Voyant que la pauvre Cypress se retrouvait visiblement démunie face aux commentaires, à peine voilés, qui touchaient à sa vie privée, Vanessa sentit poindre, l’espace d’un instant à peine perceptible, quelque chose qui s’apparentait à de la sympathie. Non pas une compassion naïve ou indulgente, mais une reconnaissance froide de la situation : cette jeune femme avait été arrachée à son quotidien, à son cadre rassurant, et projetée dans une réalité où son intimité n’était plus un refuge, mais un dossier ouvert sur un bureau étranger. Apprendre que Vanessa savait déjà presque tout d’elle — du moins tout ce qui concernait son existence au Japon — ne pouvait qu’accentuer le caractère profondément traumatisant de cette expérience. Cypress vivait un cauchemar feutré, sans cris ni chaînes visibles, mais d’autant plus insidieux qu’il se dissimulait derrière des regards calmes et des phrases polies.
Pour autant, Vanessa ne ressentait aucune culpabilité dans l’exécution de son travail. Ce qu’elle faisait n’était ni personnel, ni cruel à ses yeux : c’était une nécessité. Accumuler des informations sur toute personne s’approchant du maître à moins d’un mètre relevait de la simple survie stratégique. La Mascarade ne laissait aucune place à l’improvisation. Une relation sentimentale, un ami proche, parfois même un collègue trop curieux, pouvaient suffire à justifier un examen approfondi. Chaque lien humain était une faille potentielle, chaque attachement un angle mort dangereux.
Dans le cas de Cypress, le travail s’était révélé étonnamment simple. Peu de relations sociales notables, aucune attache sentimentale significative, des contacts universitaires sans relief, tous déjà passés au crible. Vanessa s’était contentée de fouiller méthodiquement son appartement, son établissement scolaire et ses communications téléphoniques. Rien n’en était ressorti qui puisse suggérer une quelconque menace, directe ou indirecte, envers Hadrian. Cypress n’était pas une espionne, ni une manipulatrice, ni même une pièce sur l’échiquier de qui que ce soit. Elle n’était, aux yeux de Vanessa, qu'une adorable jeune femme isolée et obsédée par sa fascination presque maladive pour les vieux textes.
À la question de la jeune femme concernant le menu du soir, Vanessa eut sa réaction habituelle; un regard arrêté s'étirant sur une seconde ou deux, comme si elle considérait encore une fois toutes les options possibles, puis elle suivit la jeune femme dans la cuisine, avant de presque lui foncer dedans quand Cypress s'arrête sans crier gare et se retourne vers elle.
"Um… Vous avez dit que les fluides des vampires ont des effets sur la physionomie humaine… Um… Quels fluides ? Et quels effets, surtout ?"
Vanessa mesura sa réponse pendant une bonne dizaine de secondes, évaluant mentalement les risques d'exposer ainsi les secrets du corps de son maître, mais elle décida qu'Hadrian, s'il avait décidé de ne pas la convertir à l'état de goule, voudrait la garder relativement informée.
"Le sang, ou plutôt la "vitae" comme l'appellent les Caïnites, car une substance produite par le vampire suivant l'ingestion du sang, forme un lien entre le vampire et vous. Vous ne vieillissez plus. Vous ne tombez jamais malade. Vous devenez capable de choses surnaturelles, dépendant du vampire. En contrepartie, vous devenez sa chose. La première ingestion, votre pensée se dirige vers lui, presque naturellement, et sa proximité vous réénergise. La seconde fois, vous le recherchez activement. Vous négligez vos responsabilités, cherchez à justifier une raison de se revoir. La troisième fois scelle le lien. Vous ne pensez qu'à lui, en bien ou en mal. Vos pensées ne vous appartiennent plus. Chaque mot qui sort de ses lèvres sont à l'égal des mots d'un dieu. Vous vous pliez en quatre pour répondre à ses désirs. C'est pour cette raison que je vous ai recommandé de ne boire son sang qu'en cas de vie ou de mort; la première fois demande un sacrifice, certes, mais c'est gérable. Briser un lien de sang du troisième type…"
Elle secoua la tête.
"Pour l'avoir essayé, et avoir échoué, je ne le recommande pas."
Elle reprit ensuite.
"Le sperme du vampire ou le lubrifiant vaginal de la vampire contient une fraction de ce que le sang peut exercer, mais à une échelle beaucoup plus locale. Lorsqu'ingéré, il est extatique; vos sens deviennent plus sensibles à sa présence. Sa voix devient une mélodie, vous le trouvez encore plus irrésistible, son goût, incluant la salive et autres fluides, deviennent un nectar à votre langue. Au contact de la peau, en cas d'une éjaculation externe… il a quand même un effet sur l'épiderme; les nerfs deviennent beaucoup plus actifs et sensible.
En ce qui concerne la sueur… eh bien, c'est un peu du pareil au même. Au contact, la peau de l'humain devient plus sensible, parce que les récepteurs nerveux sont affectés et que la substance mêlée à la sueur a pour but de pousser l'humain à rechercher ce contact. À l'ingestion, la langue, la bouche et la langue subissent le même traitement. Selon ma compréhension, pour le peu d'avoir ingéré de la sueur ou du sperme, un orgasme oral est possible."
Elle marqua une pause dans son discours, examinant la réaction de Cypress, et jugeant qu'il serait bien de clarifier un peu les choses.
"Comprenez qu'il y a une raison derrière cette particularité; le vampire, par sa nature, dévore l'esprit et le corps de ses victimes, et cela fait que leur corps, en accord avec cette mentalité, recèle ce genre de capacité. Ce sont des prédateurs à forme humaine. Même le plus hideux d'entre eux, si donné le temps et le moyen, peut devenir la source d'une obsession maladive. Mais, normalement, le simple fait d'être au courant vous permet de comprendre les risques et de vous y ajuster en conséquence. Et… si la chose venait à se produire malgré vous, à votre requête, je peux vous apprendre à vous purger de ces effets."