Tekhos Metropolis était une grande et vaste cité, florissante, pointe de la technologie, réputée pour avoir mis en place des sécurités telles que bien des étrangers trouvaient cette ville trop à cran, voire plus farouchement gardée qu'un coffre fort. Et ils n'avaient pas vraiment tort ! C'était notamment le cas du Sénat. Les rondes des gardiens étaient aussi précises que les codes régissant les caméras de la structure, les contrôles aussi pointilleux que les protocoles pour laisser un extérieur pénétrer les étages où les sénatrices exerçaient. A cette image, la prison abritant les criminels étaient toute aussi bien gardée ! Cependant, le Sénat possédait une faille, qui avait visiblement été repérée. Récemment, l'on avait découvert de curieuses pannes électriques dans les locaux avoisinant le vieux bâtiment législatif tekhan, aux murs blanc lisses, comme taillés dans le marbre. Personne ne se serait inquiété d'une vulgaire coupure d’électricité qui ne dure qu'une petite demi-heure si ç'a n'avait été à ce lieu précis de la cité, à cette fréquence. Une demi-dizaine de coupures en un mois. Que les meilleures tekhanes soient sur cette affaire ou que l'on cherche en urgence un moyen de pallier à cette faille, personne ne mit au courant les sénatrices, du moins, jusqu'au dernier instant.
Ce dernier instant, ce fut quand, à 11h47, Lied vit l'écran qu'elle s'apprêtait à signer disparaître au même moment que la lumière s'évanouit. Elle n'était pas seule, à cet instant, accompagnée d'une diplomate avec qui elle avait rendez-vous pour établir un traité commercial quelconque. C'était à n'y rien comprendre : n'y avait-il pas des générateurs de secours, des circuits alternatifs, ou que savait-elle encore ? Elle avait fait des études de politiques, pas de physique ! Et elle n'avait aucune intention d'appeler à cet instant sa mère pour lui poser la question, surtout quand, plus loin, dans le couloir, elle remarqua une figure clairement armée trotter en silence. Quelle meilleure idée que téléphoner à Luxienne pour lui demander par quelle prouesse il était possible de désactiver complètement et sans alarme le Sénat, tout en finissant par faire bonjour à un potentiel assassin, et lui donner le téléphone pour qu'il puisse directement dire le montant de la rançon ? Superbe ! Par chance, ce jour-là, la sénatrice Mueller n'était pas dans son bureau. Sylphe, son amie militaire, était venue passer la soirée avec elle, et ayant légèrement bu en sa compagnie, elle s'était endormie sur le canapé, lovée dans les bras de son amie. C'avait été la meilleure nuit qu'elle avait passé depuis longtemps : la chaleur réconfortante de ses bras doux et ferme, son odeur proche d'une pomme acidulée, les dernières brumes de cet alcool de framboise qu'elles avaient partagé.... Tout ceci détruit par l'alarme du téléphone de la jeune femme. Partie en retard, ses clés étaient restées quelque part chez elle, aussi avait-elle pris place dans une des nombreuses salles de réunions du bâtiment. Un coup de chance, somme toute.
« Madame Mueller ! Madame Mueller ! Par ici, s'il-vous-plaît, dépêchez ! »
Dans un angle éloigné de la pièce, une petite dame se tenait derrière un pan noir, sans doute une porte. A la lumière de la petite lampe vétuste qu'elle tenait, il s'agissait d'une des réceptionniste, agitant le bras pour faire signe aux deux politiciennes de la rejoindre au plus vite, avant de s'engouffrer en leur compagnie dans un couloir inconnu.
« Mais que se passe-t-il, enfin ?! Où va-t-on ?
- Je suis désolée madame, il faut nous hâter ! Le bâtiment est actuellement attaqué, une voiture vous attend dans les étages inférieurs.
- Mais pour quoi faire, bon sang ?
- Ils en ont après certaines sénatrices ! La plupart sont en déplacement aujourd'hui, aussi, ils ont une liste de celles qu'ils comptent emmener, et votre nom en fait partie. »
C'est ainsi que Lied se retrouva dans une voiture inconnue en direction d'un lieu inconnu, filant à travers les routes au loin de la cité de son enfance, loin de ses deux mères qui ne savaient rien, de sa petite sœur, de sa cousine, de tout. Elle n'avait pas le droit de savoir où elle allait, de peur qu'une autre attaque ne nuise à sa sécurité. La demoiselle aux cheveux roses observait donc la vitre teintée et le paysage. C'était vide, désertique, à l'image de son ventre qui gargouillait. Pas même une bouteille d'eau dans l'habitacle, ni le moindre petit biscuit à se caler sous la dent, elle devait attendre que la voiture arrive à destination. Au final, la jeune femme s'endormit sur le trajet, ne se réveillant qu'à la tombée du soir dans un lieu tout aussi désert que lorsqu'elle s'était endormie, à la différence près qu'elle se trouvait devant une petite maison un peu en ruines. Sa conductrice descendit pour lui ouvrir, lui remit les clés, avant de repartir, sans dire le moindre mot. La sénatrice fixa la porte, là, la clé dans la main, un peu éberluée par ce qui lui arrivait.
« Euh... D'accord, et je fais quoi maintenant ? »
Fidèle à sa première impression, la maison se trouvait être une vieille bicoque. La toiture tombait un peu en ruine, quelques gouttes d'eau tombant dans le grenier à l'étage, quand le parquet grinçait sous les pieds menus de la demoiselle qui évitait les lattes manquantes ou visiblement à demi-arrachées. Son petit appartement cosy lui manquait déjà. Bien que possédant un étage, la demeure était relativement petite : un salon et une cuisine, puis une chambre et salle d'eau à l'étage, ni plus ni moins. C'était un petit logis aménagé de sorte à être utile et non confortable, il suffisait pour cela de regarder la chambre : un vieux lit en bois, des draps qui avaient vécu, un bureau, une chaise, une table de nuit et une armoire. Les autres pièces étaient dans ce même genre sobre et ancien. On lui avait promis un lieu sécurisé, et elle se retrouvait complètement perdue dans un lieu paumé dans cette vieille baraque défoncée ?! La sécurité tekhane était tombée bien bas ! Rebroussant chemin dans le petit couloir mal éclairé, Lied alla à la cuisine, se cherchant de quoi manger. Elle trouva une espèce de truc métallique rond, comportant une étiquette rouge et jaune avec, pour logo, un carré jaune et une tomate. Aucune idée de ce que c'était, aussi, elle sortit un de ses appareils toujours si utiles, et présenta à la caméra sa trouvaille.
« Analyser l'objet.
- La boîte de conserve est un contenant métallique hermétique permettant la mise en conserve des aliments et leur maintien à température ambiante. Cette invention, datant de plusieurs siècles, répondait à l'origine à des besoins militaires, et permet de conserver toute type d'aliment, des légumes les plus fragiles à la viande.
- Est-ce que.... Est-ce que celle-ci se mange ? Est-ce que c'est... bon ?
- La probabilité que la boîte de conserve soit consommable est de : 74%. La qualité nutritionnelle attendue des raviolis est de : 17%. La qualité gustative de cet aliment est estimée à : 5,7%.
- …. Super. Bon, bah j'ai pas le choix. »
La boîte de conserve fut le combat de Lied pendant quatre jours. Tout d'abord, elle se coupa largement la paume de la main en tentant de se servir de l'ouvre-boîte, bien difficilement acquis dans un tiroir coincé par la rouille. Ensuite, elle eut tout le mal du monde à comprendre comment se servir de la cuisinière, et ce, même avec l'aide de son assistant électronique qui avait réponse à tout. Le premier soir, elle mangea ainsi froid, assise au sol de son nouveau logis, sans savoir quand elle pourrait rentrer chez elle. Elle ne reçut qu'un bref message de l'armée, lui indiquant qu'elle devait rester ici jusqu'à nouvel ordre, qu'elle recevrait par un message similaire, et devait se servir le moins possible de tout appareil communiquant avec la capitale. Les activités de la sénatrice furent aussi variées que ses repas. Elle se mettait quelque part dans un coin et pensait, voire, avec de la chance, elle trouvait un vieux papier à lire, mais celui-ci ne faisait guère long feu. Le soir, Lied se couchait dans le lit à l'étage, se serrant dans les draps fins et poussiéreux jusqu'à trouver un sommeil agité. Peut-être fut-ce d'ailleurs ce qui sauva sa vie.
La demoiselle ne dormait qu'à moitié à cet instant. Au travers des rideaux troués, la lumière blafarde de la lune transparaissait, venant s'étaler sur sa chevelure rose bonbon. Il n'y avait pas de nuage cette nuit-là, le silence régnait, et pourtant, Lied ne parvenait à trouver le sommeil. Elle s'inquiétait, réfléchissait, et n'arrivait pas à se laisser porter par les vapeurs du sommeil, les affres langoureux d'un repos pleinement mérité, ses yeux bleus fixant la porte de l'autre côté de la pièce. Elle perçut cependant une ombre venir obscurcir la pièce, une ombre qui provenait de la fenêtre. Lied en était certaine, il n'y avait aucun nuage cette nuit, et elle ne pouvait se retourner pour vérifier, car elle était certaine qu'il s'agissait d'une personne. Une personne qui, dans son dos, l'épiait, attendait d'avoir la certitude que cette jeune et fragile sénatrice était endormie, livrée à lui, sans défense, dans l'inconscience la plus totale. Grincement. On ouvrait aussi délicatement que faire se peut la fenêtre usée pour rentrer dans la chambre, s'approcher furtivement du lit. Quand Lied sentit enfin un souffle tiède près de son crâne, elle fit volte-face, écrasant là où elle pouvait la lampe de chevet contre l'intrus. Evidemment, celui-ci cria, et la jeune femme en profita pour quitter sa couche et se ruer à l'étage inférieur, suivie de près par l'intrus. Il n'y avait nulle cachette dans cette maison, que pouvait-elle faire, autre que courir ? Au bas des escaliers, elle s'engouffra dans la cuisine, pouvant enfin observer, bien que difficilement, son agresseur. Elle ne distinguait que sa forme dans la pénombre, une forme plus imposante, plus grande et plus forte qu'elle. Pas moyen de savoir s'il était armé. Reculant, son pied butta contre un objet, bruit disgracieux dans la nuit noire, mais surtout, arme bienvenue alors que ce qui semblait être un homme se ruait sur la sénatrice. Elle se baissa au moment où elle percuta l'individu, se saisissant à peine de ce qui avait contenu son repas, l'abattant avec toute la force dont elle était capable sur son visage. Par rapport à la lampe, il cria bien plus fort, et envoya une giclée chaude sur la joue de la dame.
Lied se bloqua. Elle s'était pris du sang, une volée de sang, qui l'effraya une seconde. Une précieuse seconde, si précieuse ! Elle s'en rendit compte en sentant la forte poigne venir se resserrer sur son cou.
« Sale petite pute !
- Lâ... Lâchez-moi... ! »
Ca faisait mal, atrocement mal, l'air fuyait son corps pour ne laisser place qu'à un feu douloureux, emplissant sa poitrine. Ses petites mains cherchaient autant de l'air qu'à attraper les poignets de ce pauvre type, plantant ses ongles dans sa peau... sans succès ! Les premières larmes dévalèrent ses joues, à mesure que sa conscience s'effaçait. Est-ce que tout allait se finir ainsi, aussi stupidement ? Etranglée sur une parquet défoncé dans un lieu inconnu, seule, sans avoir pu dire au revoir à sa famille ?
« A l'aide, je vous en supplie... »
Nul ne pouvait dire si ces quelques murmures purent être entendus, perdus dans la gorge sèche et écrasée de la belle, ou bien dans ses sanglots. Il n'y eut ensuite plus rien : plus de douleur, plus d'ombre au dessus de sa tête. La seconde brûlure que la demoiselle sentit fut celle de l'air retrouvant sa place, lui arrachant une quinte de toux alors qu'elle se redressait, chancelante. Est-ce qu'elle venait de rêver, ou le type venait de se faire expulser d'un coup de pied sorti de nulle part ? Il avait été si lourd sur elle, ses mains étaient plus larges que son cou, elle pouvait encore sentir l'épaisseur rêche de ses doigts, et pourtant, il était là, étalé contre le mur à deux bons mètres d'elle, légèrement sonné, projeté comme s'il n'avait été qu'un vulgaire torchon sale balancé dans la panière à linge. Lorsque son visage se redressa enfin, ce fut pour montrer deux globes scintillants dans le noir qui pointaient en direction de Lied. Cette dernière paniqua, une fois encore, et commença à reculer, toujours assise, jusqu'à percuter quelque chose dans son dos qui n'était nullement le mur. Son premier réflexe fut de regarder une seconde fois l'air menaçant de l'homme en face d'elle, qui, en réalité, ne la regardait pas elle, mais quelque chose en sa direction, plus haut. Son second fut bêtement de relever la tête, et rencontrer la plus grosse surprise de cette soirée.