Combien de prières, combien de supplications, combien de cris de détresse ? Elemiah ne les comptait même plus à travers ses milliers d’années d’existence. La force de l’habitude lui avait appris à ignorer certaines voix venant des mortels, dont les besoins étaient strictement minime. Elle savait considérer quand les gens avaient réellement besoin d’aide. Elle pouvait très bien laisser cette tâche à d’autres anges mineurs qui avaient encore besoin de prouver leurs bonnes intentions. Après tout elle aurait très bien pu couper complètement court à ce flux de voix, se concentrer sur d’autres responsabilités plus importantes en accord avec son statut, pourtant elle n’oubliait pas d’où elle venait. C’était grâce à ces gens, à tous ces mortels qu’elle avait été élevée aussi haut dans la hiérarchie. Elle avait certes touché le plafond en tant que Séraphin, mais ce n’était pas une raison pour elle de se laisser aller à ignorer le bas monde.
Ce n’était qu’un bruit de fond perpétuel jusque là, mais elle se connecta davantage au flot de prières. Elle pointa son bâton en face d’elle, le lâcha et il resta figé dans sa position en l’air. C’est alors qu’une image de chacune des personnes dans le besoin s'afficha. Une image flottant dans le vide, aux contours ondulés comme un nuage. Elle flottait elle même en l’air dans une position allongée sur le côté, une main reposant sur sa joue, l’air las, tandis qu’elle faisait défiler une image après l’autre, une prière après l’autre, d’un geste ennuyé avec sa main libre, comme elle faisait défiler un carrousel de prétendants pour espérer matcher avec l’un d’entre eux. Mais bien sûr elle cherchait autre chose que de l’attirance, elle cherchait la meilleure âme en peine qui soit. Elle fit défiler un peu plus vite jusqu’à ce que… oh ! Elle était allée trop vite. Elle fit un geste de la main pour faire glisser l’image en sens inverse et revenir à l’objet de son intérêt. Elle quitta sa position allongée et se mit debout, prêtant attention à la requête en la rejouant de nouveau.
- Dieu, ou j'sais pas qui. Je ne sais pas ce que tu veux, et je ne sais pas ce que tu as prévu pour moi. Mais j'ai une mère formidable qui m'a ramassé il y a 20 balais pour me sauver la vie dans les couloirs de la mort. Je dois lui rendre la pareille. Par n'importe quel moyen.C’est bon, il avait son attention, la voilà touchée. Elle ressentait une grande partie de ces émotions, car bien sûr les requêtes qu’elle recevait n'étaient pas que du son et de l’image. C’était un ange gardien, elle était sensible à la détresse ! Son cœur fourmilla pour lui indiquer sa bonne intuition. Du reste, elle put s’apercevoir qu’il s’agissait d’un bel étalon brun, digne d’un pur sang de haute volée. Peut-être qu’elle irait profiter d’un petit bonus charnel et sensuel en sa compagnie tout en accomplissant sa mission. Hmm bon, ce n’était pas encore le moment de penser à ça. Il fallait qu’elle se prépare.
Elle vérifia d’abord certaines choses, comme les coordonnées de l’appel, et la période de la journée. La nuit venait de tomber au japon, sur Terre. Elle n’interviendrait probablement que le lendemain. Cela lui laissait le temps pour régler d’autres priorités du paradis, tout en la laissant réfléchir à l’approche la plus convenable pour parvenir à ce beau brun bien monté.
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Centre-ville de Seikusu, sur les coups de midi.
Sur le trottoir d’une rue très fréquentée à cette heure marchait une jeune femme à la longue chevelure blonde éclatante, surmontée d’un serre-tête paré d’un bijou azur et or ainsi que de simili plumes rigide de part et d’autre, des yeux pétillants d’un ocre éblouissant, une peau claire et douce sans imperfection, une robe noire sans bretelles affichant son décolleté généreux comme s’il était l’éclosion d’une rose noire, un ruban bleu ciel à la taille, la robe large s’arrêtant un peu en dessous des genoux, elle était également ornée de boucles d’oreilles et d’un pendentif du même bleu céleste.
La démarche élégante, le bruit de claquement de ses escarpins noir enserrant ses chevilles de deux petites lanières, tandis que le reste de la chaussure laissait pleinement visible ses jolis pieds presque à croquer, l’ange en mission parcourait la longue allée. Elle remarqua bien sûr que pas mal d’homme la dévisageait, et nul doute que certains se retournaient pour avoir un petit aperçu de l’aspect callipyge de son fessier qui arrivait à bien se dessiner au travers de sa robe qui semblait glisser sur sa silhouette délicieuse. Elle affichait un sourire confiant et candide. C’est sans doute aussi ce qui lui valut que certains hommes la dévisageaient, ils aimaient bien un beau visage souriant, ça les émoustillait un peu, avant qu’ils ne s’attardent sur les autres détails de ses courbes féminines.
Elemiah savait comment s’y prendre, elle devait créer l’occasion opportune. Elle avait attendu le moment où son nouveau petit protégé pourrait remarquer sa présence. Il ne lui manquait plus qu’à bousculer légèrement le destin. La rue était fourmillante de monde, des hommes et des femmes d’affaires occupés à penser à leur monde d'affaires, des groupes d’écoliers, mais aussi de temps en temps un sans abris. Mais bizarrement rien qui ne lui permettrait de parvenir à ses besoins. Son sac à main de haute couture sur son épaule gauche, sa main gauche autour de la lanière du sac, voilà qu’elle s’apprêtait à passer à l’étape suivante. D’un simple geste elle effleura avec l’index de sa main libre l’arrête de son mignon petit nez. Pour elle ce n’était que le signe d’un coup d’envoi, elle aurait pu gigoter son nez comme une sorcière ou même claquer des doigts, mais pour ce genre d’intervention “magique” elle préférait opter pour une approche plus discrète. Donc l’index qui effleurait le bout du nez c’était mieux, et cela lui donnait un petit tic original vu de l’extérieur.
L’effet de sa magie ne tarda pas à arriver, car un individu encapuchonné passa près d’elle et la bouscula. La jeune femme blonde sentit alors son sac à main se dérober de son emprise. Elle retint à temps son accessoire et lâcha un cri de stupeur, celui d’une femme en détresse. Un bras de fer entre elle et le pickpocket venait de démarrer.
“Aaaaah ! Lâchez-ça ! A l’aide !”Mais les passants voulaient soit s’écarter, soit regarder la scène sans savoir quoi faire, seuls quelques hésitants se trouvaient encore à réfléchir pour savoir comment intervenir. Elle tira encore un peu plus fort sur son sac sans pouvoir prendre le dessus, non pas qu’elle n’avait pas la force de gagner ce duel, mais elle devait paraître faible. Finalement, de façon intentionnelle elle fit mine de tirer un bon coup, puis le voleur la repoussa violemment et elle profita du moment pour lâcher prise et tomber vers l’arrière sur les fesses. Le voleur encagoulé s’éloigna et commençait à fuir avec le sac à main, bousculant de nombreux passants. La blonde de son côté interpellait comme elle put quelqu’un, n’importe qui, d’un air alarmé.
“Au secours, au voleur ! Mon sac !”Et voilà, l'appât était mis en place. Elle n’avait plus qu’à attendre que le barracuda herculéen morde à l’hameçon.