La déesse mésoaméricaine était bien loin de chez elle désormais. Enfin, où est sa maison à présent ? Le Serpent à Plumes était une déesse vagabonde à présent. En réalité, elle l’a été pendant de nombreux siècles, depuis son exil forcé par son frère, jaloux de l’omniprésence de sa sœur dans les prières des fidèles. Ainsi chassée, Tezcatlipoca avait profité pour avoir plus de sacrifices, et autres joyeusetés divines. Mais cela avait aussi profité à ses conquistadors, qui avait répandu le mal en ces terres. Quetzalcóatl n’avait pu faire face à ce désastre et son pouvoir en avait été miné, tout comme son moral. Pendant des siècles, la déesse avait erré, seule, sur Terre, comme sur cette autre monde qu’est Terra. Elle en avait vu des guerres. Elle en avait vu des morts. Elle avait vu cette humanité changer, flétrir pour mieux renaître et être ce qu’elle est aujourd’hui. La belle émeraude qu’elle était s’était éteinte au fur et à mesure des siècles, pour n’être que l’ombre d’elle-même.
Puis vint l’étincelle, celle qui lui chuchota tout bas de ne pas baisser les bras. Après des siècles de solitude, parsemés toutefois ici et là de quelques rencontres, elle prit connaissance d’autres divinités sur Terre, qui voyageaient pour trouver des adeptes, qui cherchaient à rendre le monde meilleur. Il y avait d’abord eu Vlad. Un dieu des jeux-vidéos…C’était quelque chose de totalement nouveau pour l’émeraude divine, elle qui était encore plongée à ressasser son passé dans une bouteille d’alcool. Mais c’était sûrement la chose qui lui fallait pour qu’elle pense désormais à l’avenir. Le passé était bien loin maintenant, et il était temps pour le Serpent à Plumes de reprendre de sa superbe. Il y avait également cette Miya, immortelle qui elle, détestait tout ce qui était divin. Elle n’était guère commode mais Quetz avait compris le pourquoi du comment. Il y avait aussi eu Musica, qui cherchait à rétablir un véritable ordre chez les Dieux, qui cherchait juste à être ce qu’il devait être. D’autres personnalités lui avaient mis du baume au cœur, sur Terre, parmi les mortels. Sentinel Prime était une d’une curiosité sans pareil, et savoir qu’il y avait des mortels avec de tels dons, sans être bénis des dieux, avait piqué l’intérêt de l’immortelle. Et il y avait eu ce jeune homme, à la toison de feu, John, qui lui avait apporté bien des choses, des sentiments qu’elle avait oubliés, certainement. La Terre était un lieu plein de surprises…
Mais que dire de Terra, dans ce cas-là ? Elle avait découvert, par pur hasard, l’un de ces portails, et appris lors de ses rencontres terriennes, qu’elle pouvait les traverser pour se retrouver dans un tout autre monde, peuplé d’humains mais aussi d’étranges créatures qu’elle pouvait l’être. Là-bas aussi, elle y retrouva d’autres divinités. Arès qui, visiblement, ne l’avait pas oubliée après tant de temps. Son frère, Tezcatlipoca qui, malgré les différents conflits passés, était ravi de la retrouver. Il y a eu aussi ce dieu félin, avec qui elle passa un agréable moment…Bien sûr, elle put rencontrer d’autres créatures peuplant Terra, et ceux-ci, croyant en les pouvoirs, certes restreints, de la déesse, se mirent à la prier. Ce n’était pas grand-chose, mais c’était un début pour redorer son blason et redevenir ce merveilleux Serpent à Plumes qu’elle était.
Cependant, son corps divin attira bien des convoitises et elle le regretta amèrement quand elle rencontra des esclavagistes, notamment ce vampire, Liam de son prénom. Elle se souvenait amèrement de ces tortures, de ces viols, de ce collier étrangleur…Plus jamais on ne l’y reprendra à prendre une forme divine devant des inconnus sur Terra. C’était bien trop risqué, et quand bien même elle avait retrouvé certains pouvoirs, elle en restait fragile. Les esclavagistes savaient bien se cacher et manipuler. Alors elle passerait incognito, à présent.
La belle émeraude arborait désormais, la plus grande partie du temps pour ne pas dire tout le temps, et aussi bien sur Terre que sur Terra, son
apparence de belle jeune femme à la chevelure longue et aux flammes ondulantes jusque dans sa chute de reins. Dans des habits ne trahissant ni une pauvreté, ni un trop plein de richesse, elle voyageait paisiblement dans les terres sauvages de Terra. Ses pas l’amenaient ici et là, et sa curiosité en était toujours satisfaite.
Là, c’était différent. Ayant approché d’une jungle aussi luxuriante que terrifiante, Quetzalcóatl avait pris connaissance de quelques mythes et coutumes d’un peuple vivant là, même s’ils n’étaient pas des plus civilisés. Les langues s’étaient déliées pour raconter qu’à l’orée de cette verdure impressionnante, se cachait un lieu sombre, un site de rituels macabres, surveillé par un esprit. Il s’agissait d’un lieu qu’il ne fallait pas approcher, aux risques d’y perdre sa vie et son âme.
Le Serpent à Plumes aurait dû faire volteface et partir en des contrées plus accueillantes, mais elle était poussée vers ce lieu malsain par on ne sait quel sentiment étrange. Cela lui chatouillait la gorge, comme cela la lui serrait. Son ventre grognait d’appréhension, et son cœur semblait vouloir sortir de sa cage thoracique pour quitter son corps, sous des palpitations irrégulières et profondes, tout comme sa respiration. Aux aguets, la jeune femme à la chevelure de feu chemina à travers la jungle, à la recherche de cette « chose » qui l’appelait. Elle se figea sur place lorsqu’elle se retrouva devant deux monolithes. L’un était maculé de sang, l’autre représentait…Un majestueux serpent à plumes. La bouchée grande ouverte qu’elle aurait pu avaler un crapaud Goliath, elle se reprit en secouant la tête.
- C’est impossible…Ses paupières battirent l’air tant elle ne croyait pas ce qu’elle avait devant les yeux. L’ambiance y était lourde. Le sol était si sombre qu’elle se doutait bien qu’une magie avait corrompu la terre. Comme absorbée, hypnotisée, elle s’avança vers cette roche représentant sa personne ainsi que des symboles d’un temps bien trop ancien, la main tendue, prête à la toucher…Cela semblait si irréel qu’elle se sentait le besoin de le faire, pour se dire que tout ceci n’était pas un rêve…Ou bien un cauchemar.