« Maryse, quand Mère et Père rentrent-ils, exactement ? »
« Dans quelques jours, Mademoiselle. »
Le dialogue était prononcé dans la chambre de Madeleine, où elle et la servante-en-chef étaient occupées à se préparer pour la nuit. La femme mûre dégrafait le corsage et en délassait les épais cordons avec soin, laissant le corps de l'adolescente enfin respirer. Celle-ci se laissait faire, habituée à ce rituel qui durait depuis le début de sa vie, aussi loin qu'elle puisse s'en souvenir. Sa jolie capeline était déjà posée sur sa commode, prête à être dépoussiérée et rangée dans les placards, en vue d'être reposée sur sa tête dés le lendemain. Sans cet outil, sa tête lui semblait nue.
« L'absence de vos parents vous incommode-elle, Mademoiselle ? »
Maryse avait pris ce ton inquiet que Madeleine connaissait bien – elle l'entendait depuis toujours, dés qu'elle avait le malheur de formuler une plainte ou un souci. Maryse semblait se faire bien souvent du souci pour elle. C'était son rôle, cela dit, mais chacun savait qu'elle avait déjà un enfant à charge, jeune d'ailleurs, qui résidait dans le château avec elle. Madeleine aurait donc cru que la dame serait habituée à être moins stressée pour de rares et petits détails. Mais visiblement, c'était plutôt l'effet inverse qui se manifestait chez elle.
Sans doute ne pouvait-elle pas comprendre parce qu'elle n'avait pas d'enfants, songea-elle. Et qu'elle ne pourrait jamais comprendre, puisque que malheureusement, sa faible constitution ne lui permettait pas de mettre bas. Et de procréer ? Avait-elle un jour demandé à sa mère, qui lui avait jeté un regard sévère, la punissant d'avoir eu l'idée sotte de vouloir s'accoupler sans parvenir au but premier de cette activité. C'était dangereux, avait-elle rétorqué, sur un ton qui signifiait clairement que la conversation était terminée.
« ...Non, Maryse, ne vous inquiétez pas, ce n'est pas si grave, répondit la jeune fille, tournant sa tête pour sourire à sa servante. »
« M'inquiéter fait partie de mon métier, Mademoiselle. Je n'aimerais pas vous voir languir Monsieur et Madame. Je sais que vos journées sont bien remplies et ne laissent pas place à l'expression de vos sentiments, mais si vos nuits sont rythmées par le chagrin, n'hésitez pas à m'en faire part. »
Madeleine se contenta d’acquiescer, laissant la bonne lui enlever la dernière partie de sa jupe. Il lui semblait qu'un poids énorme se dégageait de ses jambes et de ses hanches. Désormais en sous-vêtements – sa combinaison de dentelles et de soie – elle sauta avec grâce du tabouret où elle était perchée, pour permettre à Maryse de lui enlever toute sa toilette sans devoir se blesser le dos. Ça avait été visiblement une riche idée de sa part que de penser à ça, parce que Maryse ne mettait presque plus sa main en pansement quand elle finissait son service et quittait la pièce tous les soirs. La servante prit l'ensemble des vêtements étalés sur le sol.
« Votre bain vous attends, nous avons fini de vous le préparer. Pensez à bien laver vos cheveux ce soir, nous les coifferons quand vous aurez terminé. »
« Bien sûr, je vous remercie, Maryse. »
L'adolescente regarda sa servante s'en aller, puis se dirigea en pantoufles vers la salle de bains qui était adjacente à sa chambre. Après avoir vérifié que plus personne n'était présent dans la pièce, elle entreprit de se dévêtir et de se glisser dans l'eau savonneuse. La mousse entoura son corps nu, puis se répartit sur l'ensemble de la surface de l'eau, avec assez de pudeur pour cacher les formes de la blonde et ne laisser entrevoir que la naissance de ses parties intimes. L'odeur de lys qui se dégageait des bouquets de fleurs répartis dans la pièce et changé régulièrement était exquise et détendait la jeune fille, la préparant comme tous les soirs à un sommeil réparateur.
Au delà du fait de se détendre, ses pensées se tournaient de nouveau vers la conversation qu'elle avait eu avec sa mère. Madeleine ne comprenait pas trop la réaction de celle-ci. Certes, il était dangereux pour son corps de pratiquer le coït, elle le comprenait très bien. Mais il était tout aussi dangereux pour elle de faire du badminton, ou du voilier, ou encore de la danse. Et c'était des activités qu'elle pratiquait de façon occasionnelle, quand ses jambes et ses bras le lui permettaient et qu'elle ne se sentait pas trop fiévreuse. Sa mère lui laissait pratiquer au moins une fois la chose, car elle savait que cela lui redonnait de la force et augmentait un peu sa santé, aussi bien physique que mentale. Or, pour cette activité en particulier, la réponse avait été catégorique. C'était un état de fait qui rendait l'héritière des lieux dubitative.
Certes, il y avait une pudeur et une gêne qui entourait cette activité-là en particulier dans l'imaginaire collectif. Mais Madeleine avait lu et entendu des histoires qui concernaient certaines personnes qui n'étaient pas mal à l'aise en évoquant le sujet. En vérité, elle aurait aimé pouvoir parler de ce genre de choses avec quelqu'un de confiance, au moins pour avoir un nouveau point de vue sur la chose. Quelque chose lui disait qu'il était normal, à son âge, de commencer à se poser ce genre de questions. Mais personne ne pouvait le lui confirmer, et l'adolescente restait donc sur sa faim. Dans son bain, entourée de mousse et de l’effluve des lys qui l'entourait, elle pensait, les yeux levés vers le plafond de marbre orné de peintures angéliques. L'eau chaude lui donnait envie de dormir...
Un bruit soudain la réveilla en sursaut, et elle se redressa dans le bain, dispersant un peu d'eau autour de la baignoire.
« … ? »
Il y avait eu un bruit, elle en était sûre. Un bruit sourd, comme un objet qui frappe sur un autre. Un cri aigu vint confirmer son agitation et augmenta ses interrogations.
« ...Maryse ? »
Madeleine appela, mais ne reçut pas de réponse. Elle essaya de se lever, pour sortir du bain et aller voir ce qui se passait, mais quelque chose clochait. Ses membres ne répondaient plus. Déjà épuisés par sa journée et anesthésiés par la température de l'eau, rien ne semblait plus fonctionnait en elle. Les connections entre ses muscles et son cerveau ne voulaient plus s'effectuer.
« Hn... Oh non, non, pas maintenant... » se plaint-elle à voix haute.
Le problème n'était pas atypique. Madeleine subissait souvent ce genre de désagrément, lorsqu'elle se levait ou qu'elle subissait un brusque changement de température. Ce n'était pas nouveau, et c'était sans doute pour cette raison que le ton de sa voix était plus ennuyé que paniqué. L'adolescente tentait de toutes ses forces de bouger normalement, mais elle ne parvenait qu'à effectuer de vagues remous.
Elle ne paniqua pas. Elle savait qu'au bout d'un certain temps et de beaucoup d'efforts, ses membres reviendrait à la normale. Comme prévu, cela finit par arriver au bout de quelques minutes. Ravie, Madeleine esquissa un geste pour sortir du bain, mais enterrée comme elle était dans sa concentration, elle n'avait pas prêté attention à l'atmosphère du château.
Des cris résonnaient un peu partout, suivi de bruits lourds, comme si l'on frappait deux objets ensemble. Il y avait, cette fois-ci, de quoi légèrement paniquer, et la jeune femme se recroquevilla dans l'eau, l'angoisse montant. Quand il lui sembla entendre des bruits de pas tout prés, elle placa l'entièreté de son corps et de sa tête sous l'eau, espérant que l'épaisse et haute mousse restante masquerait sa présence. C'était certes enfantin, mais la blonde n'avait aucune envie d'attirer l'attention sur elle en appelant à l'aide ou en faisant plus de bruits. En apnée, elle attendit.