Le temps n’est pas clément aujourd’hui. Il pleut et moi, je traîne dans les rues. J’ai faim, j’ai froid. Je suis mouillée, plus humide que la culotte d’une ado à un concert de Justin Bieber. J’ai envie de dormir, de manger, de prendre un bain. Mais je n’ai pas assez de tune. Je me suis faite virer de la chambre que j’occupais depuis mon arrivée à Washington et les clients, lorsqu’il fait un temps aussi mauvais, ne sont pas nombreux dans les rues. Depuis que j’ai dû fuir les putes de la grand rue, terminant ma soirée dans l’eau glacée du port, ma rencontre avec une étrange créature, je vais de malheur en malheur. Oh. Non. Je ne dirai pas que c’est à cause de la rouquine qui m’a sauvé la vie, mais bien à cause des trois harpies qui, si elles m’étaient tombées dessus, auraient probablement pris plaisir à me torturer ou m’offrir en pâture à leur «Johnny»…
Mes derniers billets sont coincé dans mon soutif et le peu d’affaire que je possède, dans un casier de la gare. Je n’aime pas faire ça, mais ais-je le choix ? Sans toit ? J’ai déjà perdu assez d’argent et de temps, je n’aimerais pas risquer de perdre mes maigres possessions.
Les rues désertes s’enchaînent, mes talons claquent sur les trottoirs et les rares personnes que je croise sont des couples ou des personnes pressées de se mettre à l’abri. Je suis nouvelle dans le coin, alors je ne sais pas quel bar accepte les racoleuses. Si ça continue, je vais réussir à tomber malade, ce qui serait la simple suite logique de mes maux.
«Hey...Luxury c’est ça ?»
Je m’arrête. Qui connaît mon prénom ici ? Je doit peut-être me méfier, après tout, on ne sait jamais, avec la chance que j’ai en ce moment…
«Tu te rappelles de moi ? Ça alors...je ne pensais pas te revoir ! Et encore moins ici !»
Cette voix me dit quelque chose. J’ose enfin me tourner et me retrouve face à une jeune femme rousse, aux tâches de rousseurs nombreuses sur son nez retroussé. Charmine...Charlène ? Quelque chose comme ça je crois.
«C’est moi ! Charlyn !!!»
«Oh mais oui ! Qu’est-ce que tu fais là ??»
«La même chose que toi j’imagine ?»
Et nous rions, là, sur ce morceau de trottoir, la pluie nous trempant, mais nous en avons l’habitude. Charlyn est une jeune fille que j’ai rencontré en Pennsylvanie et qui m’avait dit qu’elle allait essayer de rejoindre Washington et que je devrais faire comme elle. Son teint pâle éclairé par les lampadaires en cette nuit chaude malgré le temps, semble à peine plus creusé que lors de notre première rencontre. La faim n’épargne personne après tout.
«Viens, je te paie un café ! J’ai un petit coin où je traîne, qui nous mettra à l’abri. Et tu me raconteras comment tu es arrivée ici !»
Pleine d’énergie malgré sa minceur de brindille, elle m’attrape le bras et m’attire en direction du parc. Je la suis tout en l’écoutant me raconter ses aventures depuis qu’elle est arrivée. Le bus, le type du bus qui, pendant quelques temps, l’a entretenue avant de la virer, du jour au lendemain.
«Sa femme est rentrée de voyage...tu vois le genre ? La scène que ça a fait !!! Je suis sûre que t’aurais ris. Jure.»
Charlyn. Cela me fait un bien fou de la voir là. De la compagnie dans la grisaille. Un petit Soleil au milieu de la nuit. Nous marchons, les vêtements collés par la pluie. Au parc, elle me fait passer par dessus la grille, m’entraîne dans un coin protégé par les arbres. Au coeur de cette petite «jungle» il y a une tente planquée dans la végétation. On voit que c’est aménagé pour une personne seule et que ce n’est pas si récent que ça.
«Oh. Ce n’est pas le palace, mais c’est mieux que rien. Et puis personne ne vient me faire chier ici. Le gardien...je lui fais des trucs, il me laisse tranquille. C’est un compromis plutôt bien je trouve. Y a pire. Il est pas moche alors...fin...»
Elle se tait, rosit, comme si j’allais la juger. Entre pute, on ne se juge pas. On pénètre dans la tente et elle me fait m’asseoir sur un sac de couchage ouvert, pendant qu’elle sort une bouteille d’un sac. Elle a l’air bien. Même si elle a l’air d’avoir faim.
«Raconte !»
Je lui dis tout. Mon arrivée ici, l’hôtel que je peux payer avec l’argent que j’avais mis de côté, les clients qui sont plus nombreux qu’en Pennsylvanie «Ce n’est pas difficile, la ville où on était c’était un truc de catho’» Son rire est rafraîchissant. L’alcool nous réchauffe. Je continue mon récit, entrecoupé de ses petites commentaires. Les trois prostituées, l’altercation...mais je ne sais pas. Je ne me vois pas lui raconter la sirène et tout le reste. Elle va me prendre pour une folle. Alors j’élude ça et termine sur la manière dont j’ai été mise dehors de l’hôtel.
«Merde alors ! Ma pauvre...c’est vrai que ici, il y a des secteurs qui appartiennent à certaines personnes et tu dois pas y foutre les pieds. Enfin. Moi ça ne m’empêche pas. Il faut juste savoir repérer les putes avant qu’elle ne te repère toi. Tu vois ?»
«C’est pour ça que tu es habillée comme une étudiante ?»
«Hahahaha...Oui. Je fais genre comme ça, si une pute ou un mac me voit sur son territoire, je ressemble à une jeune fille correcte plutôt qu’une prostituée en recherche de client.»
«C’est pas idiot...»
Nous passons une partie de la soirée à boire, puis elle s’excuse, elle a rendez-vous avec un client. Elle doit passer la nuit avec, elle ne sera de retour que demain. «Tu peux passer la nuit là si tu veux. Enfin...» Le gardien risque de prendre la mouche si il voit quelqu’un d’autre qu’elle-même.
«Oh ne t’en fais pas Charlyn. Cela m’a fait déjà plaisir de te voir. Je vais me débrouiller...ne t’en fais pas pour moi.»
«Il y a des squattes dans le coin si jamais...ou alors...tu peux peut-être aller plus au nord du parc, le gardien n’y va pas vraiment. C’est une zone en friche. La ville n’a pas encore décidé quoi y faire et attend des fonds. Il y a une vieille cabane en bois. J’aurais pu y aller, mais le gardien m’a dit que c’était un coin hanté...et j’ai toujours eu peur des fantômes tu sais bien...»
Je la remercie et accepte le second sac de couchage qu’elle possède et me propose gentiment. Nous échangeons nos numéros de téléphone et je la laisse aller à son rendez-vous. Je la regarde repasser par-dessus la grilles avec souplesse, habituée qu’elle est, avant de diriger mes pas vers la zone «hantée» soi-disant, du parc.
Il pleut moins, la Lune est plus haut dans la ciel. Si pleine qu’elle éclaire le chemin de caillou, comme si la voie m’était tracée. Le sac de couchage roulé sous le bras, j’arrive rapidement à un coin de forêt si dense qu’il me faut un moment avant de trouver une brèche pour entrer dans la végétation. Je suis obligée d’utiliser mon téléphone pour éclairer l’endroit. Les arbres ont le feuillage si épais, que la pluie ne m’atteint plus, avantage. Inconvénient ? La Lune semble disparue, tout comme le ciel et les étoiles. Malgré le silence presque pesant des lieux, je n’ai pas peur. Ce n’est pas comme si j’étais dans la jungle après tout !
Je peine à me frayer un passage, pense abandonner et me crois perdue, quand mon téléphone éclair un morceau de bois par terre. Une sorte de planche, suivie d’une autre. Un petit chemin sur le sol. Je décide de suivre la voie, jusqu’à ce que un reflet brillant me fasse éteindre vivement mon téléphone, l’oreille aux aguets. Comme je n’entends rien et que la lueur qui m’a fait sursauté à disparu aussitôt que j’ai éteint mon portable, je rallume lentement et balaie devant moi du faisceau de lumière. Ce qui m’a fait peur, c’est une vitre. Je pense que j’ai trouvé le fameux «cabanon». J’avance, mes pas plus assurés maintenant que mes talons ne s’enfoncent plus dans la terre meuble de la petite forêt.
Une petite porte, comme dans les contes, quelques rondins. Beaucoup de mousse et lorsque je pousse en tournant la poignée, ça résiste. Je donne deux, trois petits coups d’épaules, mon téléphone toujours en mode lampe de poche, coincé sous mon bras. La porte cède et je m’étale dans le cabanon, soulevant un nuage de poussière qui me fait tousser. Visiblement, c’est abandonné depuis longtemps, mais étonnamment, ça ne sent pas trop le moisi. Ça sent la forêt, cette odeur qu’ont les bois en automne, après un orage. Visiblement, la densité de la végétation protège l’endroit des altérations dues à l’humidité. J’éclaire autour de moi. C’est vétuste. Une simple pièce carrée, une petite table faite d’un tronc coupé, deux chaises dont une à qui il manque un pied. Il y a quelques objets qui datent d’une autre époque, un carton rempli de journaux. Les fenêtres sont pleines de toile d’araignée, mais il n’y en a pas. Comme s’il n’y avait pas assez à mangé pour que les occupantes soient restées. Ou alors elles sont planquées. L’un comme l’autre, ça ne me rassure pas beaucoup, mais au moins, je suis à l’abri et il y fait bon.
Je fouille dans mon sac à main et en sort un briquet, allume deux bougies disposées sur une planche clouée au mur. Je décide ainsi d’économiser la batterie de mon téléphone. J’ai besoin de pisser. Je ressorts de là, met un coup de pied dans quelque chose qui fait un bruit incongru dans cet endroit désert. Mon coeur manque un battement, mais lorsque je tends l’oreille, pas l’ombre d’un mouvement, rien. Rassurée, je ramasse ce qui s’avère être une vieille lampe, comme j’en ai déjà vu dans les vieux films, dont mes parents étaient si friands. Avec une des bougies, j’allume la lampe en priant pour qu’il y ai encore assez d’huile dedans et...par chance, pour une fois depuis longtemps quelques jours, elle ne tarde pas à s’éclairer.
Ce n’est pas l’endroit le plus cosy que j’aie connu, mais à côté de certaines chambres de motels, je me dis que c’est un palace. Je sors et décide d’aller uriner plus loin, prenant garde à ne pas trop m’éloigner pour ne pas risquer de me perdre. Ce serait idiot, d’autant que j’ai laissé mes affaires dans la cabane.
Il y a peau d’air, pas de bruit à part mes pas sur les planches qui servent de terrasse autour de la petite maison. Je retire mes souliers, pour ne pas m’enfoncer dans la terre en allant uriner et m’enfonce légèrement dans la nuit. Je m’accroupis après avoir baissé ma culotte, vidant ma vessie avec félicité. J’écrirai à Charlyn pour la remercier, je ne me voyais pas passer la nuit dans un squatte ou sous un pont, entre les clochards et les toxicomanes. C’est alors que le jet se tari entre mes cuisses, qu’une plainte se fait entendre. Est-ce que le bois est vraiment hanté ??