- Il me semble, et arrêtez-moi si je me trompe, que j'ai été envoyée auprès de vous dans le but d'assurer les divers accords qui relient nos deux états, y compris commerciaux. Et je ne vous le cache pas : je ne sais quasiment rien de Meisa. Quelques on-dits, des méfiances, … Mais du peu que vous m'avez présenté jusqu'ici, je suis plus que curieuse de découvrir. Et si vous le souhaitez, je serai ravie de répondre à quelque question de votre part. Même si elle est personnelle, dans la limite de ce que je me sens capable de révéler. Ce n'est que juste échange.
Serenos secoua légèrement la main, comme pour lui faire signe de ne pas trop s’en faire.
-La relation entre Tekhos et Meisa est une affaire d’équilibre et d’entraide. Comme vous le savez, Tekhos n’est pas qu’une contrée de technologie, c’est également une des premières défenses de notre planète contre les menaces extérieures. Grâce à leur technologie, elles sont plus à même d’identifier les incursions de ces étrangers et d’intervenir, ou du moins de nous prévenir. Nos accords commerciaux ne sont qu’un prétexte pour assurer notre coopération mutuelle. Dans les faits, si Tekhos le voulait vraiment, votre armée pourrait décimer la plupart de nos peuples moins avancés en une grosse matinée, à tout casser, et tenter une domination mondiale. En contrepartie…
Serenos leva un bras devant lui et ses muscles se crispèrent le temps de quelques secondes et, dans sa main, apparut une petite flamme bleutée.
-La plupart des contrées de Terra, surtout celles qui respectent les accords d’Arcanum, comptent des armées de magiciens, et ils pourraient aisément causer assez de dommages pour qu’en retour, Tekhos ne soit plus à même de protéger leurs territoires contre les invasions venant des astres, et cela résulterait de notre perte à tous. Pour éviter ce scénario, moi-même, les hauts dignitaires des autres contrées et grand nombres des sénatrices et personnes influentes de Tekhos avons convenu à un accord ; Tekhos ne peut étendre ses territoires sur Terra, mais en contrepartie, nous coopérons tous dans la lutte contre de potentielles menaces d’étoiles étrangères, et il est également interdit de provoquer Tekhos par des actes militaires. Enfin, ça, c’est l’histoire courte, et je ne dis pas qu’il n’arrive pas de temps en temps qu’une contrée ou une autre cherche des noises à Tekhos, mais vous savez que ces cas se règlent très vite. Dans les faits, c’est surtout parce que les Tekhannes ont autre chose à faire que la guerre sur Terra et que les autres pays ont d’autres chats à fouetter. Genre assurer leur propre progrès, par exemple.
Peut-être que Lied s’était déjà poser la question auparavant, du moins avait-elle remarqué le grand écart entre la technologie tekhanne et celle du reste de la planète. C’était comme si dès l’instant qu’on quittait le territoire de Tekhos, on faisait plusieurs millénaires de recul au niveau technologique, et dans les faits, elle n’avait pas complètement tort. Comment cela est arrivé ? Probablement que les Tekhannes elles-mêmes ne s’en souviennent plus et se contentent de croire que leur société avait simplement des êtres naturellement plus intelligents que le reste du monde. Ce qui est à la fois vrai et faux. L’éducation tekhanne est certainement plus poussée que l’éducation Meisaenne, mais pour chaque chose que les Tekhannes connaissaient, il y en avait une autre qu’elles ignoraient sur le monde.
Certaines tekhannes avaient fait l’expérience d’apporter leur technologie sur les autres territoires de Terra, mais ces tentatives s’étaient, le plus souvent qu’autrement, soldées par des conflits ouverts entre les territoires nouvellement équipés de technologie et ceux qui n’en avaient pas. C’est pour cela que certaines contrées, comme Meisa, avaient refusé l’assistance technologique de Tekhos, insistant qu’il était préférable pour leur nation de se développer à son rythme.
-En ce qui concerne de vous apprendre un peu plus sur ma nation… eh bien, il y a près d’un demi-siècle, le continent d’Ayshanra -c’est ce continent- était ravagé par ce qu’on appelle la Grande Guerre. L’Empire d’Arathusia avait à sa tête l’Empereur Malek, qui avait en tête d’asseoir de façon complète et permanente sa domination sur le reste du continent. De supplanter des cultures qui existent depuis des siècles pour la rendre uniforme. Un monde sans magie, sans conflit, sans débat et sans identité.
» Pour la petite histoire, je suis né quelque part dans le nord de Meisa. Ma mère, j’ignore tout. Je sais qu’elle m’a mis au monde, je sais qu’elle m’a abandonné dans les bras de mon père, et c’est tout. Je ne l’ai jamais revue, ni entendu parler, mais on me dit que c’était une brave femme. Pour ce qui est de mon père, le Roi Talion, mon prédécesseur, il ne pouvait pas avoir un fils bâtard et magicien. Il aurait pu avoir un bâtard, mais le côté magie, à l’époque, les nobles et la famille royale n’aimait pas bien ça. Ça faisait… sale. Dépendant d’à qui je demande, on me dit qu’il m’a envoyé en Arathusie pour me protéger, d’autres pour m’exiler. Comme il est mort sans avoir pu se justifier, je lui laisse le bénéfice du doute.
» Donc, pour reprendre mon histoire, j’ai été élevé en Arathusie par le précédent Empereur, le père de Malek. J’y ai appris l’art de la guerre, l’art de la diplomatie, j’y ai également appris à coudre parce que l’Impératrice avait des passe-temps étranges. L’Impératrice m’appréciait beaucoup, surtout parce qu’elle n’avait eu que des garçons et que les petits Meisaens, physiquement, ils ont l’air d’être de petites filles, donc… je m’égare dans ma narration. Enfin bref. L’Empereur, contrairement à son fils, privilégiait la force et l’endurance, une mentalité très présente dans la société Arathusianne, au point que les gens, même les plus fortunés, vivaient des vies très dures, et encourageaient les jeûnes et les châtiments corporels. Contrairement à Meisa de l’époque, les châtiments corporels n’étaient pas réservés aux pauvres, c’était aussi pour les riches. Si on te prenait à planifier un assassinat politique, on te coupait la main droite, celle qui porte l’épée. Tu recommençais, on te coupait la gauche. Puis un œil. Puis l’autre. Puis la langue. Vous seriez surprise du nombre de manchots aveugles et muets qui pouvaient y avoir dans la société de l’époque. Et étrangement, c’est l’une des traditions qui a été le plus compliqué à changer. Il y dix ans, il y a un noble qui s’est énucléé lui-même puisque personne ne voulait le punir.
» Donc, on va accélérer un peu l’histoire. Le précédent Empereur décède, Malek monte sur le trône, je fuis l’Arathusie pour éviter d’être emprisonné ou exécuté, je rencontre la Sorcière Melisendre qui m’apprend à devenir un sorcier, je commence une guerre, la guerre s’enflamme dans les dix-sept nations de l’époque, je prend le contrôle d’Antusac, devenant un Tharüm des Terres du Nord, je commence donc à lutter contre l’Arathusie, je perds Antusac mais dans ma retraite, je libère une baronnie de son propriétaire qui a baigné dans la magie noire, je prend le contrôle de la baronnie, je prend le contrôle de ses armées, nous parvenons à repousser les Arathusi avec l’assistance de Galhadein et de ses Chevaliers des Terres Mortes, je me déplace donc vers Ensovin, la demeure ancestrale des grands Seigneurs du Nord, pour y rencontrer le grand Roi Eathrum. Il accepte de participer à l’effort de guerre, mais au moment de prouver sa valeur, le couard nous abandonne. Nos troupes font volte-face pour éviter les armées Arathusiannes, je rattrappe Eathrum et je le tue, avant de promettre le même sort à ceux qui oserait fuir et abandonner leurs frères. Les troupes d’Eathrum se retournent donc et vont affronter les Arathusi, la bataille est gagnée, et ils sont forcés de reculer. Entretemps, j’apprend que Malek a déjà commencé son invasion de Meisa avec le gros de ses forces militaires, donc je m’empresse de demander l’aide des autres Seigneurs du Nord, mais ils refusent, sauf la fille d’Eathrum, Laryë, qui devint mon épouse. Après le départ de Mélisendre, mon mariage, une cérémonie de vingt minutes et à peine le temps de goûter à une spécialité locale, Laryë me nomme Seigneur-Général, alors qu’elle accède au titre de Haute Reine des Seigneurs du Nord. À la tête d’une armée de vingt mille hommes, je marche sur Meisa et nous traversons la campagne au nord du pays, mais pendant notre marche, nous sommes attaqués par des Chevaucheurs de Wyvernes, qui nous harassent pendant notre marche et nous ralentissent avec des assauts répétés. C’est finalement mon ami Yussem qui découvre que les Wyvernes sont vulnérable au froid, donc Melisende et moi faisons s’abattre le premier et seul hiver que Meisa ne connaîtrait jamais sur l’entièreté de la partie nord de la nation.
» Maintenant que les Wyvernes n’étaient plus un problème en raison du froid, nous avons pu continuer notre marche jusqu’à rejoindre les forces Meisaennes, mais par le temps que nous arrivions, les troupes Arathusi avaient déjà commencé leur retraite et s’étaient replié dans les terres du Nord, et en raison de la tempête de neige que nous avions déclenchée, nous ne pouvions plus retourner dans les Terres du Nord jusqu’à l’été, donc on s’est retrouvé dans un dilemme. Nous avons donc décidé de traverser la Forêt des Oubliés, et en traversant la forêt, on a été attaqué par ses habitants, des bessalims. Heureusement, j’avais avec moi, et j’ai oublié de vous en parler, la petite bessalim Sha’tari, qui appartenait à l’une des tribus de bessalim. Son grand-père la reconnut, et accepta donc de nous garantir notre passage, ce qui nous permit de prendre les Arathusi de court, et donc de commencer la dernière bataille. J’ai personnellement tué Malek et deux de mes frères de berceau, et j’ai déclaré la fin de la Guerre sous menace d’extermination. Nous avons donc gonflé nos rangs avec les troupes Arathusi restantes et avons regagné l’Arathusie pour que j’y sois sacré Empereur. Pendant ce temps, Laryë avait décidé de mettre fin à l’indépendance des nations des Terres du Nord et avait entamé sa propre conquête de son côté.
» Et nous allons maintenant faire une pause.
Serenos sourit. Il avait fait le discours tellement de fois qu’il aurait probablement pu continuer, mais il sentait bien qu’avec toute cette information, balancée d’un trait, il s’était au moins assuré que la jeune demoiselle ne lui poserait probablement pas de questions à développement dans l’avenir ; Serenos en avait beaucoup à dire, et il parlait également plutôt vite pour s’assurer que les gens comprennent bien le message ; il y a des choses qu’il vaut mieux raconter le soir autour du feu qu’au milieu de la journée.
-Nous aurons largement le temps d’apprendre à se connaître, et à vous faire découvrir les beautés de cette nation. Mais pour l’instant, j’aimerais que vous m’accompagniez, que je vous montre quelque chose que vous ne verrez pas en Tekhos.
Avec un petit geste de la main, Serenos l’invita à le suivre, continuant son chemin à travers la ville. Ils marchèrent encore quelques minutes, papotant de tout et de rien, des nouvelles, jusqu’à ce que finalement, Serenos s’arrête. Il leva alors un doigt. Au début, il n’y avait rien, à l’endroit où il indiquait, puis il prit délicatement la main de Lied dans la sienne, et elle put voir ce qu’il voulait lui montrer ; il y avait une petite chose. A peine plus grande qu’une main, c’était également très difficile de la voir. Affublée d’un mouchoir en guise de manteau et d’un gratte-dos en guise de baton de marche, il y avait une petite créature qui marchait entre les gens. Parfois, elle se faisait bousculer et relevait en babillant ce qui devait être des injures, puis reprenait son chemin. Puis, Serenos pointa en l’air, et Lied put voir quelque chose que peu de gens pouvaient voir ; des milliers de petits esprits flottants et sautillant. Quand ses yeux s’abaissèrent à nouveau, il y avait encore davantage dans les rues et près des échoppes. Certains criaient même des invitations à entrer dans les magasins, et parfois, certains enfants semblaient les entendre et se diriger vers le magasin.
- Bienvenue dans les contrées barbares, Sénatrice Bueller. Vous êtes officiellement la seconde Tekhane à voir ce que je vois.
Serenos n'avait montré les esprits qui habitaient le continent à une étrangère qu'une seule fois, et c'était à la prédécesseure de la jeune sénatrice. La visite guidée des quartiers de la ville se fit lentement, mais sûrement, permettant à Lied de se familiariser avec l'environnement. Eist'Shabal était une ville fortifiée au coeur de laquelle se trouvait le Palais impérial, avec un mur qui formait un cercle parfait. La ville en possédait cinq, présentement, et chaque mur avait été bâti en raison de la population grandissante. Loin de la métropole Tekhane avec ses millions d'habitants, la cité comptait tout juste un demi-million de citoyens, ce qui en faisait déjà une énorme population pour la cité d'un pays moins développé.
Contrairement à ce qu'on aurait pu s'attendre d'un roi, Serenos n'était pas nécessairement pressé. Il expliquait un peu le fonctionnement de la ville et de la société Meisaenne à sa nouvelle invité, et ne semblait même pas se gêner pour lui faire de petites remarques taquines si elle semblait surprise ou étonnée de la grande différence culturelle entre Tekhos et Meisa.
Après quelques heures, il était temps de retourner au palais, donc le Roi lui fit escorte. Ils revinrent tranquillement sur leurs pas, suivant les grandes routes commercantes plutôt que les petites routes qui les aurait ramené plus vite, et ils se retrouvèrent bientôt sur le Pont des Sacrifiés, un grand pont où les noms de ceux qui avaient mis leur vie au service du royaume était inscrits à même la pierre. C'était un honneur réservé aux hommes et femmes d'exceptions ayant rendu un service exceptionnel en Meisa. Parmi ces noms, il y avait assurément celui d'Ysna, même si elle n'avait pas perdu la vie sur les terres de Meisa. Ce n'était pas un honneur réservé aux citoyens ou aux habitants du pays, c'était une reconnaissance pour quiconque avait, à un moment de leur vie, investit assez de leur personne et apporté un changement nécessaire à sa communauté pour être reconnu. Même certains chevaliers ne voyaient pas leur nom apparaitre sur ce pont.
En entrant dans le palais, le Roi guida la jeune amie à sa suite jusqu'à l'aile est, aussi connue comme l'aile royale, plutôt qu'à l'aile oest, où les invités de marque étaient normalement logés.
- J'ai fait venir la couturière de ma défunte épouse ce matin pour vous fournir une garde-robe complète. Elle vous attend dans les quartiers de la Duchesse d'Anfran, qui n'est malheureusement plus en mesure de fréquenter la cour. Elle a accepté de céder sa chambre pour des raisons diplomatiques en repaiement d'une faveur dûe à la précédente ambassadrice.
Et comme il l'avait dit, si peu avaient-ils franchis le pas de la porte menant aux appartements mentionnés qu'une série de robes et de tenues les accueillirent, occupant une grande part de l'espace habitable, avec une vieille dame placée bien en évidence au milieu du petit salon. Elle exécuta une courbette polie envers le Roi, puis un hochement de la tête vers la Sénatrice, un geste qui démontrait clairement que le protocole pour les dignitaires existait bel et bien mais qu'elle observait une différence d'autorité entre les deux personnages.
- Ambassadrice, je suis Colene, dit-elle avec un sourire. Vous allez passez l'après-midi avec moi et nous allons vous préparer une tenue convenable pour des réunions avec les haut fonctionnaires et dignitaires du royaume.
Le Roi regarda la jeune femme un moment puis lui sourit avant de s'excuser.
- Nous reprendrons la visite plus tard. Après votre séance d'essayage, je vous recommende d'explorer le palais. Toutes les ailes vous sont ouvertes, sauf la Tour. La résidente de cette tour a... disons que je préfère limiter les visites au possible, dû à sa condition.