Dans le donjon d’Ahn Ak’Thar, les jours se déroulaient généralement sans que trop de surprises ne viennent troubler les occupantes. Parfois, un aventuriers ou deux se perdaient dans l’un des terribles chemins du donjon, et il revenait à la dirigeante de ce terrible complexe de mort de faire le choix de les réduire en charpie ou de se montrer indulgente, mais ça s’arrêtait bien souvent là. D’autres fois, plus rares mais toujours aussi appréciées, quelques bêtes perdues, quelques monstruosités sans noms et sans formes se laissaient lentement attirer par la radiance divine de Sulfure, et par la même occasion, devenaient de nouveaux occupants de l’un des grands axes de cette structure ésotérico-naturelle. Et pour les plus rares cas, c’était les occupantes elles-même qui provoquaient du grabuge. Dans ce dernier cas, il s’agissait tout simplement de petite crise des unes et des autres, ou de soudain desire rata envers la cheffe du donjon, parfois pour obtenir un certain droit, d’autre fois pour simplement trancher sur ce qu’il devait être fait dans les jours à venir concernant les repas des Kraks qui se trouvaient dans les profondeurs de ce domaine. C’est que ça avait de l’appétit ces saletés ! Enfin, tout cela pour dire que rien ne sortait bien souvent de l’ordinaire, ce qui était pour le plus grand plaisir de la dirigeante, celle-ci ayant la plus grande appréciation du caractère béni de la routine. Rien ne bouge, rien ne vient brusquer ce monde, hormis les doux instants que l’on répète inlassablement en suivant le court du temps et de l’espace. Un bonheur.
Mais aujourd’hui, la routine allait être bien plus brusquement bousculer que toutes les autres fois. Pas de monstres pour être affamés, pas non plus de terribles disputes entre l’une et l’autre des commandantes à cause d’un flan au lombre qui aurait disparu de la zone réfrigérée d’Amalia. Tout au plus, et ce avec l’accord de Sulfure, Mor’Medras se devait dans la journée d’ouvrir un petit portail vers les steppes infernales pour faire venir quelques diablotins, rien de bien dangereux, mais l’équipe de serviteurs devant faire le ménage et l’entretien du donjon avait subit une brusque chute de personnelle il y a plus de deux semaines, et cela devenait gênant. Aussi, la succube s’était-elle adonnée à cette tâche sans le moindre forme de problèmes : Ni convocation, ni appel de forces supérieurs, ni même finalement de double passage un peu trop compliqué à gérer, un simple toboggan du plan des Enfers à celui d’Ahn Ak’Thar, trajet direct et sans retour. Une vingtaine de petites saloperies crasseuses plus tard, et la succube avait absolument tout refermé avec expertise pour ensuite commencer à mettre de l’ordre dans la nouvelle troupe de femmes de ménage, s’assurant de leur rappeler qui était le patron à grand coup de talon aiguille dans le gras et de sort de douleur. Mais malheureusement, cette simple petite action, pourtant parfaitement compréhensible, fut à l’origine d’une légère trace dans l’éther, là où les vents de magies s’abattent comme autant de vagues aux milieu d’une tempête… Et cette trace allait, quelques heures plus tard, provoquer un trouble sévère dans le petit monde bien rangé de Sulfure.
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«
Hum ? »
Toute-puissante, la dirigeante suprême d’Ahn Ak’Thar se redressa de son trône avec une certaine curiosité, percevant une forme de trouble qu’elle n’arrivait, en l’instant, pas à analyser. C’était… Un peu comme si l’on venait de frapper à la porte du donjon, mais sans qu’il n’y ait eut ni porte, ni ouverture, ni trappe sur laquelle frapper. Que quelque-chose venait de rencontrer l’essence même de la gigantesque mégalithique structure, ce qui revenait plus ou moins à venir toquer à l’oreille même de Sulfure sans même qu’elle n’ait eut l’occasion de pressentir cette arrivée. Autant dire qu’elle n’était que surprise, de ce genre de surprise où l’on ne ressent pas forcément de crainte ou d’appréhension, mais surtout l’étonnante nécessité de comprendre comment cela pouvait survenir. Descendant donc à petits-pas de son perchoir végétal, foulant du pied les racines de son assise qui s’illuminaient doucement à chacune de ses légères avancées, elle tenta de trouver quelle partie de son logis avait ainsi été taquinée par une force extérieure. Par là-même occasion, elle chercha à comprendre l’essence de ce qui s’approchait, mais pour l’instant, ce qui les séparait, sans qu’elle ne puisse encore l’identifier, l’empêchait de produire pareille expertise. Quand, soudainement, elle ne put plus pratiquer cette action. Sans que la reine du monde vivant ne puisse s’y préparer, ni même se mettre en garde face à la soudaine agression, elle fut à un tel point déstabilisée qu’elle manqua partir en arrière, ne se rattrapant que de peu en tendant une main vers l’une des structures végétales environnantes, cette dernière se jetant entre ses doigts pour qu’elle se rattrape de justesse.
Car tandis qu’elle s’était laissée aller à cette petite pointe de curiosité maladive face à la nouveauté, ce qui avait eut l’occasion de la rencontrer d’une bien étrange manière venait littéralement de percer un trou au travers de son être. Sulfure et son Donjon, c’était du pareille au même. L’un et l’autre représentait une entité complète, tant et si bien … que l’intrus qui venait de déchirer l’espace pour se frayer un passage à l’intérieur de la gigantesque structure avait conjointement produit une faille dans l’essence même de l’ancêtre aethyrique. Tandis qu’elle reprenait lentement ses appuis, qu’elle se redressait, elle souffla doucement en apposant sa main sur son flanc. Son énergie, son pouvoir naturel… Il fuitait. Comme l’eau qui s’écoulait de la fissure d’un barrage déjà bien étrangement résistant face à la quantité titanesque de liquide qu’il se devait de contenir, Sulfure percevait sa force s’enfuir à une vitesse surprenante. Quelque soit l’être qui venait de s’inviter en son domaine, il n’y était pas aller par quatre chemins. Pire encore, elle sentit rapidement un deuxième, puis un troisième assaut, qu’elle put bien heureusement encaisser de bien meilleure façon, maintenant qu’elle avait une idée de l’angle d’attaque qu’elle subissait. Cela ne rendait pas cela moins gênant, moins douloureux… Mais au moins ne flancha-t-elle pas sous cet étrange façon de l’attaquer. En revanche, elle ne se fit guère attendre pour réagir : Reprenant de son impériale stature, elle retrouva rapidement le soutien de son trône, puis vint appeler à elle les lianes alentours pour les concentrer en un large cercle au travers duquel elle ouvrit un portail de communication.
Elle savait où se trouvait le danger, il était temps de donner ses ordres !
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Amalia était encore en partie endormie à cette heure de la journée. Pourtant, bien loin d’avoir put prendre le temps de se préparer à ce qui allait lui tomber dessus, elle entendit en premier lieu les vibrations terribles et sonores qui animèrent les parois proches de ses grandes et terribles cavernes gelées, piège monstrueux au coeur du désert. Soudainement appelés à l’ordre par cette surprise de taille, elle ne tarda pas à s’équiper de ses outils de puissance habituels, puis s’apprêtait à quitter son lieu de retraite, sa chambrée et ses affaires, quand elle perçut les puissants pouvoirs de sa maîtresse se manifester, ouvrant un trou dans le vide de son espace personnel. Elle ne tarda pas à se mettre quasiment au garde à vous, attendant que la communication soit stabilisée pour saluer la dirigeante du donjon, mais à la place, tout ce qu’elle put remarquer fut le temps anormalement long pour qu’enfin l’image de Sulfure n’apparaisse au travers du moyen de communication mystique. C’était curieux, et elle manqua de peu d’entamer l’échange en posant une question pourtant anormalement stupide à la lumière de toute son idéalisation de l’ancêtre aethyrique. A la place, elle fit une simple révérence en attendant que sa maîtresse s’exprime, ce qui ne tarda pas :
«
Bonjour Amalia. Pardon de te surprendre, mais je pense que tu es déjà au courant : Quelque-chose à pénétrer le donjon, aux abords de ton chemin. Jauge-la. Et si elle se permet d’approcher de trop prêt de la fin de ton domaine, tu as autorisation d’agir pour l’empêcher de poursuivre sa route.-
Entendu madame Sulfure. Avez vous un souhait quand à ce que je dois envoyer sur son chemin.-
Ne fais pas dans la dentelle. Je te fais confiance.-
Merci beaucoup. J’essaierai de vous prévenir dès que j’ai du nouveau. »
L’échange ne fut pas plus long. Le portail se brisant en un simple nuage de fumée lilas, Amalia se retourna avec le clair objectif de faire la fierté de sa dirigeante. Tirant de la porte de givre le puissant bâton de mage dont elle se servait pour asseoir sa supériorité sur l’aile du donjon, elle observa la glace éternelle fondre pour lui ouvrir le passage vers son propre domaine, puis reconstruisit cette barrière particulièrement discrète dans ces cavernes de glaces et de neige. Parfait, plus qu’à choisir le premier ennemi de cet intrus. Et elle avait déjà son idée : Quelques mots dans un langage perdu lui suffirent à appeler auprès d’elle l’un des nombreux occupants des grottes de givre, ce dernier s’échappant d’une des parois comme un seul bloc, avant de finalement se déployer, l’être se révélant être une gigantesque mante religieuse d’apparence, dont le haut du corps hypertrophié n’avait d’égal que les larges faucilles qui lui servait de pattes avants. S’approchant lentement, puis en caressant la tête chitineuse délicatement, elle lui parla dans le langage des anciens, seul moyen de communiquer avec ces bêtes d’un autre temps.
«
Comme tu es beau encore aujourd’hui. Je ne t’avais même pas remarqué. Mais c’est parfait. Nous avons un intrus mon petit jighure, et tu vas être le premier à le rencontrer. Va, tends lui un piège dont il ne saurait revenir entier. »
Obéissant aux ordres dans un cliquetis plein d’impatience, la bête commença à se fondre dans le décor de glace, avant de lentement se faufiler le long des murs, prêt à s’installer sur un plafond, dans l’attente de sa proie. Il était temps de s’occuper de ce trouble-fête !