Alice ne quittait pas son "invité" des yeux. Il continuait à jouer les innocents, c'était affligeant, reculant comme si elle allait le frapper. Mais ça ne prenait pas. Elle avait compris à quel genre d'énergumène elle avait affaire. Désormais elle voulait juste comprendre pourquoi il était venu jusqu'ici, et après ça, ce serait ciao. Hors de question d'avoir un tel numéro sous son toit plus longtemps.
Puis tout à coup, Tani changea du tout au tout. Sa posture, son expression, son regard... Rien n'était comme avant, à croire qu'elle avait à faire à une toute autre personne. Elle arqua un sourcil, intriguée. Ça n'avait rien de normal. Rien ne semblait normal dans cet échange où elle se savait en position de faiblesse. Elle était une fille, faible, dont les seuls soutiens sur lesquels elle savait pouvoir comptés étaient à des kilomètres de la maison. Elle était toute seule, face à ce garçon, qui semblait de moins en moins fragile, de moins en moins innocent. Il avait beau paraitre faible de nature au premier abord, l'instinct de la jeune fille la prenait aux tripes, lui criait d'être prudente, qu'elle avait un vrai prédateur face à elle. Un prédateur qui reprit tranquillement la parole après un soupir qui sonnait d’exaspération, la timidité ayant fait place à une nonchalance éhontée alors que ses pas coulaient vers la porte du couloir qui menait à l'entrée.
- Je croirai entendre une enfant affolée…
Alice tiqua en l’entendant, laissant claquer sa langue de frustration pour seule réponse. Un peu gonflé de tenir de tels propos de la part d'un gamin qui jouait encore les victimes quelques instants auparavant. Mais c'était désormais un tout autre personnage qui se tenait face à elle. Pendant un instant, elle se demanda même si le pauvre Tani ne souffrait pas d'une forme de dédoublement de la personnalité, de personnalités multiples, ou un truc du genre. Elle se rappelait vaguement avoir entendu parler de cas de genre dans une des nombreuses séries télévisées qu'elle avait pu voir, mais jamais elle n’aurait pu croire voir ça en vrai…
- Tout a été photographié et envoyé sur mon adresse mail. Des tenues sexy … des cordes pour le SM et d’autre accessoire tout aussi douteux. Tu veux vraiment appeler les flics, qu’ils viennent et qu’ils constatent que celle qui est le plus en mesure d’être pas net c’est toi ? A ta guise.
En fait non, ce n'était pas un cas de personnalités multiples, ou alors les transitions étaient fichtrement calculées et maitrisées. Non, c'était un putain de pervers, et elle avait été assez idiote pour la laisser entrer à l'endroit où elle serait la moins méfiante. Son frère l'avait prévenue plus d'une fois de se méfier du sexe fort, mais tétue ou naïve comme elle était, elle n'avait pas prêté attention à ses mises en garde, et elle risquait de le payer si elle ne trouvait pas une issue. Enfin il était mignon avec son assurance quand même. Aussi "douteux", pour reprendre ses termes, soient les accessoires qu'il avait pu voir dans le studio photo, ils n'avaient en soi rien d'illégal. Et même si la gêne de présenter et justifier ce genre de chose aux forces de l'ordre risquaient de se faire sentir, ce n'était rien à côté de la protection qu'ils pourraient lui apporter.
- Mais toutes ces photos peuvent vite partir chez … d’autres élèves.
Aie, coup bas ! Une grimace déforma le visage d'Alice qui se mordit la langue en l'entendant. Les autorités ça pouvait passer, ils ne la connaissaient pas outre mesure, mais d'autres élèves... C'était une autre paire de manches. Les jeunes peuvent se montrer tellement mauvais entre eux quand ils s'y mettent... Quelques photos pourraient déchainer tant les passions que les rumeurs, Et puis s'ils commençaient à la prendre pour une fille facile à cause de ça... Ce n'était pas une option acceptable.
- Qu’est-ce que tu me veux ?
Elle avait craché la question entre ses dents, la mâchoire serrée. Il la tenait à sa merci, et sa mauvaise posture se confirma lorsqu'elle entendit le loquet de la porte se fermer derrière lui. Merde, l'habitude de laisser cette clef inutile en place se retournait contre elle aujourd'hui, et son agresseur, le mot pouvait être utilisé désormais, en avait bien profité pour marquer un peu plus son ascendant sur elle, lançant le précieux sésame plus loin dans la pièce, hors de leur portée à tous les deux.
La jeune fille étouffa un nouveau juron entre ses dents serrés, alors qu'elle essayait d'aviser les issues à sa portée, et pour le coup, elles étaient presque inexistantes. Il y avait bien evidemment des fenêtres menant vers l'extérieur, mais ils n'étaient pas au rez-de-chaussée, si elle sautait, elle risquait clairement d'y laisser des plumes. Quant aux autres options, elles nécessitaient toutes de passer l'obstacle Tani qui lui barrait le passage. D'ailleurs ce dernier avait réduit la distance les séparant désormais, passant à côté de la table pour récupérer le verre qui était destiné à Alice et en prendre une gorgée. C'est sûr, menacer une fille dans son propre appartement, ça donne soif !
Puis l'action qui suivit fut trop rapide à suivre pour elle. En un battement de cils, il était sur elle alors qu'elle entendait le verre se briser au sol. Mais elle n'eut pas le temps de protester qu'il la plaqua de tout son être contre le mur, bloquant ses poignets tout en pressant sa bouche contre la sienne, essayant de forcer le passage de ses lèvres. Bien sûr, Alice tenta de se débattre, mais la force de son adversaire ne lui laissa aucune chance, et sans qu'elle ne puisse protester, il l'obligea à avaler le liquide qu'il avait gardé dans sa bouche, ne la relâchant que lorsqu'il fut certain d'avoir réussi sa manoeuvre. Sous le choc de cette agression, elle se laissa tomber au sol sur les genoux, essayant de comprendre ce qu'il venait de lui faire prendre. Ses yeux glissèrent sur les débris du verre, et les morceaux se recollèrent dans son esprit. Il avait mis de la drogue dans sa boisson... et vu comme il l'avait relâché facilement, nul doute qu'il était certain de l'efficacité de son produit... Elle releva le regard vers lui, encore plus en faiblesse que précédemment.
- Si je me suis porté volontaire pour faire ce devoir avec toi, c’est parce que je voulais te piéger. Personnellement je me fiche de ce qu’il y a derrière ce rideau. Mais pas toi. Tu m’as donc offert ce que je voulais Alice. Et maintenant ce que je veux … C’est m’amuser avec toi. Et si tu mettais une de ces tenues sexy que j’ai vu derrière ce rideau ?
Il avouait sans détour que tout depuis le début de la journée avait été destiné à la piéger, et il avait réussi à la perfection. Il avait l'ascendant complet sur elle. Elle ne pouvait pas fuir, il avait un moyen de pression sur elle... Elle était à sa merci. Maintenant restait à savoir comment il comptait “s'amuser” avec elle. Enfin, pas certain que la demoiselle ait très envie de le savoir, surtout quand elle le voyait révéler où il avait mis les cordes avec un sourire en coin.
- Tu avais l’intention d’essayer ces cordes ? De quelle manière ?… dis-moi !
S'il espérait qu'elle lui réponde, il se fourrait le doigt dans l'œil jusqu'au coude ! De toute façon, quelque chose en elle se doutait bien qu'il se foutait éperdument de la réponse et cherchait juste à marquer un peu plus sa supériorité sur elle. Et cette impression se confirma encore un peu plus lorsqu'il fit claquer une des cordes à côté de son visage, comme on ferait claquer un fouet pour apeurer une bête.
- Aller dépêche toi… Ou est ce que je dois changer d’outil et utiliser mon taser ?
Oui, il la prenait clairement pour son animal récalcitrant à dresser, sa nouvelle menace en était la preuve. Mais il rêvait s'il espérait qu'elle se montre bien docile. Aussi fort qu'il soit par rapport à elle, ce n'était pas un gamin qui allait faire la loi ici. Hors de question de lui donner ce qu’il attendait d’elle.
- Dans tes rêves !
Elle se redressa difficilement, prête à lui bondir dessus pour reprendre l'avantage, mais la tête commença à lui tourner et elle retomba presque aussitôt sur les genoux. Est-ce que c'était la drogue qu'il avait mise dans son verre ? Sans doute. Elle avait chaud, très chaud, dans tout son corps. ça n'avait rien de naturel. Elle releva difficilement la tête dans la direction de Tani et demanda, la voix tremblante.
- ...Qu'est ce que tu m'as fait ? Qu'est ce que tu m'as fait boire ?...