grand appétit, mais, que voulez vous : Les préceptes ne suffisent pas toujours à nourrir les hommes de foi.
Pendant un instant la salle retint son souffle. Le père supérieur serra ses mains si fort que ses phalanges blanchirent. Même les mouches semblèrent se faire plus discrètes. Tous, ici présents, étaient prêt à déguerpir : Il ne valait mieux pas se trouver entre le Père Supérieur de l'Ordre et un fou qui le provoquait ouvertement ...
Mais le père supérieur réussit à se maîtriser. Un sourire de dédain apparut au coin de ses lèvres.
- Un jour, votre confrérie de vermines sera exterminée, et le monde ne s'en portera que mieux.
L'inquisiteur tourna alors les talons, sans un regard pour la presdigitatrice.
Le guerrier aux cheveux d'albâtre ricana.
- Le jour où cela arrivera, je me gausserais au fond de mon trou en entendant les hommes tremblés dans leur chaumières fermées à double tour, cherchant à échapper aux monstres et aux créatures rôdant dans la nuit.
La vie de la taverne reprit doucement son cours. Le sorceleur avait réussi son coup de dés : Il avait réussit à détourner l'attention du père supérieur et leur jeune compagne de jeu n'avait pas été découverte.
Le rebouteux tremblait un petit peu. Après avoir regardé autour de lui, il chuchota :
- Tu joues à un jeu dangereux, Geralt.
- Provoquer les sbires de l'ordre me procure un réel plaisir. Répondit le chasseur de monstre. Si je le pouvais, je m'essuierais les bottes sur leur armure. De toute façon, je n'avais pas le choix.
Le marchand acquiesqua et tourna son regard vers O'Hara. La jeune femme tremblait et n'osait pas relever la tête. Mécaniquement, elle se leva et prit son sac, suivit du regard par les quatre comparses :
- Merci. Pour cette soirée, et... Pour tout. Adieu, messieurs.
Les joueurs de carte se contentèrent d'un signe de tête, puis la presdigitatrice s'éloigna, encore sous le choc. Un instant, ils crurent qu'elle allait se trahir quand elle s'immobilisa, ayant aperçut des membres de l'Ordre accoudées au comptoir, mais finalement elle atteignit l'escalier et monta à l'étage.
Geralt et ses camarades, qui faisaient semblant de jouer à nouveau aux cartes, notèrent le regard appuyé d'un des inquisiteurs dans le dos de la jeune femme.
(Ils sont suspicieux .. ) pensa Geralt.
Le forgeron reprit la parole
- Elle aurait dut partir directement. S'ils montent fouiller les chambres..
- Le tavernier risque de la balancer : Elle va se faire avoir. Couina le rebouteux.
- Il faut empêcher ça, sinon cela va mal finir. Geralt ..
- ça va, ça va, je vais m'en occuper. Le coupa le sorceleur en se levant. Je suis conscient que vous aurez des problèmes si elle se fait attraper : Le père supérieur serait furieux d'apprendre qu'on l'a berné. Je vais tâcher d'éviter ça.
- Tu sais bien que je ne parlais pas de ça ...
Bien sûr que le guerrier savait qu'il ne parlait pas de ça. Le marchand voulait simplement aider cette jeune femme. Mais Geralt ne voulait pas qu'on le prenne pour un sentimental. De quoi aurait-il l'air ? Il avait une réputation à tenir.
Après avoir remit son baudrier et revêtu sa cape, le sorceleur sortit de la taverne.
Dehors, il faisait presque nuit et le froid commençait à s'installer. Geralt se frotta les mains, rabattit sa capuche et commença à marcher en se demandant dans quel merdier il s'était mis. Après avoir fait un détour, il entra dans une petite ruelle donnant sur l'arrière de la taverne.
Le sorceleur s'assura que personne ne l'avait suivit puis d'un bond il s'accrocha à une poutre dépassant du mur de soutien. Il gravit alors avec facilité la façade de la taverne et arriva au premier étage.
Sa vue percante lui avait permit de noter le numéro de la chambre de la jeune femme, quand le tavernier lui avait donné sa clé. Il connaissait également l'organisation de la taverne : S'il ne se trompait pas, il était à côté de la bonne fenêtre.
Pas de lumière. Geralt risqua un coup d'oeil mais il faisait trop sombre dans la chambre. Il se mordit les lèvres. Devait-il frapper au carreau ? S'il s'était trompé, cela ferait tout raté.
Il ne lui restait plus qu'une solution : Rentrer silencieusement dans la chambre, et faire taire la personne occupant la chambre, quelle qu'elle soit, avant que toute la taverne ne soit alertée. Les explications viendrait après ...
Le sorceleur tendit la main. Une chance, la fenêtre était ouverte. Coïncidence ?
Il se glissa dans la chambre, tel un chat.