De la musique classique calme par-dessus le bruit de l’eau coulant doucement, une odeur florale légère, des panneaux holographiques figurant une clairière, un sol en bois clair — la petite pièce était singulière, irréelle. Les nombreux artifices numériques, quoique simples, semblaient n’avoir pour seul objectif que de rappeler à la sérénité d’une nature amicale, voire romantique. Quelqu’un de réellement habitué à la forêt serait sans doute déstabilisé par tant de reproductions naïves (il y avait même des biches et des lapins courants entre les arbres en trois dimensions). Mais pour un citadin, englouti au quotidien par le dense environnement urbain, le système avait son charme — c’était d’ailleurs un des plus couteux que l’on puisse obtenir.
Au milieu de la pièce, un homme était assis en tailleur. Il avait la trentaine, le crâne rond, complètement chauve, et pas de barbe. Plus particulier encore, il semblait ne pas avoir le moindre poil : ni cil ni sourcil. Son visage paisible, les yeux fermés, était viril sans être grossier — parfaitement symétrique, le nez légèrement épaté, les oreilles très collées, à peine visibles de face. Il avait la peau claire, presque trop lisse pour être naturelle, sans aucune cicatrice ou bouton. En revanche, il avait des tatouages : des lignes noires sur tout le dos, qui remontaient jusque haut dans sa nuque comme des volutes de fumée. Il était musclé, une musculature travaillée et équilibrée avec soin, qui le taillait en V.
— On a reçu un message, n’est-ce pas ?
Il avait parlé en semblant minimiser son effort, sans presque bouger les lèvres. Il paraissait seul dans la pièce. Pourtant, une voix aiguë, synthétique, lui répondit dans l’instant :
— Exact vieux.
Il y eut un silence de plusieurs secondes, puis la voix repris.
— Tech-13.
— Tech-13 n’a pas besoin de nous.
— Oh oh, incorrect. Tech-13 n’avait plus besoin de nous, mais ça c’était il y a une minute. Quel choix tu crois qu’on a ? Hein ? HEIN ? Qu’est-ce que tu crois qu’il va se passer si on refuse de travailler avec eux ? Ils vont être vexés. Ils vont nous couper nos fonds. Ils vont nous couler professionnellement. Ils vont nous faire expulser de la ville. Ils vont nous envoyer des assassins. Ils vont nous enfermer et ils vont nous…
La voix robotique paniquait et son débit accélérait jusqu’à être à peine compréhensible.
— Samba. Mute.
Elle s’interrompit aussitôt.
— Ce cinéma : c’est parce que tu as déjà accepté ?
— Ouais ?
L’homme se leva. Il devait mesurer presque deux mètres. Il sourit.
— Bon. Alors viens.
*
* *
D’un pas élégant, Clément Frevo pénétra dans le bureau de l’administratrice. Il était très bien habillé, costume noir fermé dont le col haut cachait la majeure partie de ses tatouages et lunettes de soleil qui masquaient son absence de pilosité. Ce n’était pas parce qu’on était un mercenaire que l’on devait négliger la présentation — il le répétait souvent — en tant que travailleur indépendant, il devait assumer toutes les étapes, y compris celle-ci. Un détail, cependant, dépareillait un peu.
Il avait sur l’épaule un gros rat. Pas un hybride, non, il n’y avait en apparence rien d’anthropomorphique dans ce rat là. Sauf qu’il se mit à parler, d’une voix artificielle et haut perchée, qui résonnait étrangement :
— Hey hey ! Chouette ici.
Pour qui connaissait suffisamment la technologie, il n’était pas difficile d’identifier la nature du surmulot. C’était une unité anibot, c’est à dire une plateforme servant d’hôte à une IA — production d’une corporation nommée BioSoft. Il s’agissait d’une gamme de produits supposés imiter la nature, parfois avec tant de précision que ses créations en devenaient indiscernables. L’enveloppe, cependant, ne donnait pas d’information sur l’intelligence artificielle qui l’utilisait. La plupart du temps, on y insérait des modules naturalistes (supposés reproduire le comportement de l’animal en question) ou destinés aux enfants. Il y avait des applications militaires spécialisées, mais elles étaient plus exceptionnelles.
Celle-ci répondait au nom de Samba… et Samba n’était rien de tout ça. Personne parmi ses employeurs ne connaissait son origine, peu s'en souciaient, et tous connaissaient son efficacité.
— Bonjour dame Valentine, compléta Frevo, sur un ton qui tranchait radicalement. Comment vous portez-vous en cette belle journée de… ?
Il s’interrompit, réalisant qu’il ne savait pas quelle était la saison en cours. Des déficiences cognitives mineures. Depuis les années, Clément s’y était habitué. Il ne s’attarda pas sur la phrase. Il prit l’initiative de s’assoir.
— Nous vous écoutons.