Comme toutes les nuits, ce squat ne manquait pas d’être parsemés de ses occupants ainsi que de quelques personnes de la rue, cherchant un toit ou profiter de son alcool ou de sa came. C’était un entrepôt miteux de la zone industrielle, où on y stockait autrefois des friandises destinées à l’export. Des débrouillards avaient réussi à l’occuper pour en faire une salle de shoot. Tout de noir vêtu, Jake connaissait parfaitement la route. Il s’y était déjà réfugié, y avait fait des rencontres, avait fait des sorties à fond la caisse…Ce temps parait si lointain. Pourtant, ça ne remontait guère qu’à quelques années. Tant de choses s’étaient déroulés depuis. Il jeta un coup d’œil dans la salle principale, où des âmes perdues croisait parfois son regard, se demandant ce qu’il venait faire ici. Jake reconnu des habitués, et se dirigea vers eux. Ces derniers le regardèrent et le saluèrent.
« Tiens, notre Sirène Vicieuse ! Tu viens pour te prendre une bonne perche ? »
« Salut. Non, pour affaire. Le Phoenix est là ? »
« Ouais, il est dans sa piaule. »
Il les remercia pour cette information, et continua son chemin vers sa destination. Il connaissait bien la chambre du Phoenix, il y en avait fait, des nuits, là-bas. La chambre du colibri était un ancien bureau de l’entrepôt, qu’il a réaménagé en un petit studio. Il frappa à la porte de la pièce où on entendait du rock en sortir. Un jeune homme, style métalleux un peu geek, lui ouvrit, visiblement étonné d’y voir le chanteur.
« Jake ? Qu’est ce que tu fous là ? Si c’est pour de la coke, je te préviens, j’ai tout vendu. »
« Non. J’aimerais que tu me prêté un truc. Je peux rentrer ? »
La personne appelé Phoenix acquiesça, avant de le laisser entrer. Lorsque Jake fut rentré, il referma derrière lui. Les volets baissés pour ne pas se faire griller, sa chambre sentait fort le renfermé. Jake jeta un œil à son lit, avant d’y poser son sac. Il se retourna vers son hôte.
« Tu n’as rien de prévu là ? »
« Heu, non. Je me matais une série… »
Jake n’attendait pas la suite pour commencer à déboutonner sa ceinture. Il fixa le geek avec insistance avant de simplement lâcher, dans un ton parfaitement neutre.
« Baise moi, là et maintenant. »
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Ce n’étais pas la première chevauchée entre ces deux-là. Allongé sur le ventre, les cuisses écartées, les genoux posés sur le lit, Jake se livrait aux pulsions primaires du squatteur. Ce dernier le pilonnait avec des gestes lents, un peu hasardeux, comme si chaque coup de pénétration exigeait un effort colossal. Ce n’était pas le meilleur coup de sa vie, mais le jeune chanteur tentait de savourer chaque va-et-vient, profitant surtout du fait de se sentir largement dominé et utilisé par quelqu’un. Après un blocage en position, un tremblement et un gémissement guttural, Le Phoenix saisit les cheveux de son invité alors qu’il se lâchait à l’intérieur de Jake. En sueur, il sortit son phallus moite et à moitié mou pour s’allonger sur son lit, à côté du pénétré. Ce dernier respirait calmement, normalement, peu usé par l’effort, alors que son compagnon de ces 3 intense minutes semblait sortir d’un marathon tellement ses inspirations étaient tremblantes.
Jake se releva et s’assit sur le lit, sortant de son futal un paquet de cigarette. Il en alluma une, et en tendit une autre à son hôte, qui l’accepta. Quelques secondes passèrent où l’un tentait tant bien que mal de reprendre sa respiration, et l’autre de fixer le sol avec un regard vide.
« Désolé, ce n’était pas terrible. C’est les joints, ça me rend mou en ce moment, faut que je me calme là-dessus. »
« C’était très bien t’inquiète. » répondit l’intéressé en tirant quelques traits sur sa cigarette.
Le jeune homme nommé le Phoenix observa Jake d’un regard curieux. Il savait très bien qu’il n’était pas venu pour une partie de jambe en l’air. Il lui posa alors naturellement la question.
« Tu es venu pour quoi, Jake ? »
Ce dernier mis quelques secondes avant de répondre.
« Tu m’avais parlé que tu avais des bouquins d’occultisme…Tu peux me les prêter ? »
Son interlocuteur semblait s’étouffer dans l’inspiration de sa cigarette, visiblement surpris de la question. Il toussa avec virulence pendant plusieurs secondes, comme pour souligner la folie de cette demande.
« Te prêter…-keuf- mes bouquins d’occultisme ? Tu te fous de ma gueule ou tu es malade ? »
« J’en ai besoin Phoenix. Juste…pose pas de question. Tu peux me les prêter ou pas ? »
« Sérieux, tu ne te fous pas de ma gueule ? C’est un prank c’est ça ? Nan, mais je sais ce qu’on dit dans mon dos, tu sais. ‘Phoenix ? Celui qui raconte à tout le monde que ça maison à cramé à cause d’un rituel sataniste ! Je te jure, le crack lui à monter à la tête !’’ »
« Phoenix…lui répondit calmement Jake, compatissant. »
Son hôte se releva furieusement, pour se diriger vers sa table basse y prendre une bouteille de whisky bas de gamme qui y trainait. Il se servit une rasade au goulot, avant de continuer à maugréer avec amertume.
« ‘’Mais oui ! Celui-là même !’’ qu’ils disent tous ! ‘’Je te jure, c’est passé sur le journal local, c’était prouvé que la police avait enquêté. En vérité, il a cramé sa baraque et sa famille à cause d’un joint qu’il n’a pas éteint. Ce con c’est endormi, un cône au bec ! Et il raconte à tout le monde que c’est parce qu’il voulait invoquer une succube ! N’importe quoi !’’ »
Son ton avait haussé, mais il avait pourtant une grosse pointe de tristesse dans son intonation, comme si les larmes allaient lui monter au visage. Jake voulut répondre, mais il continua son monologue, tout en pointant du doigt son invité, d’un air accusateur.
« Vous vous foutez de moi dans mon dos, alors que j’ai remis sur pieds ce squat sans rien demandé en échange ! Je sais très bien ce que j’ai vu, j’étais clean cette nuit-là. Un incendie dut à un joint ? Comment tu expliques que j’en suis ressorti le seul indemne de cet incendie ? Que les seules possessions qui s’y sont retrouvé intact sont ces foutus bouquins ? C’est pour ça que tu m’as laissé te sauter, pour mieux baisser ma garde et te foutre ouvertement de ma gueule avec mon histoire ! Va bien te faire foutre Jake, va b… »
« Je ne me moque pas, Diago ! »
Il avait prononcé ces derniers mots en lui ayant saisi sa main qui tenait la bouteille, alors qu’il comptait se resservir une gorgée. Peu de personne connaissait le vrai nom du Phoenix, il n’était pas du genre à se confier beaucoup. Le Phoenix était un pseudonyme qu’il tentait d’utiliser pour passer le cap de son expérience traumatisante. Le dénommé Diago sembla se calmer, mais garder un visage mi triste mi colérique, en fixant le regard de Jake, qui lui voulait se montrer compatissant.
« Diago, je suis venu car tu es le seul que je connais de confiance qui a touché à ce domaine. C’est le seul dont je n’ai toujours pas essayé. »
« Essayé pour quoi ?»
« Tu ne me croiras pas. »
« Tente toujours. »
« Je suis en réalité un criminel qui subit du chantage à la prison par une agence gouvernementale pour commettre des larcins et cambriolages de personnalité gênante, ici et sur un autre monde appelé Terra. Ils arrivent à me retrouver malgré toutes mon expertise en furtivité, ils contournent tous mes pares-feux pour retrouver mon adresse mail et me laisser des ordres de mission par courriel, et parviennent à déjouer toutes mes sécurités de mon appartement pour s’introduire chez moi. »
Il y eut un flottement silencieux, avant que Diago se resservit une gorgée de whisky.
« Ouais. Je ne te crois pas. Je ne sais pas c’est quoi votre blague, mais la tienne n’est vraiment pas terrible. »
« Juste…j’ai trouvé des pages recopiées d’un bouquin, chez une des personnes que je cambriolais. Le Grand Livre des Démons. Je me suis dit que…Je ne sais pas. Je n’ai plus rien à perdre. »
Jake fit beaucoup d’effort pour empêcher ses larmes de monter. C’est peut-être ce détail qui bascula l’avis du Phoenix. Ce dernier soupira, avant de chercher dans ses affaires.
« Tu sais quoi ? Je fais te les refiler, ces bouquins. Au pire des cas, ça vous apprendra à vous foutre de ma gueule. Je suis un camé, ouais, mais je sais encore différencier la réalité de la défonce. »
Il y sortit trois livres à la couverture noires, et les tendit à son invité qui était toujours nu sur son lit.
« Merci Diago. »
« Ne me remercie pas. C’est moi qui te dois des remerciements. Je n’ai encore jamais réussi à me passer de ces livres. Pourtant, j’ai eu souvent envie de les bruler ou de les jeter à la mer. Pas moyen de franchir le cap. C’était peut-être ça dont le Phoenix avait besoin pour renaitre de ces cendres au final…Ouais, prend ces bouquins, et met les en dehors de ma vue. Maintenant dégage. J’ai besoin d’être seul. »
Jake se leva et remit ses vêtements rapidement, alors que son hôte déboucha une deuxième bouteille, la première ayant été vidée. Une fois rhabillé, le chanteur et guitariste des Vicious Sirens enlaça tendrement Diago, qui lui ne répondit pas à cette marque d’affection. Pourtant, alors que son invité s’apprêta à sortir, il lâcha.
« Désolé d’avance, Jake. Vraiment. Je devrais t’empêcher de faire cette connerie. T’es un mec cool en vrais. »
« Au revoir Diago. »
« Adieu ouais. »
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Quelques semaines plus tard.
L’appartement était recouvert de symbole ésotérique, de pentacle et d’autres supposés protections, griffonnées à la craie. Il avait préparé et répété ce moment fatidique plusieurs fois, après avoir bien étudié les livres que Diago lui avait donné. Il allait surement faire une énorme bêtise, c’était ce qu’il se disait au fond de lui. Mais il sentait qu’il n’avait vraiment plus rien à perdre. Ou plutôt, qu’il avait encore une carte qu’il n’avait pas encore joué. Toujours de noir vêtu, il s’était maquillé pour l’occasion pour avoir l’air plus provocateur et féminin, avec un fond de teint pâle, de l’eye liner, du baume à lèvre noir. Les bougies qu’il avait déposé sur le sol formait aussi un symbole étrange. Son esprit sceptique appréciait que trop peu cette expérience loufoque, mais son coté désespéré, lui, n’y voyait qu’un moyen non emprunté d’esquiver le gouvernement. Jake prit une grande inspiration en ouvrant un des livres de Diago intitulé « L’appel de minuit : guide à l’usage des invocateurs des principaux Démons. »
« Bon, allez, y a plus qu’à. »
D’un geste de la main gauche, il ouvrit sa paume en direction du cercle de bougie, et entonnant une phrase qu’il avait appris en boucle dans sa tête. Il ignorait ce que ça voulait dire, ou de quel dialecte il s’agissait, toujours était il qu’il se lança dans sa toute première invocation.
« Asep’Timusoth. My pa, ek roep jou aan. So kom hierheen en laat dit spring, anders sal dit bard! »