Il est des sujets que, bien souvent durant l’adolescence, l’on met volontiers de côté, notre esprit -et nos hormones, parfois- ayant bien mieux à faire ailleurs.
Cela ne vaut évidemment pas pour tout le monde, toutefois trouvons-nous généralement, sur cette hypothétique liste, des sujets tels que les études, l’avenir, avec un grand A, la politique… ou encore -et cela dépend surtout du cercle familial-… la religion.
Oui, la religion.
Voilà un sujet, en tout cas, qui n’intéressait nullement Takezo. En japonaise pure jus, sa mère était dévouée au shintoïsme quand, assez étonnamment, son père, lui, préférait à ce dernier et au bouddhisme le catholicisme, qu’avaient amenés avec eux des prêtres portugais, bien des siècles plus tôt.
Ni Takezo ni ses sœurs n’avaient été contraints par l’un de leurs parents à « choisir un camp », ni même à se convertir ou quoique ce soit pourtant, pour une raison qu’aucun d’entre eux ne connaissait, c’est souvent à l’église que tous avaient pris l’habitude de se réunir, et ce en de nombreuses occasions, pour quelques célébrations quelconques, tout au long de l’année.
Si le patriarche n’avait jamais imposé sa foi à proprement parler, son investissement personnel dans la vie de sa paroisse était tel qu’il n’était pas rare que toute la famille ait à participer elle aussi à celle-ci. Pour de petites tâches, pour des travaux, du bénévolat, ou encore à l’occasion d’excursions annuelles, organisées avec d’autres membres actifs de la paroisse…
Et ça… ça… chaque année, pour le jeune homme, c’était bien trop.
Année après année devait-il se couper du monde et d’internet, au moins une semaine durant, mais aussi supporter de se faire tirer les joues par toutes les grenouilles de bénitier sur son chemin et, pire… devait-il supporter ses deux affreuses grandes sœurs, qu’il voyait bien assez comme ça toute l’année.
Les vacances étant arrivées, cette bien étrange période de l’année approchait également. Cette année cependant, c’était différent, lui avait dit sa mère. Son père devant effectuer un voyage d’affaires, elle et lui partiraient ensemble pour l’Amérique d’ici quelques jours, accompagnées de ses sœurs… et c’est donc seul qu’il irait rejoindre les paroissiens de cette petite ville, en bordure de Seikusu. Ces derniers ayant fort besoin d’aide, ses gros bras ne seraient pas de trop, lui avait fait remarquer son père, avant d’ajouter, avant que le garçon ne réplique, qu’il se débrouillerait très bien sans chaperon, lui qui fêtait ses dix-huit ans aujourd’hui même.
Vous parlez d’un cadeau…
Lui aussi, serait bien allé voir les plages de Floride.
Le regard dans le vague, l’adolescent resta bien silencieux durant l’heure de voiture qui les séparaient de l’église du petit village où il devait avoir rendez-vous, en début d’après-midi.
Son père lui avait retiré son portable des mains, lui rappelant qu’une semaine comme celle-ci lui ferait du bien… tout en communion avec la nature, et avec le seigneur lui-même…
Tu parles. Ses sœurs s’étaient bien moqué de lui à cet instant, tandis que, juste à côté de lui, toutes deux faisaient ensemble un selfie pour annoncer au monde entier leur départ en vacances.
C’est peu après treize heures qu’il débarqua sur le parking de l’église.
Il eut le temps de sortir son sac, mais oublia sa valise, pressé par ses soeurs, qui firent rapidement remarquer à leurs parents que, peu à près cette heure-ci, le périphérique de la métropole se trouvait souvent embouteillé.
Pas de larmoyants au revoir, juste quelques signes de main de son père, et de sa mère et, déjà… la voiture repartait, disparaissant bien vite dans un nuage de poussière, laissant Takezo, seul sur le parking, face à la petite bâtisse à clocher.
Il avait avec lui un peu de nécessaire vital, mais aucun rechange, évidemment, puisque privé de valise.
Takezo envoya bien quelques messages à ses sœurs pour leur demander de faire demi-tour seulement, au bout d’un quart d’heure, l’une d’entre elles se contenta bien sûr d’un simple « oups, tant pis ! », ponctué d’un emoji qui ressemblait à s’y méprendre à un doigt d’honneur. Ç’en était sûrement un, d’ailleurs.
« Tss », pesta-t-il, en envoyant valser un caillou d’un coup de pied, avant qu’une vieille habituée de la paroisse ne l’interrompe pour lui demander un coup de main, les bras chargés de cartons dont il ne connaissait pas le contenu.
Comme elle le fit tous les ans, Madame Ieko lui tira la joue, avant de s’ébahir en lui disant qu’il avait encore bien changé au cours de l’année qui venait de s’écouler. Quel gigantesque gaillard tu fais, avait-elle dit avant de lui donner une grande tape dans le dos, alors qu’elle lui avait collé absolument toutes ses affaires sur les bras.
Ne voyant plus rien devant lui, Takezo s’avança donc, guidé par la vieille dame au ricanement ignoble, grinçant déjà des dents en s’imaginant l’avoir sur le dos tout au long du voyage.
Deux minutes à peine s’étaient écoulées qu’elle n’avait pas tarie de question quant à ses parents, et quant au motif de leur absence cette année… elle qui adoooooore tant son paternel.
« Oh, bonjour Sœur Blum. », fit-elle, avant de donner au garçon une seconde tape dans le dos, lui qui, en plein milieu des escaliers, des cartons toujours pleins les bras, ne voyait absolument pas leur nouvelle interlocutrice.
« Allez, dis bonjour, grand nigaud. Voici Takezo, le fils de Monsieur et Madame Mamoru. Dites, vous savez qu’ils ne seront pas là cette année ? Oh quelle histoire… moi qui me faisait une joie de les voir et de m’entretenir avec eux au sujet de leur formidable donation de cette année. Vous savez que c’est eux qui ont payé pour la réfection du clocher, hein ? Dans son intégralité. Ah, quels gens formidables. »
Une fois lancée, la vieille pie ne s’arrêtait pas.
Cette semaine allait être longue. Très longue.