Le
Eastwood's Saloon avait une image à double tranchant. Il représentait un brin d'exotisme entre les bâtiments modernes et anciens de la ville de Seikusu. Cependant, ce petit puits de culture américaine ravivait une certaine amertume envers cette grande puissance et les souvenirs douloureux qu'elle avait infligés au pays il y a plus d'un demi-siècle. Il était un refuge pour les soldats américains présents dans les bases militaires parsemés ici et là sur le territoire, nostalgiques. Il offrait également ce petit « autre chose » pour changer les habitudes des Japonais. La bonne ambiance amicale, la décoration à la manière des vieux dinner's des bords de routes américaines, tout appelait à passer un bon moment au cœur de cette enceinte. Y compris l'estrade dans le fond du bâtiment, sur laquelle était organisée moult divertissements : karaoké, concert rock ou country, magie, danse et, deux fois par mois, un show de pin-up. Ça aussi, ce n'était pas commun, qui plus est, quand on sait qui faisait ce numéro...
La demoiselle Moreau était déjà assez loin des standards de beauté occidentaux, avec son surplus pondéral, ses hanches et cuisses bien en chair, son ventre un peu gonflé et moelleux. Il n'y avait que son gros fessier et sa poitrine opulente qui pouvaient correspondre à ce que les hommes d'Occident aimaient en général. Bien sûr, il y avait bien des nippones avec de bonnes formes du style chubby, qu'on appelait
pocchari, mais elles ne représentaient qu'une infime part de la nation japonaise et étaient loin de faire l'unanimité au sein de cette même société. Malgré tout, et heureusement pour Lucie, la population de Seikusu était des plus mixtes, très variées au niveau des nationalités, donc même si la Française était dodue, il y avait tout de même des chances de plaire. Et puis, il faut le dire, cela reste rare, des spectacles de pin-up !
Il s'agissait là de sa première représentation du mois, et pour cette fois-ci, un autre individu sera présent sur scène avec la rondouillette.
Uyeda était un jeune acteur de vingt-quatre ans, habitué des scènes de théâtre, petites ou grandes, et il arrivait parfois qu'il vienne faire lui-même quelques représentations au Eastwood's Saloon. La plupart du temps seul, il prenait place au côté de Lucie lors de spectacles, quand la demoiselle demandait après un partenaire de show. Pour ce soir, il s'était vêtu d'un yukata coloré, aux tons bruns orangés, ainsi qu'une perruque rousse, d'une chevelure si longue...Avec un peu de maquillage, il donnait l'impression de venir d'une autre ère, même d'un monde divin. Et c'est ce qui était recherché !
La musique se lança, Lucie souffla un bon coup pour oublier son stress et la lumière vint la faire briller en plein milieu de la scène. La dodue s'était transformée, pour la soirée, en un
magnifique papillon bleu. Sa peau de nacre, parsemée de taches de rousseur, ne faisait que ressortir davantage son costume de soirée. Le galbe de ses cuisses et de ses jambes était mis en valeur avec de simples bas à peine plus foncés que sa peau, terminé par une somptueuse paire d'escarpins. On aurait presque du mal à reconnaître la plantureuse Française, davantage habituée à être à pieds nus ou en bottes de jardinage. Des gants en satin noir accompagnaient sa tenue, rappelant l'aspect velours des ailes d'un morpho bleu. Sa chevelure, dont elle avait accentué les bouclettes rousses, se voyait agrémentée d'un petit accessoire de plumes noires, qu'on aurait pu croire être les antennes du papillon...
Un clien d'oeil par ci, un baiser par là, et Lucie se lança, tel
le papillon qu'elle était, à la recherche de fleurs dans le dinner's, s'approchant de clients pour renifler non loin d'eux. Certains rougissaient, quand d'autres souriaient, amusés de par le mignon et le légèrement ridicule des petits pas de Lucie. Parfois, la rondouillette s'amusait à caresser les épaules des personnes présentes, délicatement, ou à leur chatouiller le nez avec ses plumes, quand d'autres encore lui susurraient quelques mots dont elle répondait avec un grand sourire des plus éclatants...