Pour Ayatvili, l'avantage de posséder une forme physique trouvait son essence dans les choses les plus simples. En cette douce soirée, en cet instant de calme où elle n'avait ni à veiller sur les prochaines dates des représentations, ni à garder un oeil sur Fuka étant donné que la démone avait fait le choix de simplement se reposer à leur auberge, la divinité avait fait le choix tout naturel d'offrir à sa chair incongrue le droit à une satisfaction relaxante : un bain. Pas n'importe lequel par ailleurs, la femme à la peau étoilée ayant tout naturellement fait ce choix pour une bonne raison, à savoir qu'elle et ses amies s'étaient arrêtée dans une station thermale du territoire Nexusien dont la renommée n'était plus à faire. Alors, avec le plus grand des calmes, elle avait abandonnée ses fichiers, laissé en plan les contrats, et s'était glissée après une petite dizaine de minutes de trajet dans les eaux délicieuses et fumantes du haut plateau montagneux, découvrant par la même occasion la pleine décontraction que ses muscles pouvaient éprouver. Sous le ciel nocturne, une partie de sa chevelure flottant comme une nappe de brouillard sur la surface de l'eau, la femme se laissait aller à une somnolence bienheureuse, loin de toutes formes de prise de tête, de réflexions mondaines, se concentrant purement et simplement sur son bonheur. Un état de béatitude dans lequel elle aurait put s'abandonner de longues heures durant si ce n'était pour un menu détail, si infime en cet instant de joie qu'elle aurait tout aussi bien pût passer à côté.
Un premier appel vint lui vrombir à l'oreille. Ce n'était pas, en soi, un élément inconnu, mais un court instant son esprit voulut se persuader qu'il ne s'agissait que de quelques traces rémanentes de son professionnalisme qui se rappelait à elle. Bien mal lui en prit, car la seconde décharge qui traversa sa caboche lui assura définitivement qu'elle n'avait pas rêvée cette impression : Quelque part sur Terra, quelqu'un ou quelque-chose tentait tant bien que mal de l'appeler à rejoindre une position qu'elle ne connaissait pas encore. Elle rouvrit les yeux avec une moue de déception, comprenant qu'elle n'avait plus devant elle le moindre instant de relaxation alors même qu'une troisième demande lui parvenait. Qui que ce soit, il s'évertuait à la contacter en boucle, sans prendre de pause ni même sans considérer qu'elle ne répondait pas à l'appel pour biens des raisons éventuels. Un long soupir s'échappa de ses lèvres alors même qu'elle se redressa, quittant les ondées chaleureuses des bains thermaux, pour alors se diriger en direction des vestiaires d'un pas lent et endormi. Quatrième appel, nouvelle décharge, son visage se crispa une seconde d'agacement tandis qu'elle poussa la porte du bâtiment pour ensuite se diriger vers ses affaires. Tirant à elle la longue toge émeraude aux broderies dorées, elle entama de s'en couvrir tout en la torsadant en plusieurs points, scellant ces excentricités de broches d'or serties de délicats grenats. Cinquième appel, l'acharnement devenait aussi évident qu'il allait désormais atteindre ses limites.
" Toi mon gars, je te promets que tu risques de passer un très, mais alors très mauvais quart d'heure une fois que je t'ai sous la main. "
Elle attrapa sa chevelure pour alors y passer ses doigts avec force, vidant sa toison de l'eau qui s'y était logée, puis ferme les yeux tout en prenant une longue inspiration. Elle savait où trouver celui qui l'appelait, ce n'était rien de plus qu'un point évident sur ce petit lopin de terre qu'était Terra. L'instant d'après, elle ferma les yeux pour abandonner une partie de sa forme, juste assez pour entamer un rapide déphasage entre la réalité et son être. Transportée en un instant de la petite pièce de bois aux confins glacés de la nuit, son voyage ne fut l'affaire que d'une poignée de centièmes de secondes, alors même qu'elle reprenait alors forme au devant de la gigantesque tente dressée en ces terres froides. Pour elle, cette arrivée ne fut pas plus que la soudaine agression de l'odeur de souffre et de carbonisation, il était évident que quelques affrontements s'étaient déroulés peu loin de cette position, mais pour les gardes qui se tenaient au devant de la toile tendue, ils durent contempler le ciel nocturne se tordre et se ramasser sur lui-même pour alors faire apparaître la forme de la déesse, une observation dont la logique ne permettait aucune explication. Autant dire que les deux bougres alors en pleine garde marquèrent une surprise évidente, autant dans leurs gestes que sur leurs visages. Pourtant, avant même qu'ils ne puissent protester ou réagir, Ayatvili profita de leur bouleversement pour ordonner qu'on lui libère le passage :
" Hors de mon chemin les crapauds, il semble que vôtre maître ait souhaité faire ma rencontre ! "
Ton parfait, réaction impérieuse et humiliante, il n'en fallut pas plus pour que les gardes acceptent son propos sans le remettre en question, écartant les pans de la gigantesque tente pour permettre à la divinité de se glisser en son seuil. Tant mieux en soi, car absolument dénuée de pouvoir sous sa forme physique, elle n'avait pas grand chose d'autre que sa voix et son aura imposante pour se faire obéir. De fait, même sa taille n'allait pas vraiment l'aider, mais que pouvait-elle y faire, elle préférait ce format où elle se trouvait plutôt proche du sol qu'une apparence allongée sans grand sens à ses yeux. En tout cas elle pénétra donc dans ce gigantesque hall de toile, découvrant rapidement du regard la scène qui se profilait devant. Un type enflammé qui se trouvait bien installé sur son trône, devant un parterre de soldats visiblement méchamment sur les nerfs, tous entourant un mage qui, une énième fois, se permit d'appeler la divinité par le biais des quelques mots inscrits sur la carte de visite. Ok, elle ne comprenait pas bien l'ensemble de cette scène qui n'était pas loin d'être grotesque, mais une énième décharge ne manqua pas de lui ôter tout désir de faire dans la délicatesse et le calme. Quelques pas donc l'attireront à l'orée de la lumière, suffisamment proche pour être remarquée de loin malgré sa peau de nuit sans lune, puis elle ouvrira la bouche pour se faire entendre de l'autre bout de cette titanesque installation militaire, afin de parfaitement se faire remarquer.
" Cessez donc ! J'ai déjà entendue trop de fois votre appel, s'il m'est donné de l'ouïr encore une fois je vous jure de séparer votre mâchoire du reste de votre corps dans la seconde. Oh et pas besoin de garder vos lances et vos armes, ce corps que vous voyez n'est rien d'autre qu'un pantin pour agir sur le monde mortel, autant le dire de suite. Par contre nulle doute que je me fâcherai si vous osez endommager ce qui est mien. "
Elle leur laissa un moment pour comprendre ce qui était en train de se passer. Après tout, pas besoin de les asticoter plus que ça, elle avait juste besoin d'être sûre que les armes seront abandonnés avant de s'approcher. Non pas qu'elle risque quoi que ce soit, elle n'aimait juste pas à avoir à ressentir les sensations de sa chair lacérée par des outils aussi gutturaux. Ça et le fait qu'une action malencontreuse de leur part pouvait effectivement la mettre en colère, donc potentiellement la renvoyer à son corps astral, et il était préférable pour tous qu'elle ne décide pas de faire de ce petit morceau de caillou stellaire sa nouvelle bille de jeu au travers de la galaxie. Bon, quelques secondes étaient passées, elle allait relancer un peu les discussions :
" Maintenant que ces premiers points sont clairs, je me présente : Ayatvili, actuellement directrice de la Compagnie des Miracles. Si vous nous avez contacté au travers de la carte de visite, j'imagine que vous souhaiteriez que nous nous produisions pour vous. Est-il acceptable que je puisse me rapprocher afin que nous en discutions, ou souhaitez vous que je continue d'hurler depuis l'autre bout de la tente ? "