«
Bonjour toi. »
Deux réactions furent provoquées par ces simples mots. L’une toute proche, l’autre bien plus lointaine, et commençant par cette dernière, elle fut tout simplement … l’expression d’une stupéfaction outrée.
Dextra, dans son petit nid personnelle, entendit ces mots avec la même clarté que le petit être qui lui servait de caméra longue distance, et manqua en tomber des nues. N’eut-elle pas eut l’occasion de remarquer que la dévergondé qui tournait autour de son frère avait le pouvoir de repérer la surveillance un peu plus tôt, elle aurait sûrement paniquée, mais là, elle fut juste prise de court. Elle avait sut le voir. Elle l’avait remarquée sans la moindre difficulté ! Ce constat était non seulement terriblement dérangeant, mais surtout lui annonçait qu’elle ne se trouvait pas en face de n’importe quelle débile qui faisait les yeux doux à son frère. Elle avait des capacités, elle pouvait peut-être même se protéger de son influence, et il s’agissait de la première à présenter ce genre de don. Elle oscillait entre l’incongruité et la colère. La jeune femme aux cheveux verts n’était pas sotte, elle savait que d’autres qu’elle avaient du pouvoir, mais elle ne s’était jamais attendue à ce qu’une autre en Seïkusu saurait en posséder, non sans compter le fait qu’il s’agisse d’une voleuse de frère ! Se mettant à serrer la mâchoire de manière incontrôlable, elle ne put rien faire contre les sortilèges de cette dernière, observant ainsi son petit familier démoniaque se faire aspirer entre les doigts de cette ennemie retord, puis se trouvant bien malgré elle obligée de l’entendre faire quelques remarques fort désagréable sur ses sortilèges de domination. Très bien, le ton était donné, il y avait dans tout cela une provocation qui ne lui allait guère, et Dextra ne comptait pas se faire fouler du pied sans répondre… Elle allait juste devoir se montrer ô combien plus intelligente que cette vile provocatrice, et c’était, en un sens, une marque de reconnaissance particulièrement rare de la part de cette jeune femme…
Mais pendant ce temps, la petite bête directement au prise avec la sorcière était complètement paniqué. Les démon servants, les inférieurs, étaient bien trop souvent de vulgaire pion, qui pouvait passer de maîtres en maîtres sans trop avoir de contrôle sur leur vie. Alors qu’il se sentait confiant, bien installé et discret dans les recoins de la petite pièce, de se faire attiré par quelques sortilèges l’avait fait passer de la confiance naturelle à cette espèce de peur incontrôlable que peuvent connaître les plus faibles des créatures en se sentant soudainement piégé. Tandis que Victoria l’attirait à elle, il se débattait comme un diable, agitant ses ailes en tous sens pour tenter de lutter contre l’attirance ésotérique qu’il subissait… Mais sans le moindre résultat positif. Captif entre les doigts de la belle jeune femme au cheveux quasiment blancs, il hésita un instant à mordre avant de se rendre compte que l’agressivité de sa part pouvait se terminer en une exécution pure et simple, aussi se laissa-t-il faire, tremblant, espérant juste que la magicienne n’allait pas le bannir par quelques sortilèges honnis dont seuls les occultistes ont le secret. A la place, elle vint à éteindre la lumière, ce qui lui fit un bien fou, le scrutateur ayant presque un soupir d’aise en sentant son être se dématérialiser légèrement, fusionnant un peu avec les ombres environnantes. Sans le sortilège d’attraction, il pourrait déjà s’enfuir en glissant, immatériel, mais elle avait convenu de sa forme en l’attirant, aussi ne pouvait-il pas se libérer de cet aspect. C’était particulièrement pénible pour ce petit être, lui, un fier démon, même parmi les plus inférieurs, emprisonné de la sorte !
«
Mon pauvre, se faire asservir comme ça. Ce n'est pas très joli. »
Si le petit être ne se rend pas compte des manipulations dont il fait l’objet, de l’autre côté de la communication, la réaction est toute autre : Dextra sent bien que sa domination sur le Scruteur est en train de lentement s’évanouir, et elle n’a pas besoin d’être d’un intellect tout particulier pour comprendre ce que cela signifie. Rapidement, avant que le lien ne se brise d’une manière bien trop sèche pour qu’elle n’en subisse pas un sévère contre-coup, la femme aux cheveux verts trace dans les airs quelques glyphes, marmonnant entre ses dents plusieurs syllabes sifflantes, tâchées de la colère qu’elle ressent, afin de finalement se protéger du futur impact qui risque d’arriver. Cela l’énervait au plus haut point, car en agissant de la sorte elle acceptait d’avoir perdue cette manche, mais mieux valait agir prudemment que de se retrouver à vomir plusieurs heures d’affilées à cause d’une attaque mentale détournée. Le temps qu’elle mette le bouclier en place, elle sentait d’ailleurs que son petit observateur ne lui transmettait déjà plus que le son, chose sûrement volontaire de la part de son adversaire, cette petite engeance malsaine la targuant d’une dernière provocation avant de définitivement la renvoyer à ses affaires. Et encore une fois, ce ne fut guère pour lui plaire, même si en l’occasion, la grande sœur n’eut d’autre choix que d’accepter la situation avec toute l’aigreur imaginable en un être humain :
«
Vos sortilèges sont perfectibles savez-vous ? Que diriez vous que nous ayons une discussion entre collègues à l'occasion ? Nous aurions toutes les deux à y gagner j'en suis sûre. Vous savez où me trouver. »
Et plus rien. La coupure nette et franche du lien aurait dut claquer contre le bouclier qu’elle avait mit en place autour de son esprit, et elle s’attendait par ailleurs à en subir malgré tout de légers dommages. Il n’en fut rien. Juste le manque soudain et impromptu d’informations, seul moyen de comprendre qu’elle n’était plus en communication avec la petite bête qu’elle avait invoquée. Dextra ne comprit que peu après la raison de cela : Visiblement, cette petite mégère qui tournait autour de son frère avait volontairement coupée la communication en s’assurant de ne pas le rompre de manière soudaine et aggravante. Elle l’avait… épargnée, du moins en un sens. Parce qu’à contrario, elle venait par la même occasion de l’attaquer directement dans son orgueil, ce genre de ménagement ayant sensiblement la même signification qu’une petite tape gentillette sur la tête, pleine de supériorité.
Préférant ne pas hurler, Dextra attrapa le premier oreiller qui lui passa sous la main et mordit dedans pour se taire, la rage au coeur.
*
* *
«
Merci pour ton accueil Senestra. C'est vraiment très apprécié ... Pardonnes moi si j'ai un peu baissé la lumière ... j'ai encore ma migraine. Mais ça va rapidement passer avec ça.
-
Vous n’avez vraiment pas besoin de vous excuser, je suis ravi de pouvoir au moins vous emmener en un lieu qui sois plus tranquille. Tenez, votre verre d’eau. »
Bien loin de tout ce qu’il venait de se passer lors de son absence, Senestra restait digne de lui-même, un jeune homme plein de douceur, de tact et de tranquillité, veillant au bien-être de l’autre avant même de penser à son état personnel. Il tendit le verre à cette précieuse compagne de fin de journée dans un geste plein de délicatesse, et ne put qu’imaginer un court instant la possibilité que leurs doigts se frôlent, sans même avoir le temps de s’en prémunir, ses joues rosissant un court instant avant que son coeur ne s’emballe. Par bonheur, mais tristement, ce ne fut pas le cas, et il put même bénir la pénombre ambiante de lisser ses traits, de voiler son visage, de cacher avec pudeur l’ensemble de son émoi tandis que Victoria prit le verre et entama la prise de son médicament. Parfois, il souhaiterai sincèrement avoir le plein contrôle de ses émotions, mais il avait conscience que les plus grands moines bouddhistes eux-même n’en avait pas la capacité, alors autant oublier dès maintenant cette idée aussi grotesque qu’infantile. Tout au plus attendit-il qu’elle finisse son verre, obtus aux pensées et machinations de sa camarade, puis récupéra le contenant vide quand elle le lui rendit, venant installer celui-ci dans l’un des bac à vaisselle qui se trouvait près des éviers. Peut-être que l’amener ici n’avait pas été la plus sainte des idées pour lui : Seul à seul, dans un lieu faiblement illuminé, il commençait à craindre que ses intentions puissent être mal comprises. Ou même qu’il y ai là quelques formes d’aveux maladroits dont il ne s’était lui même pas rendu compte en premier lieu, et qui maintenant le mettait en danger :
«
Je veux bien te suivre oui. Es tu sûr que ma présence ici ne dérange pas ?-
N-non pas le moins du monde allons. Mon chef m’avais déjà dit qu’au besoin, ce n’était pas pour rien qu’il m’avait confié les clefs. Je… hum… C’est par là. »
Il prit les devants et s’avança dans les petits couloirs du restaurants pour rapidement atteindre le coeur de celui-ci, la salle de service, avec les tables biens rangées, les chaises redressées, et la pénombre absolue dut aux stores encore totalement baissés. Un peu de lumière allait quand même être nécessaire, alors tandis qu’il prenait enfin conscience qu’elle le tutoyait depuis qu’ils étaient arrivés ici, le faisait frémir imperceptiblement, il se dirigea vers l’une des fenêtres dont il fit relever les panneaux à l’aide d’une commande. Jaugeant les rais de lumière qui envahissaient la pièce avec une claire délicatesse, Dextra veilla à ne pas dépasser la quantité de lumière que sa jeune et précieuse compagne s’était imposée dans la cuisine, puis une fois satisfait, il alla immédiatement abaisser les chaises qui se trouvaient autour d’une table afin qu’ils puissent tout deux s’installer. Mais pour le coup, elle prend la banquette qui se trouve à l’opposée des chaises. En un sens, il est déçu, l’idée de se retrouver à nouveau à ses côtés faisait presque chanter son coeur de plaisir, et puis il aurait eut la position la plus agréable pour voiler ses réactions… Mais quand il se trouva devant les deux grands yeux charmeurs de la demoiselle, l’étudiant ne put s’empêcher de ne pas trouver la situation si mauvaise que ça. Il s’installa lentement, espérant que son embarras n’était pas trop évident, même aux yeux de l’intelligente demoiselle qui raffermissait, sans le vouloir, sa prise sur son coeur de jeune homme :
«
C'est donc ici que tu travailles ? C'est un bel endroit. Tu as du courage de travailler ainsi en plus des cours. Ta soeur doit t'être très reconnaissante. »
Encore le tutoiement … Oserait-il ? Apparemment, oui :
«
Eh bien je … Je ne crois pas que ce soit du courage. Ma sœur et moi-même n’avons pas d’autre revenu que celui que nous pouvons nous faire. Et puis … Dextra n’a plus de travail actuellement donc je dois mettre les bouchées doubles. Mais je ne crois pas qu’elle me soit si reconnaissante que ça, elle préfère vivre sa vie au milieu de ses bouquins, et me faire quelques tristes commentaires quand elle s’en sent l’envie. Visiblement vous partagez toutes les deux des intérêts communs, notamment les vieilles boutiques, mais je ne sais pas trop si … elle saurait bien se comporter avec toi si vous vous croisiez. »
Il était critique avec sa sœur, c’était un fait. En même temps, même s’il l’appréciait sincèrement, elle n’était ni la plus touchante des connaissances, ni la plus facile à vivre. Une recluse, égoïste et supérieure, qui voit les autres comme des sales types qu’il fallait écraser de sa « toute-puissance » présumée. Certain de ses amis avaient tentés une approche ou deux envers elle, vu qu’elle restait une belle jeune femme, mais les résultats avaient été à la hauteur de ce qu’il imaginait : un râteau, monumentale, avec en morceau sur le sol l’égo de ses camarades éconduits. Il reprit donc son propos, parlant à coeur ouvert, sans trop se rendre compte qu’il était en train de déraper… La faute à l’agréable et délicate situation qu’ils vivaient, et au doux visage de la belle Victoria en face de lui, qui lui réchauffait le coeur par sa simple expression de joie :
«
Non pas que je n’aime pas Dextra, elle reste ma grande sœur et je dois mon hébergement à sa bonne volonté, mais … Eh bien comme dirait l’un de mes amis : « Elle est aussi belle que cruelle ». Elle n’a ni ta sollicitude, ni ta gentillesse, et manque très largement de bonnes manières. Une vraie brute avec les sentiments d’autrui, ou leurs espoirs… Mais je monopolise la parole, pardon. Tu as de la famille ? Peut-être pas ici j’imagine, mais des frères et sœurs à l’étranger ? »
Peut-être tout cela allait être un peu banale, mais ils avaient un peu de temps pour discuter, de tout et de rien. Après tout, ce n’était pas vraiment comme si un démon allait leur tomber dessus, ou quelques maléfices les séparer sans prévenir. La proximité de cet instant amenait le jeune homme à se faire un nombre incalculable de scénario en tête, mais il n’osait avoir cette maladresse pour l’instant. Qui sait, peut-être l’inviterait-il à passer chez lui ce W-E… Il aurait le devoir de gérer sa terrible sœur pour le coup, mais … si ça se passait bien entre lui et Victoria, pourquoi hésiter ?