J’ai de la peine à rester éveillée devant mon ordi. Je pique du nez malgré les nombreux cafés que me sert mon assistant. Il part bientôt et je dois trouver son remplaçant. Des profils, j’en ai vu des tas. « Fille mignonne et engagée.. » Mignonne. « Garçon cherchant travail d’assistant, motivé… » Banal. « Jeune femme active, je cherche activement… » Du travail dans la littérature. Devient écrivain ma jolie. Fou moi la paix. Je supprime les dossiers qui ne m’intéressent pas et il ne m’en reste plus beaucoup. Je me sens comme une princesse coincée avec des prétendants. Coincée par ses parents. Ma maison d’édition veut une réponse. Qui lui impose…Imposer. Des prétendants.
« Il va falloir te décider. Ton assistant part dans un mois. Sinon nous allons devoir… »Choisir pour toi. Je déteste quand on « choisi pour moi ». Parce que j’aime me sentir libre. Je veux jouir de la liberté la plus totale et c’est dans mon contrat. Le même qui m’autorise à refuser un garde du corps ou un chauffeur. Le même qui m’autorise tant de liberté dans ce que j’écris. Ils me veulent ? Alors ils paient. Ils acceptent mes clauses. Ils se font patients. Mais pour combien de temps ?
Je pique du nez et je n’arrive pas à écrire une seule ligne. Parfois j’appuie une touche. Je la laisse enfoncée. La lettre, toujours la même, s’imprime à l’infini. Hypnotisée, je n’entends pas mon téléphone sonner. Un sms. Rendez-vous ce soir…une boîte à la mode. Pourquoi pas. « Moins d’alcool et de… » Plus de drogue ? Et les médocs ? Mon docteur se fou de ma gueule. Alors j’accepte la sortie. Tant pis.
« Ce n’est pas une bonne idée. »« Pourquoi ? Parce que je dois lever le pied sur l’alcool ? Tu ne vas pas t’y mettre toi aussi. »Mon manager sort de la pièce en refermant sa braguette. Je me laisse aller dans mon fauteuil. J’essuie mes lèvres avec une serviette et me lève. Je remets ma culotte, la fait glisser contre mes jambes lisses. Il ne me quitte pas des yeux, la main sur la poignée. On ne devrait pas. Ce n’est pas professionnel. Mais c’est si bon.
« Tu es certaine que tu ne veux pas que je vienne ? »« On n’est pas censé coucher ou sortir ensemble Danny. Tu le sais. »« Ouais. »Il ferme la porte, me laisse seule avec mes pensées. Depuis quelques temps, j’ai la sensation d’un danger imminent. Moi qui n’ai pas peur de grand-chose. Moi, qui suis courageuse. Moi, qui accepte un rendez-vous après un simple coup de téléphone. Sur un coup de tête. Moi…Mona Duval. Qui n’ai jamais eu peur malgré des lettres de menaces. Viol, meurtre, l’un après l’autre et dans n’importe quel ordre. Menace d’être abattue ou traiter comme une chienne pendant des semaines. Je les lis en riant en général. Certaines fois, ils m’excitent. Tous ces admirateurs. Ces admiratrices. Ils m’envoient leur amour ou leur haine. Je choque, Je suis détestée. Je suis adulée. Mais jamais vraiment aimée. « Tu es dérangeante dans ta manière d’aborder le sexe. Tu intimide. » Du haut de mon mètre soixante ? Pfff.
J’ai peur pourtant. En ce moment, je supporte encore moins la solitude de mon appartement. Quand je rentre, j’allume toutes les lumières. Je n’en ai pas parlé à ma psychiatre, car je sais qu’elle va encore me bassiner. Me dire que je me fais des idées. Me dire que c’est à cause de mon trouble bipolaire. Et blablabla, jargon de psy. Non. Ce n’est pas vraiment de la peur, mais un malaise. Peut-être après tout, que ma psy à raison. Que je me fais des idées et que personne ne me suit depuis quelques semaines.
« Peut-être est-ce à cause de votre célébrité Mona. Vous êtes suivie de part le monde par des gens qui attendent vos prochains mots. Il y a des paparazzis où que vous alliez. »« Ce doit être ça. »Oui. Forcément. Il ne faut pas que je m’arrête de vivre sur une sensation. Une impression. T’es parano ma pauvre fille. Pathétique.
Je passe donc le reste de la journée à essayer d’écrire sans y parvenir. Dés que quelque chose s’échappe de mes doigts, ce n’est pas assez bien après avoir été parcouru. Alors j’efface. Je ne fais que ça, effacer. A en avoir mal au doigt. Puis je m’endors dans le petit canapé de mon bureau, la tête bourdonnant d’ondes négatives. Si ça se trouve, je ne sais plus écrire.
Lorsque mon assistant me réveil, il est tard. J’ai rendez-vous en boîte. Dans cinq minutes. Je repousse d’un sms puis de la démarche de l’endormie, je me dirige vers la sortie. J’ai mal partout. Il faut que j’achète un autre canapé. Un plus grand et plus confortable. J’y ferai de meilleures siestes, mais aussi, j’y apprendrai l’amour avec plus d’empressement. Ce vieux truc qui couine et dont le cuir colle au corps ne me convient plus.
Je me douche longuement, fourbue d’avoir dormi sur ce foutu canapé. Je regrette d’avoir si peu dormi hier. Mais lorsque mon maître appel, je réponds présent. Il ne le fait pas souvent, mais lorsqu’il le fait, il n’accepte aucun refus de ma part. De toute manière, mon corps répond « oui » à ses attentes, même si mon esprit murmure encore « non ».
Pour ce soir, je veux me faire remarquer. Je veux être désirée. J’enfile une de mes
tenues préférées. Juste ce qu'il faut de provocante. Je me maquille. Trop. Tant pis. Je suis ostentatoire pour attirer les regards et je me ferai indécente pour mon auditoire. Je hèle un taxi. Quand je suis vêtue comme ça, je ne vais pas me frotter aux gens dans le métro. Bien que j’aie eu une agréable expérience avec un frotteur des transports. Ce genre de type qui se colle à vous. Profite du monde trop présent pour vous peloter ou se masturber. Mon frotteur, je le vois de temps en temps dans le métro. Il rend mes voyages plus intéressants. Mais cette nuit, ce sera le taxi.
Je ne discute pas avec le chauffeur. Il me regarde à la dérobée dans le rétroviseur. Je fais de sorte de cacher mes yeux dans l’ombre de mes cheveux, avant de soupirer et mettre mes lunettes. Je ne veux pas qu’il pense que j’ai envie de causer. Je regarde mon téléphone, persuadée d’avoir été reconnue. Il faut que j’appelle mon manager. Il est tard, mais peut-être va-t-il venir avec moi. C’est sûrement mieux. On ne sait jamais. « Vous ne risquez rien. » Je ne suis pas assez célèbre pour risquer un kidnapping. Je dois arrêter de regarder des films. « Tu devrais accepter un garde du corps Mona. » Je dois le payer de ma poche. « Tu en as les moyens. » Je n’en ai pas besoin. Je ne suis pas assez connue pour qu’on veuille me posséder de cette manière. « Il y a des malades partout. » Dans ce cas, je ne sors plus de chez moi. Allez vous faire foutre.
La boîte vient d’ouvrir, pourtant il y a du monde. Est-ce que c’est par sentiment d’appartenance à un troupeau ? Troupeau. C’est ce à quoi nous ressemblons tous. Des petits moutons dans leur petit enclos. On sue, on se frotte. Je bois beaucoup, mais moins que d’habitude. Je me prends la tête avec le mec avec qui je pensais passer la nuit. Il m’envoie chier. Je le traite d’enfoiré. La boîte ferme et me voilà seule dans les rues. « Fuck you ! ». Je suis ivre, mais pas assez, alors je décide de partir en quête d’un nouveau bar. Il doit bien y en avoir un ouvert à cette heure-ci.
Le bruit de mes talons accompagne les rires d’un groupe de filles devant moi. De jolies fessiers. Dans de jolies tenues. Je ne titube pas. Je n’ai même pas besoin de me tenir aux murs, comme c’est arrivé si souvent. Mes talons claquent. Leur brut accompagne maintenant le rire d’un couple dans un recoin sombre. Je souris en passant près d’eux sans m’attarder. Je suis indécente, pas envahissante. Ce serait pervers. Je me glisse dans les rues, qui se vident de leurs fêtards pour laisser leur place aux travailleurs. Les lèves tôt. Les adolescentes délurées et leurs petits copains ont cédés leur place aux hommes en costumes. Pressés. Je ne veux pas être vue par ce genre d’homme. Pas quand je sens l’ivresse de la nuit. Je m’enfonce dans une ruelle sombre et la traverse. Lorsque j’en ressorts, c’est avec une sensation d’être suivie.
« Tu es légèrement ivre. Tu es crevée. Tu deviens parano… »Pauvre fille. Je parle seule. Tout est fermé. Le soleil commence à pointer le bout de son nez. J’ai froid. Je dois rentrer à la maison. J’y dirige mes pas, mais dans le bruit régulier de mes talons, il y a quelque chose d’autres. Ce n’est pas le trafique routier, ni même les oiseaux. Le chien au loin ou les chats qui se battent dans les poubelles. C’est autre chose. Une présence oppressante.
Je ne suis plus très loin de la première bouche de métro. J’avais dit que je ne voulais pas emprunter cette voie-là. Je n’ai pas le choix. Mes talons résonnent dans les couloirs presque vides. C’est une sensation étrange. Ce métro doit être peu desservi. Il n’y a pas foule. Tant mieux.
Ma respiration s’est accélérée. Je veux mettre ça sur le compte de l’effort dans l’escalier, mais une boule grossit de plus en plus quelque part dans mon ventre. Juste au-dessus des intestins. Je dois m’arrêter, sous le regard des quelques matinaux. Personne ne vient me demander si ça va. Ils doivent se dire « Encore une jeune femme perdue, trop ivre. » Ils me jugent. J’en ai l’impression du moins. Ce n’est pas agréable. J’inspire profondément et reprend ma route. Un sourire lorsqu’on m’en fait un. Je baisse les yeux, les levant uniquement pour regarder où se trouve ma station. J’ai l’impression d’errer dans les limbes, avec quelque chose de sombre qui me poursuit. Il faut que je pisse.
Normalement, j’attends. Depuis quelques temps, je ne vais plus trop dans les toilettes publiques. Je préfère les éviter. Je rentre chez moi, me retenant le plus longtemps possible. Mais aujourd’hui, je suis ivre. Je ne veux pas risquer de me pisser dessus.
Les toilettes sont au bout d’un long couloir qui résonne plus que les autres. Lorsque je respire, je m’arrête parfois, persuadée d’entendre quelqu’un d’autre. C’est désert lorsque je me tourne et je reprends ma marche jusqu’aux wc. Une jeune femme me bouscule, se confond en excuse. Les pupilles dilatées, explosés. Il est tôt pour un shoot ma jolie. Je ne dis rien pourtant. Je le pense. Elle bafouille encore et s’enfuit, tandis que j’entre. C’est si sale que je nettoie la cuvette et la poignée de porte avant de m’installer. La serrure est cassée et je dois maintenir mon intimité du bout des fesses sur une cuvette glacée.
Ma tête ne bourdonne plus de pensées. Ma tête est remplie des battements de mon cœur. La sensation d’avoir un papillon paniqué entre les oreilles. C’est mon cœur. Il bat fort et ce changement physique m’atteint au cerveau. Chaque bruit à l’extérieur de mon sanctuaire, dernier rempart entre ma peur et la réalité, me fait déglutir difficilement. Je ressers parfois mes doigts sur la poignée. C’est le pipi le plus long de toute ma vie et c’est le moment que choisi la lumière pour se mettre à grésiller.