Les plus grandes tempêtes laissaient souvent place aux ciels les plus beaux. Amano avait trouvé en amont de la montagne une avancée rocheuse qui surplombait les environs. Il n'avait pas de vue direct sur le refuge mais pouvait voir le sentier qui menait jusqu'à sa porte. Autour de lui, tout semblait calme. De longues minutes passèrent et le Voyageur repensa à la Princesse, à ce qui s'était passé. En ce moment, elle devait se sentir terriblement mal, et croire qu'elle avait fait quelque chose de déplacé pour qu'il s'en aille comme il l'avait fait.
La vérité, c'est qu'il s'était senti responsable de sa sécurité. Responsable de sa vie. Il avait l'impression de devoir veiller sur elle, et qu'à la moindre défaillance de sa part, le pire pourrait arriver... comme c'est arrivé à d'autres, par sa faute.
Il cogita ainsi un long moment avant de décider de rentrer. Il n'avait aucune idée de ce qu'il pourrait dire à Galadriel si elle lui posait des questions, mais il aviserait le moment venu.
Lorsqu'il poussa la porte du refuge, il su immédiatement que quelque chose n'allait pas.
- Princesse Galadriel ??
Il s'avança et passa à côté de la cheminée et du bain encore chaud. Le calme total régnait ici et il ne ressentait aucune présence.
- Princesse ?
La seconde chambre était vide elle-aussi. Le pire s'imposa immédiatement à Hate et il s'agita pour chercher des traces de lutte, d'affrontements. Quelqu'un était sûrement venu l'enlever. En cherchant des indices, il tomba sur les affaires de l'Elfe, sa boussole et d'autres choses. Mais.. où était-elle passée ?? Il trouva également une lettre et se figea sur place en lisant les quelques mots.
Elle était partie. Galadriel était partie...
Elle n'avait pas été enlevée, violentée ni même battue par des mercenaires, des brigands ou des créatures du chaos. Non, c'est lui qu'elle avait fuit. C'est de lui qu'elle voulait s'éloigner.
Durant quelques instants, Hate se laissa tomber sur la chaise derrière lui et réfléchit à la situation en regardant la lettre de l'Elfe, mais après quelques secondes de réflexion, il su qu'il n'avait qu'une seule réaction à avoir. Et que la Princesse soit partie à cause de lui ou non, cela ne changeait rien à l'essentiel, et à son objectif : la conduire vivante et indemne jusqu'à la Forêt Argentée. La laisser voyager seule sur les Terres Sauvages revenaient quasiment à l'avoir tué lui-même, de ses propres mains. Seule dehors, les jours de Galadriel étaient probablement comptés et il devait la retrouver à tout prix, et sans perdre une seule seconde.
Le Voyageur jeta la lettre dans le feu et la regarda se consumer quelques secondes avant de prendre les dernières affaires de l'elfe et de quitter cet endroit. La porte claqua derrière lui et il disparut dans la nuit.
Amano se mit en route tout en réfléchissant. Comment retrouver une personne seule dans un désert chaotique ? Il connaissait son énergie, son emprunte vitale et pourrait donc la reconnaître s''il la voyait à nouveau. C'était un premier point. Ensuite, Amano savait que Galadriel voulait regagner la Forêt Argentée pour trouver d'éventuels survivants de son peuple. Elle se dirigeait donc vers le Nord Ouest... Il n'avait qu'à suivre cette direction, en espérant que la Princesse sache se débrouiller sans boussole, ce qui était loin d'être gagné.
Dans la nuit et entre les grognements lointains de toutes sortes de créatures, le Voyageur avançait vite, aussi vite qu'il le pouvait... mais ça n'allait pas assez vite. Galadriel devait avoir au maximum une ou deux heures d'avance sur lui.
Quelques choses attira son regard sur le sol. À la lumière de la lune, une pierre semblait recouverte d'un étrange liquide dont les reflets avaient attiré son attention. Il posa un genoux à terre et trempa son index pour frotter le liquide entre ses doigts. Un rouge sombre, une épaisseur et une consistance qui ne laissait aucun doute : c'était du sang, et il était prêt à parier que c'était celui de Galadriel. Il était en trop faible quantité pour qu'elle se soit gravement blessée, elle devait sans doute marcher pieds-nus et il s'agirait alors d'une coupure sous la plante des pieds.
Raaa, Galadriel ! jura-t-il dans ses pensées, inquiet. Pieds-nus dans les Terres Sauvages...
Il accéléra le pas. Elle ne devait plus être très loin. Ce qui l'inquiétait le plus, c'est que si lui avait repéré son sang, d'autres créatures en avait fait de même, et bien plus facilement que lui, à l'odorat et à plusieurs kilomètres à la ronde. De temps à autre, Hate repérait une nouvelle trace et ajustait sa trajectoire. La Princesse déviait un peu trop vers l'Ouest. Et puis soudain, il entendit un cri étouffé, au loin droit devant lui, et se mit à courir. Il descendit une grande pente en toute hâte, trébucha sur des pierres, chuta même pour rouler plusieurs fois sur lui même avant de retomber miraculeusement sur ses pieds et de poursuivre sa course.
Finalement, il arriva devant une clairière de sable. Galadriel était coincée, son pieds pris au piège dans un puits creusé par les araignées géantes.
- Merde !
Il était trop tard, la bête était déjà sur elle, jamais il ne pourrait courir jusqu'à elle et l'atteindre à temps. Et même s'il le pouvait, il avait les mains vides et le couteau rangé à sa ceinture ne ferait pas de miracle.
Tant pis, pensa-t-il... Je n'ai pas le choix...
Amano démarra et courut vers la scène de toutes ses forces. Il plongea rapidement vers l'avant, comme s'il se jetait dans le vide et son corps disparut progressivement. Sa forme éthérée se déplaça environ six fois plus rapidement et lui permis d'atteindre l'araignée à temps. Son dernier voyage dans l'Ether s'était mal passé, c'était le moins qu'on puisse dire, mais cette fois, il n'avait pas le choix et devait replonger.
Galadriel eut pour dernière image la vision monstrueuse de la gueule ouverte de l'araignée géante, ses crocs mouvants s'écartant pour mieux pouvoir arracher la tête de sa victime humaine. Mais au dernier instant, une énorme explosion de sang propulsa le corps de la bête en un million de morceaux de chairs, de cartilages, de poil et de pattes. Le Voyageur s'était re-matérialisé dans le ventre du monstre, obligeant le corps démoniaque a exploser instantanément.
Hate se tenait debout devant l'elfe, essoufflé et sa poitrine se soulevant à un rythme soutenu. Son visage, sa tête et l'ensemble de son corps étaient couverts de lambeaux de chairs, de sang et de boyaux. La Princesse elle-même n'avait pas été épargnée par l'implosion et découvrit juste devant ses yeux celui qu'elle avait rencontré quelques heures plus tôt.
Hate s'empressa de la tirer de son piège et la porta pour ne plus qu'elle s'abîme les pieds. Une fois en sécurité quelques pas plus loin, il la reposa à terre pour qu'elle puisse reprendre ses esprits. Ils échangèrent un long regard, mais Hate ne dit rien.
Il se recula simplement et regarda son corps et ses cheveux couverts de sang et de viscère.
- Oups... Finalement, le bain...
La plaisanterie était osée. Il passa tout de même de longues minutes à demander à Galadriel comment elle allait, sans revenir sur la raison de sa fuite. Il inspecta ses bras, ses mains, et même son visage, à la recherche de blessures à panser. Il s'occupa ensuite de ses pieds et les nettoya délicatement avec un peu d'eau, en les entourant ensuite de bandages et de semelles improvisées. Il s'arrangeait toujours pour ne pas la laisser protester, refuser les soins ou vouloir s'excuser. Ses blessures étaient superficielles et elle pourrait enlever les bandages dans quelques heures.
- Le jour ne va pas tarder à se lever, Galadriel. Remettons-nous en route... et par pitié, ignorez-moi si vous voulez, détestez-moi si vous préférez, mais ne tentez plus d'imprudence, je vous en conjure. Je ne veux pas qu'il vous arrive quoi que ce soit...