Les pensées et les questions de Camille sont soudain distraites par un brouhaha qui monte de plus en plus, pas très loin de lui. Levant la tête, il aperçoit un attroupement, de l'autre côté de la place. Et ce bruit, ces cris, comme lorsque son père vociférait devant la télé en regardant le tiercé. Là, au loin il distingue des hommes de dos, plusieurs individus et corpulences. Il ne sait pas pourquoi il est ici, il ne sait même pas ce qu'il va faire ici, alors pourquoi ne pas y aller ?
Un peu hésitant, il avance, rejoint les hommes, se faufile un peu. Il pensait trouver deux ivrognes se battant au milieu de cet attroupement, comme dans la cour d'école quand des élèves ricanaient de le voir pris à partie par ce grand échalas de Duchemin. Mais c'est un tout autre spectacle qui s'offre à ses yeux écarquillés.
Car, devant ces individus, c'est une jeune femme, d'une incroyable beauté, qui danse, entièrement nue. Quoique danser ne soit pas le bon terme ; Camille dirait plutôt se caresser, se tripoter. Elle a un corps d'une beauté incroyable, des seins aux formes parfaites, des hanches idéalement galbées, et tout cela sublimé par une magnifique crinière blonde et des yeux d'un vert si pur.
Tout le contraire des baveux qui, autour de lui. Un tintement ! Camille voit une pièce rouler à terre, et en rejoindre d'autres au pieds de la jeune femme. Ils paient pour le spectacle ! Là, en pleine rue, dans ce monde parallèle, une femme peut danser à poils pour se faire du fric de gros porcs ? Mais Camille n'est pas au bout de ses surprises, quand il aperçoit un, puis un autre, et encore un, abaisser leurs pantalons, et sortir leurs sexes. Des verges de toutes sortes, grosses ou petites, molles ou bien tendues, et même une qui d'évidence sent l'absence d'entretien. Pour lui qui en a déjà connu quelques-unes, entre les lèvres ou au plus profond de lui, ça ne lui fait, cette fois, aucun effet.
Les pièces continuent de tomber, au rythme où la jeune femme se caresse, comme si elle était dans une transe. Une prostituée ? Une exhibitionniste ? Et ces mateurs qui s'avancent, chibre en main, vers elle. Une nymphomane, peut-être ? Car, cessant ses caresses, elle vient à leur rencontre, s'agenouille. Ils sont là, agglutinés autour d'elle, et Camille entraperçoit son jeu, comme si elle était une boulimique. Des lèvres, des mains, des seins, elle gobe, elle étire, elle branle. Ca lui fait penser aux films qu'il avait vus sur des gang-bangs, où la femme n'avait que l'obsession du plus grand nombre de queues la pénétrant.
Mais, là, cette jeune femme se contente de les traire, de leur faire cracher leur jus. D'ailleurs, deux d'entre eux, moins résistants, se sont vite éclipsés, après avoir jailli quelques menus jets, moitié à terre, moitié sur elle. Mais elle continue et, une fois repus, les individus s'en vont, qui grognant encore, qui la traitant de salope. L'un de ces grossiers personnages, en se rajustant, laisse même tomber une petite bourse aux pieds de Camille, mais, trop occupé à rentrer sa virilité épanchée, ne remarque rien. Discrètement, Camille récupère la bourse, des pièces, toutes sortes de pièces, marquées au nom de l'Etat de Nexus.
Pendant qu'il regarde ça, interloqué, la foule s'est peu à peu dispersée, et ne reste, face à lui, que cette jeune femme nue, des coulures de foutre sur sa peau, agenouillée à ramasser les pièces au milieu des traces de sperme. Et, alors que Camille lève enfin les yeux vers elle, il la vit reprendre une pose, toujours aussi nue, adossée à un mur, comme attendant le client. Une prostituée, pas de doute ! Mais, ici, ça se fait en pleine rue.
Camille serre dans sa main la bourse aux pièces ; il pourrait lui en jeter quelques-unes pour qu'elle se remette en action, pour lui seul. Mais là, n'y aurait-il pas à nouveau d'autres hommes qui viendraient aussi en profiter ? Non, il a une meilleure idée, se souvenant d'un scenario qu'il avait écrit à la va-vite ; il en a encore tous les détails en tête, il l'avait titré « la vengeance d'une prostituée ».
Prenant son courage à deux mains, il avance vers la jeune femme qui le fixe, jaugeant sans doute le client potentiel. De plus près, son corps est plus harmonieux encore, et ses yeux plus brillants aussi.
Lui tendant la bourse pleine, Camille se lance : « Bonjour, j'ai vu votre spectacle, alors j'ai un deal à vous proposer ».
Pas de réaction de rejet, il continue : « Ces pièces sont à vous. En échange, vous allez vous acheter une tenue comme vous voulez, vous trouvez un hôtel pas loin. »
Toujours aucune réaction de rejet, elle doit être habituée aux passes dans les chambres aussi, alors il poursuit : « Là, j'installe ma caméra, et on inverse les rôles ; vous vous vengez sur moi de ce que ces mecs vous ont fait subir ».
Par contre, là, il lui semble déceler quelque surprise dans les yeux verts, mais ça ne l'arrête pas : « Et j'espère que, quand vous comprendrez que je ne suis pas que masculin, ça ne vous arrêtera pas. »
Il lui semble que la surprise est un peu plus perceptible, mais il conclut par un « Alors, qu'en dites-vous ? »